Document 25. L'homme pluriel (I). La sociologie à l'épreuve de l'individu

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La sociologie a longtemps considéré que l'homme était uniformément façonné par son milieu social. Or, dans nos sociétés, de plus en plus d'individus sont amenés à incorporer des façons différentes de penser et de se comporter : on peut en même temps être ouvrier, aimer le football, apprécier la musique classique, être écologiste...

A vouloir expliquer les pratiques et les comportements collectifs, les sociologues ont élaboré une vision homogène de l'homme : celui-ci serait d'un « bloc », façonné par un ensemble stable de principes (habitus, schèmes, normes, style de vie...) (…) Or, l'observation montre que les acteurs incorporent des modèles d'action différents et contradictoires. Un même individu pourra être tour à tour au cours de sa vie, ou simultanément selon les contextes, écolier, fils, père, copain, amant, gardien de but, enfant de choeur, client, directeur, militant... Au-delà du simple jeu des rôles sociaux, cette disparité renvoie à une diversité de modèles de socialisation. On peut donc faire l'hypothèse de l'incorporation, par chaque acteur, d'une multiplicité de schèmes d'action ou d'habitudes. Ce stock de modèles, plus ou moins étendu selon les personnes, s'organise en répertoires, que l'individu activera en fonction de la situation.

Or, les sciences sociales ont longtemps vécu sur la vision homogénéisatrice de l'homme en société. (…) De fait, au début du siècle, les sociologues dessinaient les portraits typiques du bourgeois, du paysan, de l'étranger, de l'ouvrier. Dès lors, le cas illustratif ne peut qu'apparaître caricatural aux yeux de ceux qui ne considèrent plus seulement l'individu comme le représentant d'un groupe, mais comme le produit complexe et singulier d'expériences socialisatrices multiples. La personnalité et les attitudes d'un individu donné résultent de ce qu'il a appris à l'école, dans sa famille, son métier, ses loisirs, ses voyages, de sa vie associative, religieuse, sentimentale... C'est la saisie du singulier qui force à voir la pluralité : le singulier est nécessairement pluriel.

Bernard Lahire (1998) L'Homme pluriel. Les ressorts de l'action, Nathan, « Essais et Recherches »

Bernard Lahire est professeur de sociologie à l'université Louis-Lumière Lyon-II,

Question 1 : Selon Bernard Lahire, l’individu se socialise dans un seul contexte ? Donnez un exemple

Question 2 : Donnez un exemple d’instance de socialisation qui diffusent des valeurs et des modèles de comportement qui peuvent être en opposition radicale les uns aux autres

Question 3 : Expliquer la phrase « le singulier est nécessairement pluriel »

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Question 1 : Selon Bernard Lahire, l’individu se socialise dans un seul contexte ? Donnez un exemple

Non, le sociologue souligne la multiplicité des expériences vécues ou des rôles intériorisés par les individus (cf. « écolier, fils, père, copain, amant, gardien de but, enfant de choeur, client, directeur, militant... »).

Il y a donc une multiplicité de contextes et de sphères d'activités qui entraînent donc différentes dispositions et visions du monde.

Par exemple, un adolescent dont les parents sont séparés peut vivre avec sa mère dans une banlieue populaire en semaine et fréquenter les jeunes du quartier issus de l’immigration ouvrière turque et passer les week-ends dans une zone rurale avec son père et fréquenter des enfants d’exploitants agricoles.

Question 2 : Donnez un exemple d’instance de socialisation qui diffusent des valeurs et des modèles de comportement qui peuvent être en opposition radicale les uns aux autres

Les individus sont insérés dans des réseaux ou des institutions qui diffusent des valeurs et des modèles de comportement qui peuvent être en opposition radicale les uns aux autres. Par exemple, la famille et l'école peuvent promouvoir l’importance de valeur comme la laïcité (séparation du politique et du religieux, neutralité de l’État en matière de culte) contrairement aux groupes d'amis ou les médias fréquentés qui peuvent vouloir imposer un mode de pensée et/ou une manière de vivre ses convictions religieuses.

Toutefois, famille et école peuvent être opposées sur les normes de sélection et d’orientation des enfants alors que les amis peuvent valider les jugements de l’institution scolaire. De même, l’école peut diffuser des valeurs telle que l’égalité des chances. L’association sportive fréquentée, la radio écoutée peut valoriser la violence comme mode de résolution des conflits… tout comme la famille !

Question 3 : Expliquer la phrase « le singulier est nécessairement pluriel »

Bernard Lahire invite à ne plus considérer l'individu comme le représentant d'un groupe mais comme le produit complexe et singulier d'expériences socialisatrices multiples. Les individus ne peuvent être enfermé dans une catégorie immuable avec des traits durables car ils connaissent des expériences socialisatrices multiples en famille, à l’école, dans le voisinage, etc. qui instillent des normes et des valeurs qui ne sont pas toutes convergentes.

De plus, quelle que soit l’institution socialisatrice (famille, école, association) elle ne peut exercer un contrôle total sur ses normes et ses valeurs. Les individus ont donc le choix, certes encadrés, entre différents modèles de socialisation différents souvent concurrents, parfois contradictoires.

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