En 1910, Henry Ford s’installe dans sa nouvelle usine de Highland Park, près de Detroit, conçue pour produire la Ford T. Modèle unique de la firme depuis 1909, il veut en faire, notamment grâce à son prix, la voiture de la classe moyenne américaine. Car pour conquérir un vaste marché et dépasser ses concurrents (Buick principalement, sur cette catégorie de voiture), Ford applique une politique systématique de baisse des prix de vente : de 900 dollars en 1909, le prix passe à 680 dollars en 1910, 590 en 1911 et 500 dollars en 1914. Ceci est permis par les économies d’échelle, les standardisations dues au modèle unique et les efforts des ingénieurs qui ont permis une amélioration des méthodes de production, de l’outillage et des modifications de détails sur la voiture, qui font gagner du temps et de l’argent. En 1911, avec 34 528 modèles vendus, Ford devient le premier producteur mondial.
C’est toutefois la mise en place de convoyeurs et de la chaîne de montage qui va faire bondir la productivité du travail ouvrier. L’idée n’est pourtant pas, elle non plus, nouvelle. Aux Etats-Unis, des chaînes existent dans les usines de conserve de Cincinnati dès les années 1850, où les quartiers de viande sont suspendus à des rails, tout comme, à une échelle plus grande, dans les abattoirs-fabriques de Swift et Armour, à Chicago, dans les années 1880. Vers 1890, à Pittsburgh, la Westinghouse Air Brake Company utilise déjà un convoyeur mécanique pour transporter les moules des pièces de freins pneumatiques ; la fonderie Crane de Chicago adopte à son tour ce système pour mouler des soupapes. C’est à la fin de 1912 que des ingénieurs de Ford vont s’en inspirer pour construire une première chaîne dans le secteur de la fonderie. Elle sera suivie de beaucoup d’autres, notamment pour le montage des châssis et des moteurs.
En avril 1914, il ne faut plus que 93 minutes par homme pour monter un châssis, contre 840 sept mois auparavant. Pour les moteurs, la chaîne permet de passer de 594 minutes à 238. Résultat : 248 307 Ford T sont fabriquées dans 18 usines aux Etats-Unis par 12 880 salariés (soit près de 20 voitures par salarié) et vendues, entre octobre 1913 et octobre 1914, au prix de 500 dollars l’unité. Ford a gagné son pari. Il couvre alors 45 % du marché de l’automobile particulière aux Etats-Unis. Certes, la marge sur chaque voiture, qui était de 187 dollars, n’est plus que de 116 dollars en 1914, mais cette baisse est largement compensée par la hausse des ventes.
La Grande Guerre profite à tous les constructeurs, et Ford continue à caracoler en tête des ventes. Cependant, dans les années 20, la conjoncture change sur le marché automobile. Un marché plus diversifié s’offre à l’automobile, avec la hausse du niveau de vie, le développement de la vente à crédit et l’amélioration du réseau routier. Un concurrent de Ford a compris la nouvelle donne du marché avant les concurrents : Alfred Sloan, le patron de General Motors. Il développe, au milieu des années 20, un marketing segmenté, proposant un produit et une marque déclinés du bas en haut de la gamme : Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et Cadillac sont produits en série et composés d’éléments standardisés ; la variété est obtenue par des combinaisons différentes de châssis, de moteurs, d’habitacles et de carrosseries. General Motors développe ainsi l’organisation du travail fordiste et la standardisation d’un grand nombre de pièces et des principaux éléments, tout en diversifiant l’offre.
C’est la première évolution notable du modèle fordiste, que Ford doit bien suivre à son tour. D’autres mutations suivront, jusqu’au toyotisme d’aujourd’hui, où l’on retrouve de nombreux traits du fordisme : accélération de la circulation des produits et des pièces, réduction des stocks intermédiaires, préparation poussée du travail, intensification de l’activité demandée à l’ouvrier. Certes, ce n’est plus le patron qui impose au marché un modèle unique, mais le marché qui impose une flexibilité de la production. Pourtant, Taiichi Ohno, l’architecte du système de production de Toyota, n’a pas tort en écrivant, dans L’esprit Toyota : " Je tiens Henry Ford pour un grand bonhomme. Je suis convaincu que, s’il avait été encore en vie, il aurait inventé lui-même le système que nous avons mis au point chez Toyota. "
Gérard Vindt, « Ford était-il fordiste ? », Alternatives économiques, n°220, 1er décembre 2003
Questions :
1/ Quels éléments ont favorisé les gains de productivité dans l’industrie automobile ?
2/ Pourquoi la baisse du prix de vente est elle pertinente pour les constructeurs ?
3/ En quoi le modèle de General Motors apporte-t-il une amélioration ?
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1/ Quels éléments ont favorisé les gains de productivité dans l’industrie automobile ?
La standardisation de la production et le travail à la chaine ont permis des gains de productivité considérables. Ces deux éléments permettent en effet de réaliser des économies d’échelle et d’imposer un rythme de travail aux ouvriers.
2/ Pourquoi la baisse du prix de vente est elle pertinente pour les constructeurs ?
Les gains de productivité permettent de réduire de manière importante les prix des voitures (les fameuses Ford T), la marge réalisée sur chaque voiture est plus faible pour le constructeur mais est largement compensée par l’effet volume. La voiture est un produit assez élastique à l’époque : la baisse du prix se traduit par une hausse plus que proportionnelle des quantités vendues. Cette hausse des ventes est renforcée par les hausses de salaires (five dollars a day) accordées aux salariés des usines Ford
3/ En quoi le modèle de General Motors apporte-t-il une amélioration ?
Le modèle de Ford reposait sur la production en grande série d’un modèle unique. Néanmoins, les consommateurs apprécient la diversité : A. Sloan chez General Motors a rapidement adapté la standardisation à la variété en offrant plusieurs modèles interchangeables. La variété est obtenue par des combinaisons différentes de châssis, de moteurs, d’habitacles et de carrosseries.