Pour E.C. Hughes, le travail n’est pas une simple transaction économique, il occupe une place centrale dans la constitution de l’identité sur laquelle pèsent à la fois l’organisation matérielle et le prestige symbolique conférés à la profession exercée. À l’instar du lien marital, il estime qu’embrasser un métier crée une identification « irrévocable », tant on fait corps avec lui. E. Goffman ira plus loin en analysant le cas particulier des institutions totales. À l’indissolubilité du soi et du travail, mise en évidence par Hughes, s’ajoute la possibilité d’un enveloppement total : dans certaines institutions (médicale, militaire, scolaire, religieuse, agricole), la sphère privée est absorbée par la sphère professionnelle qui devient un lieu de vie à part entière. Les apprentissages de la socialisation primaire (familiale, scolaire) sont reconfigurés par un processus de dépersonnalisation et de conversion quasi-religieuse qui permet d’acquérir de nouveaux savoirs et par là d’adopter une autre conception du monde.
Il va sans dire que la majorité des métiers policiers – sans être aussi contraignants, en termes de mode de vie, que les métiers militaires, correspondent particulièrement à cette définition interactionniste de l’engagement professionnel comme constitutif de la présentation de soi et du rapport au monde. Dans ce cadre, la socialisation professionnelle peut se définir comme l’ensemble des étapes qui permettent à un professionnel de le devenir à part entière.
La formation professionnelle constitue un moment pivot. S’opère à cette occasion une initiation à la culture professionnelle qui fait passer du statut de profane à celui de professionnel. L’impétrant doit passer de l’autre côté du miroir et perdre – non sans douleur – son regard naïf.
(…)
Alain Marc et Geneviève Pruvost
Police : une socialisation professionnelle par étapes (2011) Déviance et Société 2011/3 (Vol. 35)
Question 1 : Comment les auteurs définissent la socialisation professionnelle ? Illustrez avec l’exemple d’un médecin ou d’un enseignant
Question 2 : Qu’apprend-on dans une « école de police » ?
Question 3 : Selon vous, le monde professionnel des policiers est-il homogène ?
Question 4 : Pourquoi la socialisation professionnelle est un processus dynamique ?
Voir la correction
Question 1 : Comment les auteurs définissent la socialisation professionnelle ? Illustrez avec l’exemple d’un médecin ou d’un enseignant
Réponse 1
La socialisation professionnelle peut se définir comme « l’ensemble des étapes qui permettent à un professionnel de le devenir à part entière. ».
Pour un enseignant, ces étapes vont du passage des épreuves du concours (écrits et oraux) à la prise en charge de leur première classe en passant par différents types de stages (théoriques, pratiques, d’observation).
Question 2 : Qu’apprend-on dans une « école de police » ?
Réponse 2
Dans une école de police, on apprend l’usage de la force et de la répression. Mais aussi des enseignements différents, notamment juridiques ou psychologiques.
Pour reprendre une expression du sociologue américain Everett C. Hughes (1897-1983), il y a l’apprentissage de « sales boulots », celui que le commun des citoyens n’exerce pas et qui renforce une solidarité de corps (verbaliser, faire la circulation, etc.).
On y apprend aussi la variété de positionnements/hiérarchies internes, les savoir-faire propres aux spécialisations, les discriminations internes…
Mais, comme dans d’autres professions, la socialisation professionnelle ne s’arrête pas aux principes inculqués à l’école. L’apprentissage théorique doit être validé par la pratique sur le terrain : l’occupation d’un poste précis.
Question 3 : Selon vous, le monde professionnel des policiers est-il homogène ?
Réponse 3
Comme tout univers professionnels, le monde professionnel des policiers n’est pas homogène. Il est composé de sous-groupes professionnels hiérarchisés, parfois en concurrence, qui peuvent se distinguer par des signes distinctifs formels (uniformes, véhicules, etc.) ou informels.
Question 4 : Pourquoi la socialisation professionnelle est un processus dynamique ?
Réponse 4
La socialisation professionnelle n’est pas statique. Elle se transforme au cours du temps. D’abord, parce que les professions (enseignants, gardien de la paix, médecins, comptable, etc.) évoluent puisque les missions des salariés, les règles qui encadrent l’activité des entreprises et des administrations et les technologies utilisées par les professionnels changent.
De plus, les salariés peuvent connaître une mobilité géographique et/ou professionnelle qui, si elle ne redéfinie pas en permanente les normes professionnelles influence les normes et les valeurs des actifs.