Document 3. L’actualité du paradoxe de Condorcet

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Le « paradoxe de Condorcet » est un problème logique qui se révèle aujourd’hui éclairant pour penser une dimension de la « crise de la représentation », celle de l’importance du mode d’expression des préférences. Celle-ci a été mise en relief par certaines propositions récentes critiques d’aménagement du référendum visant à introduire des modalités délibératives, qui permettraient d’expliciter les motifs de l’électeur.

Le constat d’un écart entre la comptabilisation des préférences collectives et individuelles agrégées

Nicolas de Condorcet a énoncé dans son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix (1785) la loi mathématique appliquée au vote selon laquelle, avec une probabilité proche de 9%, la préférence collective contredit les préférences individuelles agrégées, lorsqu’il y a un nombre de votants supérieur à 10 et qu’ils se ventilent de manière purement probabiliste entre trois options ou plus (cette probabilité augmente avec le nombre d’options). Autrement dit, on a une intransitivité possible de la majorité, la majorité arithmétique ne traduit pas effectivement la volonté générale (construite rationnellement).

Le mode d’expression des préférences choisi par Condorcet

Le paradoxe de Condorcet dit qu'il est possible, lors d'un vote où l'on demande aux votants de classer trois propositions (A, B et C) – qui peuvent être trois candidats - par ordre de préférence, qu'une majorité de votants préfère A à B, qu'une autre préfère B à C et qu'une autre préfère C à A. L’unique vainqueur sera le candidat qui, comparé tour à tour à chacun des autres candidats s’avèrerait à chaque fois être le candidat préféré. Ainsi, François Bayrou a été le « vainqueur de Condorcet » des élections présidentielles de 2007 et 2012 (il aurait vaincu deux à deux chacun des autres candidats) sans passer le cap du second tour, principalement à cause du mode de scrutin majoritaire à deux tours, et Emmanuel Macron a été le « vainqueur de Condorcet » en 2017, malgré ce mode de scrutin. Selon les cas, moyenne arithmétique et « volonté générale » (Rousseau) coïncident ou pas.

C'est le mode d'expression des préférences de chaque votant, sous la forme de relations (de type A > B > C) qui mène à ce résultat paradoxal, compte tenu du mode de scrutin.

Application pratique du paradoxe de Condorcet

Pour les élections réelles, la méthode de Condorcet (complexe, car elle décompose le choix opéré par l’électeur en comparaisons simultanées, et nécessiterait des modalités particulières) n'est pas appliquée. Mais si par exemple, on l’appliquait son raisonnement en France, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours pourrait faire arriver seulement en troisième place un candidat qui pourtant battrait en duel les deux qualifiés du second tour.

Source : S. d’Ornano, Melchior

 

Questions

1. Quel problème logique et politique pose le paradoxe de Condorcet lors d’un vote utilisant un mode de scrutin majoritaire ?

2. De quel critère et de quelles hypothèses découlent ce paradoxe ?

3. Pourquoi la complexité de la « méthode Condorcet » empêche-t-elle son application au résultat d’élections réelles ?

4. Pourquoi cependant, cette réflexion sur le mode d’expression des préférences lors d’un vote invite-t-elle à s’interroger sur les scrutins d’une démocratie représentative ?

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1.Quel problème logique et politique pose le paradoxe de Condorcet lors d’un vote utilisant un mode de scrutin majoritaire ?

La préférence collective contredit les préférences individuelles agrégées, ce qui du point de vue de l’électeur rationnel, fausse le résultat d’une élection. Autrement dit, la majorité arithmétique peut, dans certains cas (estimés à environ 9%) ne pas coïncider avec la volonté générale (Rousseau) qui devrait s’incarner dans le candidat qui de fait battrait en duel chacun des autres.

2.De quel critère et de quelles hypothèses découlent ce paradoxe ?

Le critère logique du vote est fondé sur un mode d’expression des préférences qui consiste à demander aux votants de classer trois propositions (A,B,C) – qui peuvent être trois candidats - par ordre de préférence. Dans le système de vote de Condorcet, l’unique vainqueur est le candidat qui comparé tour à tour à chacun des candidats, s’avèrerait à chaque fois le candidat préféré. Ainsi, François Bayrou a été le « vainqueur de Condorcet » des élections présidentielles de 2007 et 2012, sans pourtant être élu.

3.Pourquoi la complexité de la « méthode Condorcet » empêche-t-elle son application au résultat d’élections réelles ?

La complexité résulte ici de la nécessité de décomposer les choix agrégés des électeurs en comparaisons simultanées entre chacun des candidats entre eux. Cela nécessiterait un aménagement des bulletins de vote, pour prendre en compte la hiérarchisation opérée par chaque électeur entre au minimum trois candidats (A>B>C).

4.Pourquoi cependant, cette réflexion sur le mode d’expression des préférences lors d’un vote invite-t-elle à s’interroger sur les scrutins d’une démocratie représentative ?

Le paradoxe de Condorcet montre que le résultat d’un vote dépend des modalités d’un système électoral, au-delà de de l’expression – apparemment simple – des votes individuels. Ainsi, le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tel qu’il existe en France pour les élections présidentielles, privilégie une logique de clivage traditionnel Gauche/ Droite, et incite les électeurs à voter « utile », ce qui diminue fortement les chances du « vainqueur de Condorcet » de gagner au final. Encore faut-il passer le cap du second tour !

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