La famille est-elle encore le lieu privilégié de la transmission politique ?
Aujourd’hui encore, les études montrent que deux tiers des Français se situent dans la continuité des choix politiques de leurs parents. Mais il faut distinguer ce phénomène du vote lui-même car les camps traditionnels gauche-droite sont traversés de nombreux courants. La question des extrêmes travaille, par exemple, ces identifications primaires, y compris chez les jeunes. Et puis, on peut aussi ne pas voter.
La multiplication des moyens d’information et l’émergence du numérique ont-elles altéré cette transmission ?
Altéré, non, mais brouillé, c’est certain. Les jeunes sont soumis à une offre incessante qui se confronte aux valeurs forgées par l’expérience familiale. Mais les réseaux sociaux, très prisés des enfants et des adolescents, n’invalident pas l’influence de la transmission familiale. Contrairement à ce que l’on croit, le premier vecteur d’information politique des jeunes reste la télévision. Enfin, n’oublions pas qu’on s’informe toujours auprès de sources cohérentes avec ses idées, y compris sur Internet.
Les cas de rupture idéologique entre parents et enfants sont donc assez rares ?
Oui. D’une génération à l’autre, entre parents et enfants, la filiation politique, mesurée à partir du repérage élémentaire gauche-droite ou ni gauche ni droite, l’emporte sur les ruptures. Ces cas sont minoritaires. Les jeunes qui affirment être d’un bord différent de celui deux leurs deux parents représentent entre 10% et 12% des cas. Mais ces témoignages retiennent davantage l’attention car ils invitent à des questionnements.
Source : Entretien avec Anne Muxel, spécialiste de la socialisation politique. Le Monde, dimanche 19 et lundi 20 mai 2019.
Questions :
1. Les choix politiques peuvent-ils être confondus avec le vote ?
2. Comment mesure-t-on la filiation politique ? Est-ce toujours pertinent ?
3. Internet bouleverse-t-il la socialisation politique ?
4. Selon vous, peut-on parler de socialisation familiale pour le vote ?
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Questions :
1. Les choix politiques peuvent-ils être confondus avec le vote ?
Non, le vote est une expression des choix politiques parmi d’autres (manifester, réagir sur les réseaux sociaux, afficher des slogans sur ses vêtements, etc.). D’une manière générale, la participation politique désigne l’ensemble des activités, conventionnelle ou non conventionnelle, d’ordre politique que peuvent avoir les individus au sein d’une société.
2. Comment mesure-t-on la filiation politique ? Est-ce toujours pertinent ?
On mesure la filiation politique en demandant aux personnes de se situer sur un axe droite/gauche. En France, l’origine de cette opposition trouve sa source lors de la Révolution française. En septembre 1789, l’Assemblée constituante examine la question du veto royal sur les lois votées par les représentants du peuple. Les adversaires du véto royal ont pris l’habitude de siéger « du côté gauche » du président de séance. Les défenseurs du veto sont du « côté droit ».
Aujourd’hui le clivage droite/gauche n’a plus de référence à la monarchie mais renvoie à des oppositions sur les valeurs (cf. vision de la liberté et de la justice) et les normes (cf. vision de l’égalité économique et sociale).
Anne Muxel défend la pertinence de cette dichotomie. D’autres la nuance plus fortement avec l’affirmation de nouveau clivage liée à la construction européenne, l’affirmation des problème écologiques, etc.
3. Internet bouleverse-t-il la socialisation politique ?
Les sites et les réseaux sociaux numériques proposent une large offre de contenus, réactions, positions qui parfois renforcent mais aussi nuancent, contredisent voire concurrencent les normes et les valeurs transmises par la famille. Toutefois, selon Anne Muxel, « les réseaux sociaux, très prisés des enfants et des adolescents, n’invalident pas l’influence de la transmission familiale ».
De plus l’auteur souligne que, même à l’heure de la généralisation des smartphones, la télévision reste un vecteur de socialisation politique central.
4. Selon vous, peut-on parler de socialisation familiale pour le vote ?
Certes, l’école, notamment les cours d’éducation civique, transmettent des normes et des valeurs dont l’importance de la participation électorale dans les démocraties.
Néanmoins, le sociologue constate que la famille joue un grand rôle dans l’apprentissage des gestes et des valeurs électorales. Les premiers votes se font généralement en famille ! On accompagne ses parents lorsque l’on est mineur au bureau de vote, puis on suit ses parents le jour où l’on a acquis le droit de vote. On vote rarement seul la première fois… même si le code électoral oblige à s’isoler pour introduire son bulletin dans l’enveloppe électoral.