Depuis vingt ans, les données qui ont été accumulées montrent l’effet des principes de gouvernance sur les entreprises. La stature des dirigeants est la première touchée. […] La recherche systématique du profit à court terme a conduit les managers à passer outre les règles minimales du professionnalisme (et de la déontologie), comme on l’a vu en 2008 dans le cas des banques. Une banque comme Goldman Sachs, qui arborait pourtant des principes de bonne gouvernance dès 1979, pouvait spéculer au détriment de ses clients en vendant des produits financiers complexes tout en pariant sur leur chute prochaine […] Assurément, les incitations financières accordées aux dirigeants ne sont pas étrangères à ces dérives. Avec le développement des stock-options, les dirigeants sont devenus très attentifs à la valeur de l’entreprise en bourse. […]. En pratique, les dirigeants s’effacent parfois devant les actionnaires qui prennent eux-mêmes les commandes de l’entreprise. […] Dans certaines entreprises, les dirigeants semblent être devenus les commis des actionnaires. Mais il faut souligner un fait trop rarement évoqué. Les dirigeants sont souvent accusés de mener une gestion à court terme et au bénéfice des actionnaires. Mais ont-ils vraiment le choix ? Incités financièrement, les dirigeants sont aussi menacés, à tout moment, d’être démis de leurs fonctions. Les actionnaires, faut-il le rappeler, peuvent les révoquer ad nutum, c’est-à-dire sans avoir à justifier leurs décisions. Et il est de moins en moins rare de voir les dirigeants débarqués simplement parce qu’ils n’ont pas satisfait aux exigences de leurs actionnaires. . Une étude a montré qu’entre 1995 et 2006 le turnover annuel des dirigeants a augmenté de 59 % : en 1995, un départ sur huit était involontaire, tandis que plus du tiers des départs sont forcés en 2006. Les révocations des dirigeants liés expressément à la faiblesse des résultats ont augmenté de 318 %. Et si cela ne suffit pas, la menace de révocation interne est doublée d’un contrôle par le marché : d’autres actionnaires peuvent se porter acquéreur de l’entreprise (via une OPA) s’ils jugent que le cours en bourse est mal traité. […] La marge de manœuvre des dirigeants est donc de plus en plus étroite. Si on pouvait craindre, au début du 20ème siècle, l’extraordinaire pouvoir dont jouissaient les managers, c’est leur faiblesse que l’on doit craindre en ce début de 21ème siècle.
Source : Blanche Segrestin, Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, La République des Idées, Seuil, 2012.
Questions :
1) Quels sont les effets de la gouvernance actionnariale ?
2) En quoi les dirigeants d’entreprise voient-ils leur position fragilisée ?
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1) Quels sont les effets de la gouvernance actionnariale ?
La priorité, imposée par les actionnaires, à recherche du profit à court terme a modifié les pratiques managériales en matière de prise de risques (l’exemple des banques le montre, comme on l’a vu avec la crise financière de 2008). Par ailleurs, c’est la gestion de court-termiste qui prime. D’une certaine façon, les actionnaires ont pris les « commandes de l’entreprise » comme l’écrivent A. Hatchuel et B. Segrestin.
2) En quoi les dirigeants d’entreprise voient-ils leur position fragilisée ?
Le pouvoir des managers s’est effrité comme en témoigne l’accroissement de leur taux de turnover. La mobilité des dirigeants de sociétés dépend de facteurs internes mais aussi externes. D’une part, leur position est instable du fait de menaces de révocation par les actionnaires si les résultats ne conviennent pas à leurs attentes. Par ailleurs, en externe, d’autres actionnaires potentiels peuvent entrer, via des acquisitions de titres, à tout moment dans le capital et exclure le manager. L’action du dirigeant est donc également observée par les acteurs du marché financier;