« L’expansion bureaucratique a trois causes principales :
La rationalisation de l’économie incarnée notamment par le capitalisme moderne, la multiplication des buts assignés à l’action rationnelle, le développement de la démocratie (au sens tocquevillien du terme de l’égalité des conditions). Si le développement du capitalisme s’accompagne toujours d’une certaine expansion de la bureaucratie , c’est d’abord parce que, même surtout dans ses phases les plus libérales, il ne peut se passer d’une certaine « rationalisation de la domination » , sous la double forme de la systématisation du droit, et de l’affaiblissement de la solidarité traditionnelle ; le capitalisme appelle ainsi une transformation du droit et de l’ Etat qui est favorable à la bureaucratie étatique.
Même dans l’hypothèse de l’Etat minimal, une certaine expansion de la bureaucratie fait donc partie de ce que Marx appelait « les préconditions historiques de l’ essor du capital » , qui n’auraient jamais eu lieu, sans l’imposition de l’ordre de marché au détriment des solidarités traditionnelles. Ce n’est pas là , néanmoins, ce qui explique la bureaucratisation de l’économie et de la production elles – mêmes ; celle – ci traduit le fait que la capitalisme moderne incarne le même principe qui est à l’origine de l’expansion universelle de la bureaucratie dans la société : la recherche de l’efficacité par l ‘organisation des activités humaines selon des règles calculables. Weber insiste donc sur les similitudes entre les administrations publiques et la hiérarchie des entreprises privées ; mais surtout, il montre que, loin de se limiter à fixer un cadre formel aux activités économiques , le développement du capitalisme moderne se traduit par une transformation complète de l’organisation du travail et du type d’autorité dominant dans la production, et par un renforcement de la contrainte sur le travailleur ».
d’après Philippe Raynaud, Max Weber et les dilemmes de la raison moderne – 1987.