Tout le monde ne peut pas avoir une monnaie faible au même moment : si une monnaie s’affaiblit, c’est qu’une autre au moins se renchérit. De cette vérité arithmétique est né le concept de « guerre des monnaies » : une course à la dépréciation monétaire qui ne peut que mal finir. La réalité est toutefois plus complexe car les principales banques centrales des pays développés poursuivent des objectifs internes. Ainsi, la Banque centrale européenne (BCE) a pour mission la stabilité des prix dans la zone euro, tandis que la Réserve fédérale américaine poursuit un double objectif de stabilité des prix et de plein-emploi. Leurs taux de change fluctuent librement sur le marché, en fonction de l’offre et de la demande. Ce ne sont pas des objectifs de politique économique, mais des canaux de transmission de la politique monétaire. En fait de « guerre des monnaies », on assiste à une confrontation de politiques monétaires dont les objectifs, les stratégies et les contraintes varient d’un pays à l’autre.
[…] Le taux de change nominal d’une monnaie détermine, à un moment donné, le prix relatif des biens et services produits dans ce pays, ainsi que la valeur relative des richesses accumulées dans les différentes monnaies. Une dépréciation nominale de la monnaie améliore transitoirement la compétitivité des exportateurs, lesquels peuvent, dans des proportions variables selon les secteurs, relever leurs marges ou gagner des parts de marché. Toutefois, les exportations de la France hors zone euro – les seules directement affectées par une dépréciation de l’euro – ne représentent que 11 % du PIB français : la baisse de l’euro ne peut être la réponse unique à notre déficit de compétitivité.
Parallèlement, il ne faut pas négliger l’impact cette fois négatif d’une dépréciation de la monnaie sur le pouvoir d’achat des ménages, et donc sur leur capacité à consommer des biens et des services : en renchérissant les biens importés, notamment ceux dont les ménages peuvent difficilement réduire leur consommation à court terme (essence), la dépréciation les amène à couper dans des dépenses de services locaux tels que les loisirs ou les services à la personne. Ainsi, la dépréciation entraîne deux types de transferts : des entreprises importatrices nettes (par exemple, le secteur des télécommunications) vers les entreprises exportatrices nettes (par exemple, l’aéronautique) ; et des ménages vers les entreprises exportatrices.
[…] On entend souvent dire qu’au-delà d’un certain seuil, une appréciation de l’euro serait particulièrement néfaste aux exportations. Cela suggère un effet non linéaire des variations de change : faible lorsque l’euro est proche de son niveau d’équilibre et fort lorsqu’il dévie fortement de celui-ci. Pour les exportateurs français, nous n’avons pas pu déceler un tel effet de seuil : une appréciation de l’euro de 10 % réduit les exportations d’une entreprise moyenne d’environ 5-6 % quel que soit le niveau de taux de change à partir duquel se fait cette appréciation.
[…] Une dépréciation de l’euro permet de réduire les prix des entreprises exportatrices françaises en monnaie étrangère. En théorie, le même effet peut être obtenu par une baisse de prix en euro, sans variation de taux de change. Nous avons vérifié que l’impact d’une dépréciation nominale de l’euro a le même effet sur la valeur des exportations qu’une baisse des prix en France par rapport aux prix étrangers. Ceci est important car si le taux de change nominal n’est plus un instrument de politique économique du gouvernement français, celui-ci peut néanmoins influencer les prix des exportateurs à travers sa panoplie de politiques économiques qui ont un impact direct sur les coûts des entreprises (charges sociales, taxation, coût de l’énergie…). Les entreprises françaises peuvent aussi améliorer leur compétitivité en travaillant sur la qualité de leurs produits. Là encore, la politique économique, en termes de soutien à l’innovation et à la recherche et en termes de formation, n’est pas impuissante. Alors qu’une dépréciation nominale n’a qu’un effet de court-moyen terme sur la compétitivité, les réformes structurelles permettant une baisse des coûts ou une amélioration de la qualité des biens produits ont un effet permanent sur la compétitivité. L’avantage d’une dépréciation nominale est que l’effet compétitivité est rapide mais il ne diminue en rien la nécessité de réformes qui doivent améliorer la compétitivité structurelle de l’économie française, lesquelles favorisent l’ensemble des exportations et non pas seulement celles à destination de pays hors zone euro.
Bénassy-Quéré, Agnès, et al. « L'euro dans la « guerre des monnaies » », Notes du conseil d’analyse économique, vol. 11, no. 1, 2014, pp. 1-12.
Questions :
6) Qu’est-ce que la « guerre des monnaies » ? Est-on dans ce cas de figure ?
7) Quels arguments permettent de relativiser le problème de l’euro fort ?
8) Selon les auteurs, que faudrait-il faire pour améliorer la compétitivité des entreprises ?
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6) Qu’est-ce que la « guerre des monnaies » ? Est-on dans ce cas de figure ?
La guerre des monnaies désigne une situation dans laquelle les pays cherchent à déprécier leur monnaie, c'est-à-dire à conserver une monnaie relativement faible, dans le but de gagner en compétitivité prix. Pour les auteurs, il serait abusif de parler aujourd’hui de guerre des monnaies dans la mesure ou les politiques monétaires menées par les banques centrales poursuivent des objectifs internes tels que la stabilité des prix ou le soutien à l’activité économique.
7) Quels arguments permettent de relativiser le problème de l’euro fort ?
Pour les auteurs, il est nécessaire de relativiser le constat selon lequel l’euro fort pénalise systématiquement les économies qui l’ont adopté. D’abord, il faut rappeler que la question du taux de change ne concerne que les exportations hors zone euro et que le commerce de biens intra UE-27 représente près de 60% des échanges de la zone euro. Ensuite, une dépréciation monétaire se traduit certes par une baisse du prix des exportations mais se traduit également par une hausse du prix des importations, ce qui dégrade au moins à court terme le pouvoir d’achat des ménages. En outre, les résultats des études empiriques montrent que les effets de l’appréciation de l’euro sur les exportations ne sont ni linéaires, ni mécaniques. Enfin, la valeur de l’euro ne doit pas être une excuse pour masquer un manque de compétitivité – structurelle ou non – des pays.
8) Selon les auteurs, que faudrait-il faire pour améliorer la compétitivité des entreprises ?
La question de la compétitivité prix ne dépend pas que des variations de change. Pour les auteurs, il est important de mettre en œuvre des politiques économiques qui améliorent la compétitivité prix des pays, en réduisant par exemple le niveau des prélèvements obligatoires. Par ailleurs, des politiques structurelles peuvent accroître la compétitivité hors prix des pays en incitant à l’innovation ou en impulsant des changements dans la dynamique de spécialisation.