Document 8 : Écarter les prénotions

Facile

Le premier de ces corollaires est qu’il faut écarter systématiquement toutes les prénotions. (…)  Il faut donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l'objet de ses recherches, soit dans le cours de ses démonstrations, s'interdise résolument l'emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n'ont rien de scientifique. Il faut qu'il s'affranchisse de ces fausses évidences qui dominent l'esprit du vulgaire, qu'il secoue, une fois pour toutes, le joug de ces catégories empiriques qu'une longue accoutumance finit souvent par rendre tyranniques. Tout au moins, si, parfois, la nécessité l'oblige à y recourir, qu'il le fasse en ayant conscience de leur peu de valeur, afin de ne pas les appeler à jouer dans la doctrine un rôle dont elles ne sont pas dignes. Ce qui rend cet affranchissement particulièrement difficile en sociologie, c'est que le sentiment se met souvent de la partie. Nous nous passionnons, en effet, pour nos croyances politiques et religieuses, pour nos pratiques morales bien autrement que pour les choses du monde physique ; par suite, ce caractère passionnel se communique à la manière dont nous concevons et dont nous nous expliquons les premières. Les idées que nous nous en faisons nous tiennent à cœur, tout comme leurs objets, et prennent ainsi une telle autorité qu'elles ne supportent pas la contradiction. Toute opinion qui les gêne est traitée en ennemie. Une proposition n'est-elle pas d'accord avec l'idée qu'on se fait du patriotisme, ou de la dignité individuelle, par exemple ? Elle est niée, quelles que soient les preuves sur lesquelles elle repose. On ne peut pas admettre qu'elle soit vraie ; on lui oppose une fin de non-recevoir, et la passion, pour se justifier, n'a pas de peine à suggérer des raisons qu'on trouve facilement décisives. Ces notions peuvent même avoir un tel prestige qu'elles ne tolèrent même pas l'examen scientifique. Le seul fait de les soumettre, ainsi que les phénomènes qu'elles expriment, à une froide et sèche analyse révolte certains esprits »

Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, 1894

 

Questions à partir des documents 4,5,6,7,8 :

 

9) Qu’est ce qu’un fait social ?

10) En quoi le choix du prénom est il un fait social  ?

11) Qu’est qu’une prénotion ?

12) Donnez des exemples de prénotions concernant le choix du prénom ?

13) Selon Durkheim, « il faut expliquer les fais sociaux comme des choses ». Que veut il dire ?

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9) Qu’est ce qu’un fait social ?

Selon Émile Durkheim, la sociologie est l’étude des faits sociaux, qu’il définit comme des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. Dans cette définition, trois éléments méritent notre attention : tout d’abord, les faits sociaux concernent les comportements (agir), les valeurs et représentations ( penser) les goûts ( sentir). Ensuite, ils sont extérieurs à l’individu. Durkheim nous dit en effet explicitement, qu’ils ne sont ni organiques , ni psychiques, autrement dit, ils ne sont pas liés à la personne, ni par le corps, ni par l’esprit. Enfin, ils sont dotés d’un pouvoir de coercition , c’est-à-dire qu’une contrainte s’exerce sur l’individu. Cette contrainte vient de la société.

 

 10) En quoi le choix du prénom en est il un ?

Choisir le prénom de l’enfant est un pouvoir des parents. Ils le choisissent ainsi en fonction de leurs goûts personnels, de leur histoire personnelle et familiale, en toute liberté. Néanmoins, toutes les caractéristiques du fait social sont présentes ici. Les parents obéissent à des règles contraignantes. Elles sont d’abord juridiques.  Avant 1993, le prénom devait être choisi dans un stock pré défini de prénoms usuels, d’abord validés dans l’histoire par la religion, et ensuite par la République. Depuis, les parents peuvent choisir des prénoms originaux, même ils restent contrôlés par l’officier d’état civil qui peut refuser un prénom s’il le juge contraire à l’intérêt de l’enfant. Ces règles sont aussi sociales, propres à la période ou au milieu d’origine. Ainsi, les prénoms sont des marqueurs qui portent la trace de votre année de naissance (les prénoms à la mode deviennent inévitablement désuets) – et de votre milieu social ( certains prénoms sont typiques des descendants de l’aristocratie par exemple). Ces contraintes expliquent pourquoi le choix du prénom de son enfant est bien un fait social, ce qui est d’autant plus intéressant que les parents sont intimement persuadés de faire un choix personnel, réfléchi, original, donc d’être parfaitement libres.

 

11) Qu’est qu’une prénotion ?

Les prénotions sont «  des fausses évidences qui dominent l’esprit vulgaire ». Il s’agit de croyances issues du sens commun «  formées par la pratique » nous dit Durkheim. Ces préjugés, ces idées toutes faites, interdisent au sociologue d’atteindre la vérité des choses. Les prénotions «  sont comme un voile ». Ces croyances sont religieuses , politiques, ou propres à la culture populaire.

 

12) Donnez des exemples de prénotions concernant le choix du prénom ?

Par exemple, penser que les prénoms sont une affaire de goûts et que les goûts ne se discutent pas, est caractéristique d’une prénotion. Si c’était le cas, la répartition des prénoms serait aléatoire. Elle ne présenterait aucune régularité. Le sociologue n’échappe pas à cette croyance. Il a lui – même ses préférences, et donc des préjugés,  liées à son âge et à son milieu social.

 

13) Selon Durkheim, « il faut expliquer les fais sociaux comme des choses ». Que veut il dire ?

« Traiter les faits sociaux comme des choses » signifie qu’ils doivent être considérés comme des objets scientifiques, c’est-à-dire indépendamment des opinions du sociologue. Il s’agit pour Durkheim de mettre en œuvre ce que Gaston Bachelard nomme la rupture épistémologique : le fait scientifique doit être conquis, construit et constaté.

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