Nous pouvons étudier la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis la seconde guerre mondiale. Toutefois, la comparaison avec les années 1950 apparaît délicate à cause de la salarisation croissante, et du fait des grandes entreprises nationales. Les évolutions de concepts et de champs de la comptabilité nationale brouillent aussi les mesures et les comparaisons. Cependant, si l’on considère un champ hors agriculteurs, corrigé de la non-salarisation, la part des salaires dans la valeur ajoutée aurait cru légèrement passant de 67 % en 1950 à 69 % en 1970, avec de légères fluctuations. L’équilibre entre salaires et profits est complexe à déterminer et il n’existe pas de consensus sur les déterminants de ce partage. Parmi les auteurs néoclassiques, la question du partage de la valeur ajoutée ne génère pas beaucoup d’intérêt. Pour ce courant dominant de la pensée économique, le partage de la valeur ajoutée devrait être stable, déterminé par des paramètres fondamentaux de l’économie, fluctuant autour d’une valeur d’équilibre. De 1960 à 2004, le salaire net annuel moyen (exprimé en euros de 2005) est passé de 9 900 à 22 500 €, autrement dit il a été multiplié par 2,3 en 44 ans. Au cours de cette longue période, l’échelle des salaires est restée très stable puisque le salaire minimum est passé de 4 300 à 12 100 € nets (soit une multiplication par 2,8) et que le seuil du 9ème décile de la répartition des salaires nets (90 % des salariés ont un salaire inférieur à ce seuil) est passé de 16 900 à 36 100 € nets (soit une multiplication par 2,1).
Une vision simple de l’histoire économique (page 47) Revue économique n° 145 1996 : R. Boyer
Selon l’école française de la régulation, dont R Boyer est l’un des représentants, la stabilité de la part des salaires durant les Trente Glorieuses correspond au « compromis fordiste », accord tacite entre les syndicats de salariés et ceux du patronat où les premiers acceptent les méthodes de l’OST et les seconds le partage des gains de productivité. Les conventions collectives américaines des années 1960 ou la politique française de « partage des dividendes du progrès » constituent des exemples d’une contractualisation longue et de la formation du revenu salarial. L’augmentation relative des salaires des ouvriers et des employés s’est produite après 1968 jusqu’au début des années 1980 et correspond à la crise sociale du fordisme et à ses dysfonctionnements du régime d’accumulation. Le « néo-fordisme » (élargissement et enrichissement des tâches, groupes semi-autonomes) s’est accompagné d’une requalification ouvrière source de hausses des salaires. Le SMIC, institué en 1970, a provoqué une tendance à la hausse des salaires. Nous assistons aussi à une accélération inhabituelle des salaires et des prix industriels au lendemain du premier choc pétrolier qui se fit au détriment de l’EBE. Les années 1970 marquent ainsi une rupture forte ; la croissance se ralentit nettement, les salaires continuent de croître aux rythmes antérieurs, mais sans les gains de productivité correspondants. L’inflation, plus nette depuis la fin des années 1960 est alimentée par le choc pétrolier, s’accompagne d’une hausse du chômage (stagflation) et d’une déformation inédite du partage des richesses. Le développement des systèmes de protection sociale, alourdis par le chômage, augmente le poids des charges pesant sur le travail, ce qui contribue aussi à déformer le partage de la valeur ajoutée. La décennie 1970-1980 ne constitue pas une référence pour le partage de la valeur ajoutée car la part élevée des salaires coïncide avec des déséquilibres forts : taux d’intérêt réel négatifs, inflation à deux chiffres, nouvelle structure des prix relatifs, contrôle de change et gains salariaux réels supérieurs aux gains de productivité du travail.
Macroéconomie financière : M. Aglietta et N. Valla (édition Repère La découverte 1995) p 46 (résumé par C. ELLEBOODE dans SES Melchior)