Document 4 : L’intérêt du régionalisme face aux difficultés du multilatéralisme

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L’intérêt du régionalisme face aux difficultés du multilatéralisme : analyse comparée des gains et des pertes générés par la signature d’accords commerciaux régionaux

Les difficultés du multilatéralisme, dont l’échec du dernier Cycle de négociations commerciales de l’OMC est l’illustration, ont renouvelé l’intérêt pour le régionalisme, à savoir un vaste ensemble d’accords dérogeant au principe de non-discrimination fondateur du GATT. Dans un accord régional, les pays entrent dans une relation privilégiée, allant de la simple suppression des droits de douane à l’union économique, en passant par la mise en place d’un tarif extérieur commun. Il s’agit dans tous les cas de concessions réciproques, par opposition aux concessions unilatérales.

Au cours des années 1990, le nombre d’accords régionaux actifs a quadruplé. Plusieurs raisons à cela : i) les difficultés à avancer dans le cadre multilatéral compte tenu du nombre de pays prenant part aux négociations ; ii) l’abaissement généralisé des barrières douanières classiques amenant à faire porter les accords sur des mesures non tarifaires, de nature réglementaire ; iii) le développement des chaînes de valeur transfrontières  intensifiant les relations commerciales entre les pays et les incitant à négocier des accords ; enfin, iv) la modification de la géographie économique mondiale impliquant de négocier de nouveaux accords, sans nécessairement dénoncer les anciens. […]

Au cours de la période 1995-2014 [ …], la proportion des paires de pays membres de l’OMC ayant signé un accord commercial régional est ainsi passée d’environ 5 % à 20 %. […] La géographie « naturelle » des accords commerciaux régionaux reflète les déterminants économiques de la signature de ces accords. […][L]’Allemagne et la France sont, par exemple, des partenaires commerciaux importants et cela a bien entendu à voir avec l’implication de ces deux pays dans un Marché Commun depuis la fin des années 1950, mais ces pays avaient toutes les caractéristiques faisant d’eux d’excellents candidats à la signature d’un tel accord commercial régional avant même le Marché Commun. […]

[L]es déterminants [économiques] de la probabilité de signer un accord pour une paire de pays rejoignent les théories usuelles du commerce international. Plus les pays sont grands, plus ils gagnent à signer des accords commerciaux, et ce en raison des économies d’échelle et des gains de variété (gains à disposer d’un plus grand choix de produits) à réaliser. Ces gains sont d’autant plus forts que les pays signent des accords avec des partenaires de taille économique similaire. Les pays proches géographiquement sont des partenaires naturels, et ceci d’autant plus que leurs autres partenaires commerciaux sont distants (l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des partenaires naturels, par exemple). La possibilité pour les deux pays de se spécialiser (selon leur avantage comparatif) les rend plus complémentaires, les incitant à signer un accord. Enfin, l’intensité du fractionnement des chaînes de valeur joue bien le rôle attendu : plus les pays ont des chaînes de valeur imbriquées, plus leurs échanges en valeur ajoutée sont importants, et plus ils gagnent à signer un accord commercial. Enfin, le fait d’avoir signé un accord avec d’autres pays, ou que d’autres pays en aient signé entre eux, joue un rôle marginal. […]

[Selon cette analyse], [l]a Chine, par exemple, a une forte probabilité de signer un accord avec l’Union européenne.  […]  

Pour évaluer les effets attendus d’une signature d’accords économiquement justifiés, il est nécessaire d’estimer l’impact de ces accords sur les coûts de transaction bilatéraux et mondiaux. En effet, si d’un côté un accord commercial régional réduit les coûts de transaction bilatéraux entre les deux pays signataires, de l’autre, il augmente relativement ceux vis-à-vis des autres partenaires exclus de l’accord, avec des conséquences sur les prix, la production, la consommation. C’est donc toute la matrice du commerce international (et des prix puisque les coûts de commerce sont modifiés) qui s’en trouve affectée.

Que se passerait-il si la Chine signait tous les accords pour lesquels elle a un intérêt économique […] ? Le volume des exportations totales des pays signataires de ces accords augmenterait de 5 % environ, et le gain de PIB serait de l’ordre d’un demi-point. Les pays tiers verraient quant à eux leur commerce baisser avec la Chine (effets de détournement), mais cet effet resterait marginal (environ un vingtième de point de PIB).

