Conversation avec Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran coordinatrices de l’ouvrage collectif L’économie mondiale 2021, La Découverte (collection Repères).
The Conversation : Cette pandémie a jeté une lumière crue sur les interdépendances qui façonnent aujourd’hui l’économie mondiale et les vulnérabilités qui leur sont associées. Est-ce le début de la fin de la mondialisation commerciale ?
Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran : Sans doute pas et il est de toute façon trop tôt pour le savoir, mais avec cette crise, la mondialisation et plus exactement l’organisation internationale des chaînes de valeur caractérisée par une fragmentation entre plusieurs pays des différentes étapes de production vont entrer dans une phase nouvelle. Que l’on y voie un moteur de développement et d’innovation ou une dérive lourde de menaces, l’essor des chaînes de valeur mondiales est la signature la plus marquante des transformations économiques des trois dernières décennies, qui ont ouvert une nouvelle ère de la mondialisation.
Les relations macroéconomiques internationales, les politiques de développement et la répartition des revenus en ont été profondément transformées. La crise sanitaire amène à reconsidérer le rapport coûts-bénéfices de cette organisation internationale des chaînes de valeur, en faisant effectivement prendre conscience du danger d’une dépendance trop forte de la production, lorsque celle-ci concerne par exemple des médicaments ou des masques que l’on ne peut plus réaliser de manière autonome.
The Conversation : Cette prise de conscience des conséquences de notre dépendance à la production étrangère a conduit à relancer le débat autour des questions de relocalisation, réindustrialisation… Ces questions sont-elles pertinentes ? Doivent-elles être réglées au niveau national ? Européen ? De quelle manière ?
Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran : La désindustrialisation est un processus qui concerne tous les pays avancés, mais certains comme la France ont connu une désindustrialisation accélérée. C’est ce que l’on observe lorsque l’on compare l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB en France, passée de 17,5 % en 1995 à 11 % en 2019, et en Allemagne, où elle est restée constante à 23 %.
Cette désindustrialisation accélérée est intimement liée aux déficits extérieurs persistants : pour un niveau de demande interne donnée, un déficit extérieur revient à diminuer la production et à la remplacer par des importations. (…)
Les changements majeurs de politiques fiscale et sociale intervenus en Allemagne au début des années 2000 sont à l’origine du tournant observé à ce moment-là dans l’évolution du solde courant allemand : déficitaire dans les années 1990, il est depuis quatre ans le plus élevé au monde autour de 7 % du PIB. (…)
Aussi pour éviter que la relance en Europe ne conduise à une nouvelle accélération de la désindustrialisation en France, il est indispensable que l’Allemagne prenne sa part de stimulation de la demande. Cela réclamera que le mouvement qu’elle a engagé en ce sens se consolide. C’est donc bien au niveau macroéconomique et européen, par la coordination des plans de relance et le rééquilibrage de la demande, que se jouera pour beaucoup l’avenir des dynamiques industrielles.
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1 septembre 2020
Questions :
1) Qu’est-ce qu’une chaîne de valeur mondiale (CVM) ?
2) Selon l’auteur, la pandémie mettra-t-elle fin aux CVM ?
3) Quelles sont les principales transformations liées à la mondialisation pointées par ces deux économistes ?
4) Qu’est-ce que la désindustrialisation ?
5) Tous les pays européens ont-ils connu une désindustrialisation ? Donnez une explication en utilisant les termes de « compétitivité » et « productivité ».
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Corrigé :
1) Qu’est-ce qu’une chaîne de valeur mondiale (CVM) ?
Une chaîne de valeur mondiale (CVM) est une succession d’activités exécutées par les entreprises dans différents pays pour créer de la valeur lors des diverses étapes de la production et de la commercialisation. La conception des produits, la fabrication des composants, leur assemblage et leur commercialisation sont réparties dans le monde entier dans le cadre de chaînes de production internationales. Les produits sont « Fabriqués dans le monde » plutôt que dans une seule économie. Les CVM sont donc une organisation internationale de la production caractérisée par une fragmentation entre plusieurs pays des différentes étapes du processus de production des biens ou services.
2) Selon l’auteur, la pandémie mettra-t-elle fin aux CVM ?
Pour l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran la pandémie va plutôt faire entrer l’organisation internationale des chaînes de valeur dans une nouvelle phase puisque les pays vont reconsidérer le rapport coûts-bénéfices de cette organisation internationale du travail et réévaluer leur dépendance trop forte dans certaines productions (cf. médicaments)
3) Quelles sont les principales transformations liées à la mondialisation pointées par ces deux économistes ?
Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, la mondialisation s’est caractérisée par une fragmentation des processus de production et un essor de ces chaînes de valeur. Ces CVM ont transformés les relations macroéconomiques internationales ainsi que la répartition des revenus.
Les CVM renforce la dépendance de la production et accentue le mouvement de désindustrialisation dans certaines économies avancées comme la France.
4) Qu’est-ce que la désindustrialisation ?
La désindustrialisation est le processus de baisse de la part de la valeur ajoutée créée par l’industrie dans le PIB. Il peut aussi se mesurer par la baisse de l’emploi industriel dans l’emploi total
5) Tous les pays européens ont-ils connu une désindustrialisation ? Donnez une explication en utilisant les termes de « compétitivité » et « productivité ».
Tous les pays européens n’ont pas connu une désindustrialisation. Grâce à la compétitivité de leurs productions, les firmes allemandes ont pu maintenir voire augmenter leur part de marché à l’exportation. Les gains de productivité mais aussi l’innovation ou la qualification de la main d’œuvre expliquent la forte compétitivité hors-prix de l’industrie allemande.