Le creusement des déséquilibres entre les pays membres de 1999 à 2007, puis la crise débutant en 2007 ont mis en évidence les défauts de l’organisation de la zone euro. Les institutions européennes comme les pays membres ont été incapables de mettre en œuvre une stratégie économique commune, ni même une coordination satisfaisante de leurs politiques économiques. […]
Selon la théorie économique, il ne peut y avoir de monnaie unique entre des pays qui ont des situations économiques différentes et qui gardent des politiques économiques autonomes. La monnaie unique suppose de mettre en place des mécanismes de coordination des politiques économiques, de contrôle et de solidarité. […] Ces mécanismes ne peuvent consister en des règles numériques rigides, sans fondement économique, inscrites dans un traité. Ils doivent être à la fois souples (les politiques économiques doivent être négociées entre pays compte tenu des situations nationales) et contraignants (chacun doit se plier aux décisions communes). Mais comment aboutir à un accord entre des pays dont les intérêts et les analyses diffèrent ? Comment convaincre un pays de modifier sa politique économique pour tenir compte de la situation de ses partenaires ?
Il ne peut y avoir de solidarité inconditionnelle entre des pays à politiques différentes et autonomes. Ainsi, les pays du nord de l’Europe peuvent-ils refuser d’aider ceux du Sud, leur reprochant de n’avoir pas fait les réformes nécessaires, d’avoir laissé gonfler leurs déséquilibres, d’être incapables de tenir leurs engagements. Mais, cette solidarité est indispensable pour que la monnaie unique soit pleinement garantie.
Selon la Constitution européenne, la BCE n’a pas le droit de financer directement les États (article 123) ; la solidarité financière entre les États membres n’est pas garantie (article 125). Ainsi, chaque pays membre doit-il se financer sur les marchés financiers sans recours assuré à une banque centrale « prêteuse en dernier ressort ». Ceci ouvre la possibilité qu’il ne puisse tenir ses engagements et fasse défaut. Sa dette n’est plus sans risque. Contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon, les pays de la zone euro ont perdu leur souveraineté monétaire. Les marchés financiers n’en avaient pas pris conscience jusqu’à début 2009. Depuis, échaudés par le défaut de la Grèce, ils ont imposé des taux insoutenables aux pays en difficulté, augmentant encore les difficultés de ces pays.
Les pays de la zone euro sont dorénavant soumis à l’arbitrage des marchés financiers et, contrairement aux pays anglo-saxons et au Japon, ne contrôlent plus leur taux d’intérêt. Or les marchés financiers n’ont pas de compétence macroéconomique, sont autoréalisateurs et savent qu’ils le sont. Pourtant, les pays du Nord refusent que les dettes publiques des pays membres soient collectivement garanties. Ils estiment que la discipline imposée par les marchés financiers est nécessaire. Or, la disparité des taux d’intérêt est d’un coût élevé et arbitraire. À terme, un pays comme l’Italie, avec un taux d’intérêt supérieur de 2 points à celui de la France, devrait payer aux marchés financiers un tribut de l’ordre de 2,5 % de son PIB pour compenser un présumé risque de défaut. La notion de monnaie unique disparaît : une entreprise espagnole ne s’endette pas au même taux qu’une entreprise allemande.
Catherine Mathieu, Henri Sterdyniak. « Quelle gouvernance pour la zone euro ? » Revue de l'OFCE - Débats et politiques, 2014.
Questions :
18) Quelles fragilités de l’UEM sont mises en avant par les auteurs ?
19) Dans quelle mesure est-il possible de mener un policy mix au sein de la zone euro ?
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18) Quelles fragilités de l’UEM sont mises en avant par les auteurs ?
La crise économique de 2008 a révélé certaines fragilités structurelles de l’union économique et monétaire. D'abord, les pays de la zone euro ont renoncé à leur souveraineté monétaire, confiée à la BCE. Les pays sont donc soumis à une politique monétaire et un taux d’intérêt nominal uniques, fixés par la BCE, en dépit de leur hétérogénéité économique. L’adoption d’une monnaie unique rend par ailleurs nécessaire une certaine coordination des politiques économiques. Or, face aux divergences des situations, ces politiques prennent davantage la forme de règles structurelles, à l’instar du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui vise à instaurer une discipline budgétaire au sein de la zone euro. Le déficit des Etats ne doit pas dépasser 3% du PIB et la dette 60% du PIB. Enfin, l’absence de mécanismes de solidarité financière et de rôle de prêteur en dernier ressort attribué à la BCE creusent encore davantage l’hétérogénéité économique au sein de la zone.
19) Dans quelle mesure est-il possible de mener un policy mix au sein de la zone euro ?
Rappelons que le policy mix se définit comme l’utilisation conjointe et coordonnée de la politique budgétaire afin de stabiliser la conjoncture économique. Pour la zone euro, la réalisation de la politique budgétaire relève de la BCE avec pour objectif principal la stabilité des prix. La politique budgétaire quant à elle est contrainte par le PSC qui cherche à limiter les déficits excessifs. Le policy mix européen repose donc d’un côté sur la discipline budgétaire et de l’autre sur le contrôle de l’inflation. Si la BCE a pu mener des actions non conventionnelles pour injecter des liquidités à l’occasion de la crise des subprimes, elle ne dispose pas d’un objectif de croissance économique, à l’instar de la FED. Par ailleurs, le PSC rend difficile la mise en place de politiques budgétaires expansionnistes, ce qui laisse alors peu de libertés quant au choix du policy mix européen.