Document 8 : Vers une nouvelle gouvernance économique européenne ?

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L'action de la Banque centrale européenne face au choc économique a été très rapide, même si la crise déclenchée par la pandémie n'était pas de nature financière. Quels outils la BCE a-t-elle mobilisés pour assouplir sa politique monétaire ?

Christophe Blot : La BCE a mobilisé les instruments non conventionnels existants en les amplifiant ou en les renouvelant, puisque les marges de manœuvre sur les taux d'intérêt directeurs étaient limitées. On peut distinguer deux types de mesures prises par la Banque centrale européenne face à cette crise : les opérations de liquidités sur le marché monétaire et les achats d'actifs financiers.

Le premier volet est à destination des banques. Depuis 2009, afin de sécuriser le refinancement du système bancaire, la BCE mène des opérations de liquidités plus larges, avec des maturités un peu plus longues (au-delà d'une semaine). Pour garantir aux banques un accès à la liquidité et les inciter à distribuer des crédits, la BCE a proposé en 2020 des opérations supplémentaires de refinancement à long terme, en fournissant aux banques des prêts à taux bonifié sur des montants supérieurs et pour une durée d'un à deux ans. Parmi celles-ci, les TLTRO (Targeted long-term refinancing operations) sont les opérations de liquidités à long terme « ciblées » (targeted) en contrepartie des crédits octroyés par les banques : plus les banques consentent de prêts, plus les conditions auxquelles elles peuvent obtenir un refinancement sont avantageuses. Ainsi, une banque qui remplit les critères d'éligibilité en octroyant par exemple 10 millions de crédits jusqu'en 2021 peut se refinancer auprès de la banque centrale à un taux négatif jusqu'à – 1 %. Cette gestion de la liquidité permet à la BCE de contrôler l'évolution des taux sur le marché monétaire et de soutenir l'octroi de crédit aux ménages et aux entreprises.

Les achats d'actifs sur le marché secondaire sont l'autre volet important de l'action de la BCE. Les mesures d'achats d'actifs existent depuis 2014, notamment avec le programme d'assouplissement quantitatif appelé APP (Asset Purchase Programme) dans le jargon de la BCE. Cette politique d'achats d'actifs a été renforcée en 2020. Plus précisément, la BCE achète principalement des titres de dette publique émis par les différents États membres, en communiquant sur deux objectifs un peu différents. D'une part, satisfaire son objectif principal qui est d'atteindre sa cible d'inflation, avec l'idée d'assouplir les conditions de financement dans l'ensemble de la zone euro. D'autre part, éviter des écarts trop importants entre les taux d'intérêt souverains sur les marchés. […]

La BCE redoutait-elle une crise de la dette souveraine comme en 2010-2012 ?

Christophe Blot : C'est possible. Les pays faisaient face à des situations sanitaires différentes et ils entraient dans la crise avec une conjoncture économique et des niveaux d'endettement public très hétérogènes. Des tensions sur certains titres de dette publique, notamment italiens, sont réapparues en mars 2020, avec un risque d'envolée des taux si les marchés commençaient à s'inquiéter de la capacité à rembourser de certains États, ce qui pouvait provoquer une nouvelle crise de dette souveraine. Les politiques de Quantitative Easing permettent d'améliorer le financement de la dette publique. Mais, du point de vue de la BCE, la politique d'encadrement des écarts de taux (les spreads) vise avant tout à éviter la transmission hétérogène de sa politique monétaire. […]

Face à la plus grave récession depuis l'après-guerre, la Commission européenne a décidé, pour la première fois, de suspendre le pacte de stabilité et de croissance en mars 2020. Les États de la zone euro ne sont donc plus contraints par les règles de discipline budgétaire, inscrites dans les traités. La limite des 3 % de déficit public a été largement dépassée en 2020 dans plupart des pays, et il en sera probablement de même en 2021. Quant à la dette publique, elle s'élève désormais à 100 % du PIB dans la zone euro. Dans ce contexte, que vont devenir les règles budgétaires encadrant les finances des pays de la zone euro ? Ces règles font-elles toujours sens d'un point de vue économique ?

Xavier Ragot : Ces règles budgétaires ont été élaborées au début des années 1990, dans un contexte économique et politique très différent d'aujourd'hui. […] Aux deux critères de 3 % de déficit et de 60 % de dette publique sur le PIB, figurant dans le Traité de Maastricht, ont été ajoutées d'autres règles numériques et de multiples exceptions en fonction du cycle conjoncturel. Au final, aujourd'hui, ces règles sont très complexes et difficilement applicables, et par conséquent appliquées de manière assez souple par la Commission. Le contexte actuel de taux d'intérêt extrêmement faibles et d'envolée des dettes publiques a renforcé l'obsolescence du cadre budgétaire. À présent que la clause de sauvegarde générale du Pacte de stabilité et de croissance a été activée, et cette mesure reconduite jusqu'à 2022, la grande question est : qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Comment rénover alors le cadre de coordination budgétaire ? Faut-il revoir les règles budgétaires afin qu'elles soient plus en phase avec les niveaux actuels de soutenabilité des dettes publiques ?

