Document 2 : La course aux méga-zones de libre-échange

Facile

1- La course aux méga-zones de libre-échange

Échanger davantage de marchandises et de services avec ses pays voisins qu'avec les autres États est une pratique qui a quasiment toujours existé. Mais, alors que la création de l’OMC, en 1995, devait favoriser l’émergence d’un commerce multilatéral dans lequel tous les États auraient les mêmes chances d’accéder au marché intérieur des pays membres, cet objectif est aujourd’hui loin d’être atteint. La concentration des échanges entre grandes zones de libre-échange monte en puissance depuis dix ans. Trois blocs majeurs se distinguent : le pôle américain (piloté par les États-Unis), le pôle européen (dominé par l’Allemagne) et le pôle Asie (où se concurrencent le Japon et la Chine). « La caractéristique principale qui définit la phase actuelle, c’est que nous sommes dans une économie mondiale devenue multipolaire », explique à ce sujet S. Jean (« Ralentissement du commerce mondial : une nouvelle ère de la mondialisation », Xerfi Canal TV, 14 octobre 2015).

Plusieurs zones de libre-échange avaient été créées avant la crise, dont : l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1967, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1975, le Marché commun du Sud (MERCOSUR, regroupant plusieurs pays d’Amérique du Sud) en 1991, l’Union européenne (instituée en 1992 par le traité de Maastricht mais dont le marché commun est établi dès 1986 par l’Acte unique européen) et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), signé en 1994 par les États-Unis, le Canada et le Mexique. Plusieurs autres accords ont vu le jour récemment ou sont en cours de discussion. Ils visent à pallier le manque d’efficacité de l’OMC, mais aussi à contrer l’émergence de poids lourds du commerce mondial, dans une logique de rapports de force entre grandes puissances. Ainsi, l’UE s’est associée avec le Canada en concluant en octobre 2016 l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA) et avec le Japon par la signature, en juillet 2018, de l’Accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne (Japan-UE Free Trade Agreement – JEFTA) pour contrecarrer l’hégémonie des États-Unis. Quant à ces derniers, ils ont cherché à étendre leur zone d’influence dans le Pacifique avec l’Accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership Agreement – TPP), signé en février 2016, et, plus difficilement, en Europe par le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) ou Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA), qui est en cours de négociation. […], ces accords sont pour l’instant au point mort car les pays concernés n’arrivent pas à s’entendre sur tous les points, ce qui prouve une nouvelle fois que la souveraineté des nations demeure omniprésente dans le commerce mondial. […]

2 – Exportations de marchandises dans le cadre des accords commerciaux régionaux ACR (par destination en 2015)

Questions :

4) Quelle caractéristique décrite dans ce document montre que l’OMC a en partie échoué à créer un vaste marché mondial unifié de biens et de services ?

5) Que signifie l’expression « économie mondiale multipolaire » ? Cette caractéristique montre-t-elle que l’on tend vers moins de libre-échange à l’échelle mondiale ?

6) Le libre-échange est-il en voie de régression ?

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4) Quelle caractéristique décrite dans ce document montre que l’OMC a en partie échoué à créer un vaste marché mondial unifié de biens et de services ?

Depuis 2000, la part des exportations de marchandises de la France dans les exportations mondiales a été presque divisée par 2, passant de 5% à 3%. La France connaît un déficit de son solde extérieur de produits industriels depuis le début des années 2000.

5) Que signifie l’expression « économie mondiale multipolaire » ? Cette caractéristique montre-t-elle que l’on tend vers moins de libre-échange à l’échelle mondiale ?

On observe une dégradation des soldes des échanges de biens comme des services en 2020.

L’article provenant de Rexecode («Les indicateurs de compétitivité en net reculent nettement en 2020 », Mars 2021) dont sont issus les deux tableaux  en conclut à une dégradation des indicateurs de compétitivité de la France en 2020. Celui-ci prend comme indicateur l’évolution des exportations françaises comparée à l’évolution des exportations des concurrents étrangers.  Il analyse l’évolution des performances commerciales de la France à l’exportation pour en déduire l’évolution de la compétitivité française. Voici les principaux enseignements que nous pouvons tirer de ces données sélectionnées comme indicateurs de compétitivité.

