Document 1 : L’UE, un système institutionnel hybride

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Si le projet de Jean Monnet créant la CECA opte clairement pour la supranationalité, le traité de Rome de 1957 est un compromis comportant des éléments supranationaux et intergouvernementaux. La Commission européenne est un organe supranational qui dispose du monopole de proposition, pour tout ce qui relève à l’époque du domaine communautaire, mais elle n’a pas de pouvoir de décision. Celui-ci est dévolu au Conseil des ministres, qui vote les propositions de la Commission. Or, le Conseil peut voter à la majorité, ce qui est un élément clairement supranational, puisque des États s’étant opposés à un texte se voient dans l’obligation de l’appliquer s’il a été adopté. Cependant, il se peut aussi, dans certains domaines, comme le social ou la fiscalité, qu’il doive voter à l’unanimité, ce qui constitue un élément intergouvernemental préservant la souveraineté des États.

 […] L’élément sans doute le plus fédéral du système européen est le droit. En effet, l’existence d’une Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), devenue Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le traité de Lisbonne, disposant de l’autorité de la chose jugée et dont les décisions s’imposent aux États membres constitue le fondement du fédéralisme européen. Sur cette base, la Cour a en outre développé une jurisprudence qui a confirmé l’essence fédérale du droit dit alors communautaire. En affirmant l’applicabilité directe de ce droit et sa primauté sur les droits nationaux, elle a posé les principes même d’un droit dans une fédération. Pourtant, l’UE n’est toujours pas une véritable fédération et reste un « objet politique non identifié », selon la formule de Jacques Delors, ancien président (1985-1995) de la Commission européenne.

L’instauration en 1974 du Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement sur une base strictement intergouvernementale, a redonné du poids à l’Europe des nations. Le Conseil se tient quatre fois par an sauf si les circonstances nécessitent des réunions plus fréquentes, comme cela est le cas à partir de 2008 avec la crise de la zone euro. L’importance prise par le Conseil dans le processus de construction européenne au cours des quatre dernières décennies et le fait qu’il soit devenu, avec le traité de Lisbonne, une institution à part entière, montrent à quel point la coopération intergouvernementale fait partie intégrante du processus d’unification européenne.

[…] Cependant, depuis le milieu des années 1990, les conseils européens se sont avérés moins fructueux, ce qui montre la limite du fonctionnement intergouvernemental. Lorsqu'il est composé de dirigeants politiques moins "européistes" et qu’il n’est pas accompagné d’une Commission européenne volontariste, le Conseil européen a du mal à être le moteur des avancées de la construction européenne. Dès lors, son renforcement par le traité de Lisbonne (reconnaissance comme une institution et présidence stable) a été l’objet de débats entre partisans d’une Europe intergouvernementale et avocats d’une Europe supranationale qui auraient souhaité un renforcement de la Commission ou, à tout le moins, que le président stable du Conseil européen soit le président de la Commission européenne. Cette possibilité de fusion des deux postes, qui présenterait l’avantage d’une visibilité accrue de l’UE en interne comme sur la scène internationale, n’est d’ailleurs pas explicitement exclue par les traités.

 […] Si l’Europe peine à trancher pour un modèle plutôt que pour un autre, c’est parce que s’affrontent dans la construction européenne deux légitimités, celle des États et celle de l’Union. Il s’agit de préserver à la fois les intérêts des États – qui restent les acteurs principaux de la construction européenne et continuent de veiller jalousement sur leur souveraineté – et l’intérêt général de l’Union et de ses peuples. Les États souhaitent la poursuite de l’aventure européenne parce qu’elle leur donne plus de poids économique et politique, mais nombre d’entre eux demeurent attachés à leur souveraineté et à leurs spécificités. Il faut donc sans cesse trouver un équilibre entre ces deux objectifs. Pour l’instant, il a pu être préservé tant bien que mal, avec des phases d’avancée et de stagnation. Mais le prix de cet équilibre est la complexité du système institutionnel, difficilement compréhensible par les citoyens. Rapprocher l’Europe des citoyens passe donc en partie par une simplification de ce système. Le traité de Lisbonne, adopté par les chefs d’État et de gouvernement le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009, va dans le sens de cette simplification. Il ne tranche cependant pas encore l’épineuse question du modèle. Avec une présidence fixe pour le Conseil européen, les Vingt-sept prennent le risque de renforcer cette institution de nature intergouvernementale face à une Commission affaiblie par la montée en puissance du Parlement, élément de démocratisation, celle-ci allant dans le sens d’un renforcement du fédéralisme. Le texte adopté ne résout donc pas la question de la nature du projet européen qui restera longtemps sans doute un système à mi-chemin entre confédération et fédération, ce qui en fait un modèle unique au monde.

Marion Gaillard, dans L'Union européenne. Institutions et politiques, La Documentation française, 5e édition, décembre 2018.

Questions :

1) Pourquoi qualifie-t-on le système institutionnel européen de système hybride ?

2) Pourquoi l’UE n’a-t-elle pas fait le choix de l’Europe fédérale ?

3) Quels peuvent-être les inconvénients de ce système hybride ?

4) A quelle étape du processus d’intégration économique et régionale selon la typologie de Béla Balassa se situe alors l’UE ?

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1) Pourquoi qualifie-t-on le système institutionnel européen de système hybride ?

Le système institutionnel européen peut être qualifié de système hybride en ce qu’il résulte d’une construction qui repose à la fois sur une méthode fédéraliste et sur une méthode d’organisation intergouvernementale. Le fédéralisme suppose l’existence d’un Etat fédéral doté d’un pouvoir supranational. Dans cette perspective, les Etats membres transfèrent leur souveraineté vers les différentes instances européennes. Or, si la construction de l’UE repose sur un certain niveau de fédéralisme (présence de la Commission européenne, jurisprudence européenne, monnaie et politique monétaire unique pour la zone euro, etc.), les Etats nations conservent un rôle important dans le cadre d’un fonctionnement intergouvernemental.

2) Pourquoi l’UE n’a-t-elle pas fait le choix de l’Europe fédérale ?

L’UE n’a pas fait le choix du fédéralisme afin de conserver la souveraineté des Etats nationaux dans de nombreux domaines. Si l’intégration économique semble globalement aboutie, il existe davantage de réticences pour les abandons de souveraineté politique qui restent très partiels. La méthode intergouvernementale reste alors privilégiée.

3) Quels peuvent-être les inconvénients de ce système hybride ?

Le fait que l’UE ne tranche pas entre Europe fédérale et Europe des nations freine parfois la dynamique de construction de l’union en rendant ses directions et objectifs moins lisibles. Par ailleurs, le choix entre fédéralisme ou maintien des souverainetés nationales peut s’avérer source de tensions et de divisions au sein de l’UE.

4) A quelle étape du processus d’intégration économique et régionale selon la typologie de Béla Balassa se situe alors l’UE ?

Aujourd’hui, l’UE a franchi l’étape de l’union économique qui se traduit par l’adoption de politiques économiques communes. L’instauration de l’Union économique et monétaire (UEM) avec l’adoption d’une monnaie unique pour les 19 pays membres de la zone euro et le transfert de la souveraineté monétaire à la BCE font de l’UEM une expérience d’intégration unique au monde. Cependant, l’UE n’a pas franchi l’étape ultime de l’intégration économique selon Béla Balassa, à savoir celle de la fédération d’Etats.

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