Xavier Ragot : Tout d'abord, une union monétaire a besoin d'un système de règles budgétaires pour limiter les externalités négatives des politiques nationales sur les autres pays membres, par exemple en cas d'insolvabilité d'un État. S'il y a consensus sur la nécessité de réformer ces règles, la manière de le faire est en débat. Une première voie possible est de conserver les règles actuelles en les gérant comme on peut. Ce n'est pas tant les déficits publics qui vont poser problème – ils retourneront assez vite sous la limite des 3 % – mais les dettes publiques qui atteignent aujourd'hui des niveaux inédits, avec de fortes hétérogénéités. En France, l'endettement public sera de l'ordre de 115 % du PIB à la fin de la période Covid si ce n'est plus, il sera à 160 % en Italie mais seulement à 75 % en Allemagne. Il est prévu dans les textes que les pays convergent rapidement vers les 60 % : la dette doit diminuer d'au moins 1/20e chaque année de l'écart entre le niveau d'endettement et la cible de 60 %, ce qui paraît impossible pour beaucoup de pays. Une première possibilité est donc de faire semblant d'appliquer le texte, sans vraiment tenir compte du critère de dette, en surveillant seulement les déficits publics. L'Allemagne, les pays du Nord – ceux qu'on dit « frugaux » –, une partie de la France, sont tentés par cette option. Elle évite d'ouvrir le chantier de l'évolution des règles sur lequel il sera difficile de trouver un consensus. Le risque est de voir s'accentuer les divergences des dettes publiques, entre de grands pays européens comme la France et l'Italie, qui dépasseront largement le seuil des 60 %, et d'autres comme l'Allemagne qui seront bien en-dessous.

Une autre stratégie, qui commence à être de plus en plus débattue, est de repenser les règles pour qu'elles soient à la fois applicables ; qu'elles ne conduisent pas à trop d'austérité (en poussant à des politiques budgétaires pro-cycliques) ; qu'elles n'empêchent pas l'investissement public, notamment dans la transition écologique, dont les effets bénéfiques ne seront effectifs qu'à long terme ; et enfin qu'elles garantissent la soutenabilité des dettes publiques pour éviter qu'un pays suive une trajectoire qui conduirait vers le défaut. […]

Interview de Christophe Blot et Xavier Ragot, propos recueillis par Anne Châteauneuf-Malclès pour SES-ENS, publié le 06/05/2021.

Questions :

23) Quels instruments dits non conventionnels ont été mobilisés par la BCE à la suite de la crise du Covid-19 ?

24) Quelle difficulté rencontrée après la crise des subprimes ont-ils permis d’éviter ?

25) Quels sont les intérêts et les enjeux de la suspension temporaire du PSC ?

26) En quoi ces actions illustrent-elles un changement dans la gouvernance économique européenne ?

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23) Quels instruments dits non conventionnels ont été mobilisés par la BCE à la suite de la crise du Covid-19 ?

. Les mesures dites non conventionnelles adoptées par la BCE sont des mesures de politique monétaire adoptées provisoirement pour faire face à un contexte économique difficile. Afin de limiter les conséquences de la crise du Covid-19, la BCE a mené deux types d’actions. D’abord, elle a mis en place des mesures d’assouplissement qualitatif en allégeant ses règles d’accès aux opérations de refinancement bancaire. Ensuite, elle a mis en œuvre un assouplissement quantitatif (quantitative easing) qui consiste à injecter des liquidités en achetant massivement des actifs financiers afin de relancer l’activité économique.

24) Quelle difficulté rencontrée après la crise des subprimes ont-ils permis d’éviter ?

La crise des subprimes a entraîné une crise des dettes souveraines au sein de la zone euro. L’achat de titres de dette publique émis par les Etats membres a permis d’assouplir les conditions de financement au sein de la zone euro et réduire les écarts de taux d’intérêt souverain (spreads) entre les différents pays.

25) Quels sont les intérêts et les enjeux de la suspension temporaire du PSC ?

La Commission européenne a suspendu le PSC depuis mars 2020. Concrètement, cela permet de lever la contrainte budgétaire qui pèse sur les Etats membres de la zone euro et de mener des politiques budgétaires contracycliques. Si les auteurs insistent sur la nécessité de mettre en place des règles budgétaires au sein d’une zone monétaire ils rappellent que ces règles sont amenées à être réformées, l’enjeu étant de savoir comment. 

26) En quoi ces actions illustrent-elles un changement dans la gouvernance économique européenne ?

Par la mise en place de mesures non conventionnelles, la BCE montre qu’elle est capable de poursuivre d’autres objectifs que la seule stabilité des prix et d’accompagner une politique de sortie de crise. Par ailleurs, la suspension du PSC jusque 2022 montre une volonté de sortir du contrôle strict des déficits budgétaires.

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