Ces accords « naturels » ne sont cependant pas toujours ceux négociés. De ce point de vue, le périmètre retenu pour l’accord de partenariat économique régional global (RCEP)1, poussé par la Chine en réaction au partenariat Trans-Pacifique à 11 (TPP11)2, est un cas d’école : les gains de commerce pour la Chine seraient de l’ordre de 6 % pour la période récente, et ceux en termes de PIB de 0,4 %. Mais surtout, cet accord, dont la négociation a démarré en novembre 2012, apparaît de moins en moins nécessaire (économiquement) à mesure que le temps passe : les gains attendus diminuent au fil du temps. Ce résultat s’explique simplement par le fait que la Chine est devenue un acteur économique global, notamment en raison de sa forte intégration dans des chaînes de valeurs qui s’étendent bien au-delà de ses voisins, et intègrent désormais l’Europe, le Mexique et certains pays africains. En tant que tel, elle est désormais un concurrent frontal des États-Unis. La récente interdiction par les États-Unis visant les exportations de composants électroniques de l’entreprise chinoise ZTE illustre la prise de conscience de cette réalité par l’administration américaine.

 

Notes :

1 : Le Partenariat économique régional global, ou en anglais : Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), est un projet d'accord de libre-échange entre quinze pays autour de l'océan Pacifique. Les quinze nations de l'Asie-Pacifique membres de l'accord signé le 15 novembre 2020 sont les dix pays membres de l'ASEAN, à savoir : la Birmanie, Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam, ainsi que cinq autres pays qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l'ASEAN, à savoir : l'Australie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande.

2 :  L'Accord de partenariat transpacifique, aussi connu sous le nom de « Partenariat transpacifique » ou sous son nom anglais « Trans-Pacific Partnership » (TPP), est un traité multilatéral de libre-échange signé le 4 février 2016, qui vise à intégrer les économies des régions Asie-Pacifique et Amérique. 11 pays l’ont signé à ce jour, les Etats-Unis s’étant retiré le 23 janvier 2017 : Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Viêt Nam

Source : Lionel Fontagné et Gianluca Santoni,  « Carnet de bal des accords commerciaux régionaux », La lettre du CEPII, n° 387   avril 2018

 

Questions :

10) Comment expliquer le dynamisme des ACR ?

11) Quels sont les déterminants économiques des ACR ?

12) Quels sont les effets attendus d’un ACR ?

13) En vous appuyant sur l’exemple de la Chine dans le document, à quelle condition la signature d’ACR est-elle bénéfique économiquement ?

 

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10) Comment expliquer le dynamisme des ACR ?

Comparativement aux négociations multilatérales qui stagnent, les ACR présentent certains avantages comme le nombre plus réduit de participants qui facilite les négociations commerciales, la possibilité de négocier des accords concernant les barrières non tarifaires, la possibilité de négocier des accords avec les partenaires transfrontaliers avec qui les échanges se développent. Les ACR semblent favoriser l’extension du libre-échange entre pays membres d’une même zone, ce qui limite la portée multilatérale des échanges.

11) Quels sont les déterminants économiques des ACR ?

Les déterminants économiques des accords commerciaux régionaux sont :

  • La taille importante des pays pour bénéficier d’économie d’échelle et inciter à l’échange de variété
  • Une taille économique similaire
  • La spécialisation en fonction leurs avantages comparatifs qui rend les pays complémentaires et non concurrents
  • L’imbrication dans des chaînes de valeur communes qui multiplient les échanges commerciaux entre pays dans le cadre d’un commerce intra-firme où les pays sont des territoires complémentaires

12) Quels sont les effets attendus d’un ACR ?

Les auteurs de la lettre du CEPII, Lionel Fontagné et Gianluca Santoni, s’appuient implicitement sur la célèbre analyse néoclassique de l’intégration régionale issue des travaux de J. Viner (The Customs Union Issue (1950)) qui montre que les ACR sont à l’origine de « création de trafic » entre membres de l’accord mais génère un « détournement de trafic » avec les pays partenaires commerciaux extérieurs à l’accord. Pour les auteurs du CEPII, les ACR restructurent « toute la matrice du commerce international (et des prix puisque les coûts de commerce sont modifiés) » en diminuant les coûts de transaction bilatéraux (entre les deux pays signant l’accord) et en augmentant les coûts de transaction mondiaux (entre les pays membre de l’accord et le reste du monde).

13) En vous appuyant sur l’exemple de la Chine dans le document, à quelle condition la signature d’ACR est-elle bénéfique économiquement ?

Un ACR est bénéfique économiquement si la réduction du volume des échanges commerciaux avec le reste du monde (pertes de PIB) est inférieure à l’augmentation du volume des échanges commerciaux entre pays signataires (gains de PIB), soit lorsque les gains sont supérieurs aux pertes avant et après l’ACR. Ainsi, comme l’indiquent les auteurs, si la Chine signait tous les accords pour lesquels elle a un intérêt économique, le volume des exportations totales des pays signataires de ces accords augmenterait de 5 % environ, et le gain de PIB serait de l’ordre d’un demi-point. Les pays tiers verraient quant à eux leur commerce baisser avec la Chine (effets de détournement), mais cet effet resterait marginal

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