L’économiste japonais Kaname Akamatsu décrit ainsi le modèle de propagation du développement en Asie, dans lequel les nouvelles techniques se diffusent rapidement aux pays en voie d’industrialisation qui se placent dans le sillage des plus avancés pour les rattraper progressivement. Le pays de tête, en l’occurrence le Japon, a donc entraîné les dragons asiatiques, puis les tigres. À bien des égards, l’émergence de la Chine puis celle du Viêtnam s’inscrivent dans ce schéma.
Le Japon dès les années 1970, et les premiers nouveaux pays industriels (dragons) dans les années 1980, ont progressivement abandonné les industries traditionnelles intensives en travail (textile) pour se spécialiser dans des secteurs technologiquement plus avancés. La hausse des salaires jointe à la réévaluation des monnaies asiatiques (après l’accord du Plaza en 1985) a poussé leurs entreprises à transférer massivement les productions à faible valeur ajoutée dans les pays industrialisés de la deuxième génération (tigres) et vers la Chine, en y trouvant des sous-traitants ou en y implantant des filiales. Ces nouveaux venus ont développé leurs industries traditionnelles puis se sont spécialisés dans le secteur des nouvelles technologies, les tigres dès les années 1980 et la Chine dans les années 1990.
Le schéma en vol d’oies sauvages explique la grande interdépendance qui existe en Asie entre économies émergentes et économies émergées. Les deux sont liées par de fortes complémentarités intersectorielles, des flux de commerce et d’investissement et des transferts de technologie. Le schéma suppose aussi une hiérarchie entre les économies les plus avancées, qui doivent renouveler leurs avantages comparatifs et innover pour maintenir leur leadership, et les autres. Or le processus de globalisation qui s’est accéléré dans les années 1990 a donné un nouveau tour à la dynamique asiatique. Une division plus fine du travail s’est mise en place, approfondissant les interdépendances, accélérant la montée de la Chine et remettant finalement en cause la hiérarchie existant entre les pays.
Source : Françoise Lemoine, « Un vol d'oies sauvages Intégration régionale et émergence des économies asiatiques », dans : Christophe Jaffrelot éd., L'enjeu mondial. Les pays émergents. Paris, Presses de Sciences Po, « Annuels », 2008
Questions :
26) À quel moment de la stratégie de montée de gamme les pays asiatiques se spécialisent-ils dans les productions intensives en travail ?
27) Comment la stratégie du « vol d’oies sauvages » a-t-elle rendu les pays asiatiques interdépendants ?
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26) À quel moment de la stratégie de montée de gamme les pays asiatiques se spécialisent-ils dans les productions intensives en travail ?
La spécialisation dans les productions intensives en travail se situe au début du « vol d’oies sauvages », ou de la remontée de filières. Ce type de production, à faible valeur ajoutée, permet une première insertion dans les échanges et l’accumulation de capitaux, pour développer ensuite des industries à plus forte valeur ajoutée (d’abord dans la production de produits de consommations, puis de produits d’équipement). On peut illustrer cela avec l’exemple de Toyota, qui était d’abord une entreprise textile.
27) Comment la stratégie du « vol d’oies sauvages » a-t-elle rendu les pays asiatiques interdépendants ?
Cette stratégie a d’abord été suivie par le Japon. Quand celui-ci a abandonné la production de produits à faible valeur ajoutée, cette dernière a été comme transférée dans les nouveaux pays industriels, appelés les « dragons » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan). Dans un second temps, la remontée de filières de ces pays (par exemple, la Corée du Sud a aujourd’hui de nombreuses entreprises en pointe dans les hautes technologies, dont l’un des fleurons est Samsung) a « laissé la place » aux « Tigres » (Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines). Enfin, la Chine et le Vietnâm peuvent être vus comme ayant « pris la relève », même s’ils ont suivi une voie un peu différente. Il est à noter que ce « cycle » ne s’est pas fait de façon automatique, mécanique, mais en grande partie sous l’impulsion de stratégies d’IDE de la part des entreprises des pays les plus avancés et de politiques menées par les gouvernements pour favoriser le développement de certains secteurs d’activité et leur financement.