La transition numérique est en marche. Des médias à l’automobile en passant par le tourisme, l’agriculture ou la santé, c’est désormais toute l’économie qui devient numérique. […] L’emploi numérique n’est pas constitué que d’ingénieurs informatiques ; ce sont aussi les chauffeurs de VTC, les emplois logistiques de la vente en ligne, les particuliers qui offrent des prestations touristiques, des travaux de réparation, etc. L’économie numérique n’exclut donc pas du tissu productif les travailleurs moins qualifiés. En revanche, elle tend à les déplacer de métiers routiniers, facilement automatisables, vers des tâches qui reposent sur des interactions humaines, pour lesquelles le robot ou l’ordinateur ne sont pas de bons substituts.
Il en résulte une polarisation du marché du travail. Tandis que les professions intermédiaires, situées au milieu de la distribution des salaires, tendent à se raréfier, l’économie numérique crée principalement deux catégories d’emplois : d’une part, des emplois bien rémunérés, à dimension managériale ou créative, requérant une qualification élevée ; d’autre part, des emplois peu qualifiés et non routiniers, largement concentrés dans les services à la personne, qui sont peu rémunérés car leur productivité reste faible.
Ce phénomène est perceptible dans toutes les économies avancées. En France, on observe depuis 1990 une réduction du poids des catégories socioprofessionnelles intermédiaires dans la population active et une hausse conjointe des catégories très rémunérées ou peu rémunérées. […] La France se distingue toutefois par sa difficulté à créer ces emplois peu qualifiés : la moitié de la différence entre le taux d’emploi aux États-Unis et en France s’explique par un déficit d’emploi dans le commerce et l’hôtellerie-restauration, secteurs intensifs en main d’œuvre peu qualifiée. Les causes sont connues : en dépit des politiques continues de diminution du coût du travail, celui-ci reste élevé pour les entreprises au niveau du SMIC (en particulier dans les zones où la productivité est plus faible), tandis que le droit du travail fait de la décision d’embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) une décision risquée, notamment dans le cas d’un travailleur sans diplôme et sans expérience.
Colin, Nicolas, et al. « Économie numérique », Notes du conseil d’analyse économique, vol. 26, no. 7, 2015, pp. 1-12.
Questions
1. Qu’est-ce que la polarisation des emplois ?
2. Pourquoi le numérique accentue-t-il le phénomène de polarisation des emplois ?
3. En quoi la France se distingue-t-elle des autres pays ?
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Réponses :
1. Qu’est-ce que la polarisation des emplois ?
La polarisation des emplois désigne le phénomène de hausse des emplois peu qualifiés d’une part et des emplois très qualifiés d’autre part au détriment des emplois intermédiaires. Les emplois se concentrent ainsi vers deux pôles dont les revenus et les conditions de travail ont tendance à s’écarter toujours plus.
2. Pourquoi le numérique accentue-t-il le phénomène de polarisation des emplois ?
Les TIC, en raison de leurs faibles coûts et des gains de productivité qu’elles engendrent, ont entraîné une substitution du capital au travail. Cette substitution du capital au travail s’est principalement effectuée au niveau des emplois intermédiaires pour lesquels les tâches peuvent être exécutées grâce aux TIC. C’est par exemple le cas des opérateurs de chaînes de production. Pour les travailleurs les moins qualifiés, cette substitution s’est traduite par un déplacement de la main d’œuvre vers le secteur des services pour lequel il est plus difficile de substituer le capital au travail. Enfin, pour les travailleurs les plus qualifiés, le développement du numérique constitue une opportunité. Formés aux nouvelles technologies, le numérique augmente leur productivité et rend plus difficile la substitution du capital au travail.
3. En quoi la France se distingue-t-elle des autres pays ?
Si la France connait un phénomène de polarisation des emplois, celui-ci semble moins marqué que pour d’autres économies. Le marché du travail français, caractérisé par l’existence d’un salaire minimum et d’une norme d’emploi en CDI, freine le mouvement de polarisation par le bas à savoir le développement d’emplois peu qualifiés.