Document 4 : L'évolution historique des inégalités mondiales de revenus

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Le graphique que nous vous proposons montre le retournement historique de l'évolution de l'inégalité des revenus dans le monde : après pratiquement deux siècles de hausse continue des inégalités entre les citoyens du monde, à la suite de la révolution industrielle, ce processus s'est ralenti, puis renversé depuis une vingtaine d'années. Cette rupture de tendance est le résultat d'une forte baisse des inégalités économiques entre pays, notamment entre pays développés et pays en développement, depuis les années 1990. Mais, dans le même temps, un autre renversement s'est produit : après plusieurs décennies de stabilité, les inégalités à l'intérieur d'un grand nombre de pays, développés ou en développement, tendent à augmenter à nouveau.

Sur le graphique, la courbe rouge de l'inégalité mondiale représente l'évolution des inégalités dans la distribution mondiale des niveaux de vie. La dispersion des revenus est calculée à l'aide d'un indice synthétique, le coefficient de Theil. Comme l'indice de Gini, plus l'indicateur de Theil est élevé, plus les inégalités sont fortes. Entre 1990 et 2010, le Theil global est passé de 0,95 à 0,72 soit une diminution de 24%. Ainsi, le niveau d'inégalité mondiale, entre tous les habitants de la planète, a retrouvé un niveau comparable à celui de la fin du XIXe siècle.

L'avantage de l'indice de Theil est qu'il permet de décomposer l'inégalité totale en une inégalité due aux écarts de revenus moyens entre pays (inégalité intergroupe) et une inégalité due aux différences de revenus au sein de chaque pays (inégalité intragroupe). Ainsi en 2010, le Theil global est la somme du Theil entre pays (0,48) et du Theil interne (0,24). On constate que les inégalités de revenus entre pays (courbe bleue) sont plus marquées de nos jours que les inégalités à l'intérieur des pays (courbe jaune), alors que jusqu'au début du XXe siècle la dispersion interne des revenus était plus forte que la dispersion entre pays. Cependant, depuis 1990, les inégalités entre pays ont chuté de 35%, tandis que les inégalités internes ont augmenté de 14%, ce qui a juste freiné la forte baisse de l'inégalité mondiale. […]

Comment interpréter cette évolution de l'inégalité mondiale et de ses composantes ?

Dans La mondialisation de l'inégalité (2012), François Bourguignon met en relation ce constat empirique avec le processus de mondialisation.

La réduction des inégalités internationales (entre pays) est due à la croissance exceptionnelle des pays émergents, notamment asiatiques. Un processus de rattrapage s'est engagé à la fin du XXe siècle en Chine, en Inde, en Indonésie, au Brésil, au Chili… Il s'est étendu à une grande partie des pays en développement, y compris l'Afrique subsaharienne. L'ouverture internationale, l'insertion dans la division internationale du travail, l'accès aux marchés et aux technologies des pays du Nord ont été des facteurs incontestables d'accélération de la croissance des économies émergentes et d'amélioration du revenu moyen par tête depuis 1990 (+ 8% par an en Chine, + 4% en Inde). Du fait de leur poids très important dans la population mondiale, la Chine et l'Inde contribuent très largement, par leur essor économique, à la réduction des inégalités entre les habitants de la planète. Cette diminution de l'inégalité mondiale masque cependant des évolutions moins favorables qu'il ne faut pas négliger : d'une part la faible croissance ou la diminution depuis une vingtaine d'années du niveau de vie par habitant de pays pauvres, de plus petite taille, situés pour la grande majorité en Afrique, d'autre part la hausse des écarts absolus de revenu moyen malgré la baisse de l'inégalité relative.

Examinons à présent les facteurs de l'autre retournement de tendance. Après une longue période de baisse puis de stabilisation des inégalités internes de niveaux de vie, que l'on peut mettre en relation avec le développement des Etats providence au XXe siècle (mais pas seulement), celles-ci s'élèvent dans la majorité des pays de l'OCDE depuis 20 à 25 ans, y compris dans des pays très égalitaires comme les pays scandinaves. Elles tendent aussi à s'accroître, mais de manière moins marquée et uniforme dans les pays en développement. Pour François Bourguignon, la mondialisation joue un rôle essentiel dans cette évolution, en particulier pour les pays développés, en contribuant au creusement des écarts entre revenus du capital et revenus du travail, et entre revenus du travail qualifié et revenus du travail non qualifié. En effet, la concurrence Nord-Sud, qui est source, dans les pays développés, de désindustrialisation, de délocalisations et de réallocation des emplois vers les services, a un impact négatif sur les salaires et les emplois des travailleurs de qualification basse et moyenne. Inversement, en haut de la distribution, les travailleurs les plus qualifiés et les détenteurs de patrimoine tirent profit de la mobilité internationale du travail, de la mondialisation de l'activité des firmes et de la libéralisation financière, ce qui se traduit par une envolée des très hauts revenus (dirigeants et actionnaires des grandes entreprises, traders, stars, chercheurs de renommée internationale, etc.). Les rémunérations des grands patrons sont proportionnelles à la taille des entreprises qu'ils gèrent, celles des traders ou des stars du sport et du cinéma aux gains ou aux profits qu'ils génèrent, poussant à la hausse par ricochet les salaires des cadres, avocats, coachs ou agents qui travaillent pour eux. Il est clair que la mondialisation joue un rôle dans ces effets d'échelle, mais aussi dans l'imposition de nouvelles normes sociales en matière de rémunération.

Source : D’après François Bourguignon, « L’évolution des inégalités mondiales de 1870 à 2010 », SES-ENS Lyon, 2016

Questions :

7) Comment évoluent les inégalités depuis les années 1990 ?

8) Quel rôle peut jouer la mondialisation dans cette évolution ?

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7) Comment évoluent les inégalités depuis les années 1990 ?

On note que les inégalités mondiales (inégalités entre citoyens du monde) ainsi que les inégalités entre pays ont diminué depuis 1990, tandis que les inégalités à l’intérieur des pays ont augmenté.

8) Quel rôle peut jouer la mondialisation dans cette évolution ?

D’après François Bourguignon dans La mondialisation de l'inégalité (2012), la mondialisation joue un rôle non négligeable. D’abord, c’est le rattrapage de l’Asie qui favorise une réduction des inégalités entre pays et une réduction des inégalités mondiales (le niveau des chinois se rapproche de celui des pays occidentaux). En effet, depuis 1990, l'ouverture internationale, l'insertion dans la division internationale du travail, l'accès aux marchés et aux technologies des pays du Nord ont été des facteurs incontestables d'accélération de la croissance des économies émergentes et d'amélioration du revenu moyen par tête.

En parallèle, les inégalités à l’intérieur des pays ont augmenté car les plus qualifiés et les détenteurs de capital ont profité de la mondialisation alors que les classes moyennes et les moins qualifiés des pays développés en ont été les victimes. La mondialisation accentue la concurrence Nord-Sud, qui est source, dans les pays développés, de désindustrialisation, de délocalisations et de réallocation des emplois vers les services, ce qui a un impact négatif sur les salaires et les emplois des travailleurs de qualification basse et moyenne. Les travailleurs les plus qualifiés et les détenteurs de patrimoine tirent profit  quant à eux de la mobilité internationale du travail, de la mondialisation de l'activité des firmes et de la libéralisation financière, ce qui se traduit par une envolée des très hauts revenus.

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