On note une hausse du déficit de la balance commerciale entre 2019 et 2020 (-7260 millions d’euro) ainsi que de celui des services (-13 473 millions d’euro). En examinant la décomposition de l’évolution la balance commerciale des biens et celle des services, on note  une amélioration considérable du solde de la balance énergétique (+19,0 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2019) qui fait plus que compenser la dégradation du solde des échanges des produits de l’aéronautique (-16,0 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2019). Au total, le déficit de la balance commerciale s’est creusé de plus de 7 milliards d’euros en 2020. Les textiles et l’habillement y contribuent à hauteur de près de la moitié, les produits chimiques, parfums et cosmétiques pour plus du quart et les produits pharmaceutiques pour un sixième. Concernant la décomposition du creusement du déficit de la balance des services, le tourisme (« Voyages ») rend compte de plus de la moitié (52 %) de la diminution de 13,5 milliards d’euros ce déficit de la balance des services en 2020 par rapport à 2019 et les « Autres services aux entreprises » (R&D, conseil, services techniques…) y contribuent pour plus d’un cinquième.

On en conclut que la chute des exportations aéronautiques et touristiques de la France a fortement contribué à la dégradation de nos échanges extérieurs.

Quand on réalise une analyse sectorielle des parts de marché françaises à l’exportation de biens relativement à ses partenaires commerciaux, on constate en outre que ses parts de marché à l’exportation ont davantage reculé en 2020 dans ses domaines de spécialisation  (aéronautique) que chez ses principaux concurrents européens, puis que ces pertes françaises de parts de marché, loin de se cantonner à ces secteurs, concernent la quasi-totalité des produits d’exportation.

6) Le libre-échange est-il en voie de régression ?

Pour une entreprise, la compétitivité se résume à la capacité à faire face à la concurrence. Si l’on transfère cette définition à celle d’une nation, cela peut conduire à une « dangereuse obsession » selon P. Krugman, qui est celle de pratiquer des politiques non coopératives de moins disant social et fiscal pour assurer la compétitivité de l’économie en améliorant la compétitivité coût des entreprises implantées dans la nation. En réduisant les coûts de production (baisse des salaires, des cotisations sociales, de la fiscalité), les entreprises nationales regagnent en compétitivité prix, ce qui améliore les exportations de la nation. Cela conduit à exporter son chômage chez ses voisins. Ces derniers pourraient réagir de même, ce qui réduirait la demande pour tous et finirait par engendrer un cercle vicieux de réduction de la demande et de l’emploi. Cet usage de la notion de compétitivité favoriserait une réduction des niveaux de vie des citoyens. Ce qui est contraire à la définition de la notion proposée par l’OCDE citée par Flora Bellone et Raphaël Chiappini. En effet, d’après l’OCDE, la compétitivité nationale est « sa capacité, en situation de concurrence libre et équitable, à produire des biens et services qui ont du succès sur les marchés internationaux tout en garantissant une croissance des revenus réels de ses habitants soutenable dans le long terme ». Cette définition intègre l’objectif d’amélioration des niveaux comme critère supplémentaire de la compétitivité d’une nation. Or en transférant la définition appliquée aux entreprises à la nation, les politiques économiques mises en œuvre visant les performances à l’exportation uniquement pourraient contribuer à la dégradation des niveaux de vie. Ainsi, un pays dont les exportations progressent grâce à des baisses de salaire autorisant des baisses de prix, n’est plus considéré comme compétitif au sens de l’OCDE car l’amélioration des performances commerciales se fait au détriment des revenus réels de ses habitants.

Les enjeux autour de la définition de la notion de compétitivité nationale sont donc importants, car selon la définition choisie les politiques économiques mises en place sont différentes et les gains qui en résultent ne sont pas répartis de la même manière. D’un côté, ce sont les profits des entreprises obtenus grâce aux parts de marchés qui constituent une finalité tandis que de l’autre côté, ce sont les gains de niveau de vie obtenus grâce à l’intégration de l’économie dans les marchés mondiaux.

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