Dissertation

Facile

SUJET : L’approche en termes de classes sociales demeure-t-elle pertinente pour rendre compte de la structuration de la société française actuelle ?

Document 1 :

Intitulée « Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ? », une étude a été réalisée pour le compte de la Confédération française de l'encadrement-CGC. Elle a été menée en 2009 auprès de 4 000 actifs âgés de moins de 65 ans par deux chercheurs de l'université Paris-Dauphine. Elle révèle que le logement est désormais un élément de clivage au sein même des classes moyennes et de décrochage d'environ un tiers d'entre elles. La trajectoire résidentielle n'est pas toujours ascendante, notamment chez les plus modestes. « Plus précaire du fait de la faiblesse de son pouvoir d'achat et de la fragilisation de son parcours professionnel, la classe moyenne inférieure peut se trouver en situation de propriété captive ». Pour preuve, lorsqu'elle est contrainte de déménager, elle paye le prix fort : 28,4 % de ces ménages ont ainsi perdu leur statut de propriétaire lors de leur dernier déménagement. L’époque où l’habitat résidentiel permettait aux classes moyennes de se différencier des classes populaires semble aujourd’hui révolue.

Source : L’Obs, 27 juin 2012 [en ligne]. 

 

Document 2 :

Nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale : les inégalités sociales se creusent, le capitalisme n’a jamais semblé aussi puissant, la conscience des inégalités est des plus vives… et, pourtant, les représentations de la vie sociale en termes de classes sociales semblent décliner. Le phénomène le plus marquant est sans doute l’émergence dans l’espace public, dans les représentations et les mouvements sociaux, de clivages sociaux qui, jusque-là, semblaient invisibles ou naturels, semblaient « écrasés » par les inégalités et les rapports de classes.

Longtemps identifiée à la question du travail ouvrier et de la misère du salariat, la question sociale s’est déplacée vers d’autres clivages. Ce sont d’abord les clivages culturels opposant les « minorités visibles » aux « Français de souche », et comme ces clivages sont associés au chômage de masse et à la ségrégation urbaine, il en a résulté une transformation profonde de la question sociale. Auparavant centrée sur l’exploitation, l’usine et le travail ouvrier, la question sociale s’est déplacée vers les « quartiers difficiles », le chômage des jeunes, la diversité des cultures et la formation de nouvelles « classes dangereuses ». Alors que les classes sociales ont été essentielles dans la formation de la société industrielle, elles sont emportées avec sa décomposition, qui n’est évidemment pas la disparition du salariat, mais l’épuisement d’une structuration des droits et des identités autour du salariat et notamment du salariat ouvrier conçu comme une avant-garde du progrès et du changement. Non seulement les ouvriers sont moins nombreux, mais la condition ouvrière s’est diversifiée, les employés sont majoritaires et les grands bastions de la classe ouvrière paraissent irrémédiablement perdus.

Sur fond d’effacement relatif des classes sociales, d’autres clivages sociaux paraissent aujourd’hui tout aussi importants que les clivages de classes.

Source : François Dubet, « Classes sociales et description de la société », Revue française de socio-économie, n°10, 2012.

 

Document 3 :

Les consommations différentielles permettent de constater qu’aujourd’hui encore, les moyens économiques des classes populaires servent à couvrir des besoins de base, et que le différentiel de niveau de vie à la faveur des cadres leur permet de s’approprier des biens et services élaborés inaccessibles aux autres catégories. Les consommations des cadres sont systématiquement orientées vers des services élaborés (ayant bénéficié depuis 10 ans souvent d’une défiscalisation ou d’aides publiques), susceptibles de développer ces « nouveaux métiers » (aide à domicile, services de proximité, etc.) qui sont le plus souvent vieux comme le monde. Une autre consommation implicite difficile à repérer par les enquêtes, c’est l’épargne, autrement dit l’achat d’une part du capital productif et de la production future, mais aussi d’une sécurité ; derrière la question du patrimoine se trouve donc aussi celle du temps. Ainsi, maintenant comme au temps de la démocratie athénienne, les biens les plus valorisés dans la société sont donc le loisir, le temps rendu disponible par l’appropriation du travail d’autrui, par la domesticité, mais aussi la maîtrise du temps long par l’accumulation patrimoniale, ou encore par le legs, et les dons à la famille. Les écarts repérés ici n’ont guère varié au cours des dernières décennies, si ce n’est qu’une certaine convergence est à l’œuvre pour l’alimentation, et qu’une divergence se constitue pour les vacances, les loisirs en tous genres, l’achat du temps de travail d’autrui. De cette façon, malgré les propos iréniques sur la fin de la rareté dans la société d’abondance, acheter le temps de travail d’autrui demeure le lieu des principaux clivages.

Source : Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales », Revue de l’OFCE, 2001.

 

Document 4 :

Question : Estimez vous qu'en France, à l'heure actuelle, la lutte des classes est une réalité ?

Voir la correction

Introduction :

La sociologie naissante s’est saisie rapidement et de manière particulièrement riche de la question de la structuration sociale. En effet, si Alexis de Tocqueville théorise au début du XIXème siècle l’avènement de sociétés démocratiques caractérisée par un mouvement profond vers une plus grande égalité, qu’elle soit des droits, des chances ou des situations, les sociologues, eux, tendent à mettre en évidence que la hiérarchies sociales sont loin d’avoir disparu. C’est ainsi que les marxistes montrent que les sociétés industrielles opposent deux classes sociales antagonistes, prolétariat et bourgeoisie capitaliste. Sous leur plume, un groupe social doit présenter deux caractéristiques pour être reconnu comme une classe sociale au sens fort du terme : la « classe en soi », à savoir, des traits objectifs, une position équivalente dans les rapports de production, et la « classe pour soi », qui peut se définir comme l’existence d’une conscience d’appartenir à ce groupe.

Mais les transformations de la société française durant la seconde moitié du XXème siècle rendent-elles caduques ces analyses ? En premier lieu, reste-t-il des groupes sociaux qui prennent leur source dans l’organisation économique, présentant des caractéristiques objectives communes qui les distinguent et les hiérarchisent ? En second lieu, si de tels groupes existent, leurs membres ont-ils conscience de leurs intérêts communs, s’identifient-ils à ces groupes ?

Dans un premier temps, il sera montré que certaines évolutions de la société française affaiblissent la pertinence de l’analyse en termes de classes sociales (I). Cependant, on assiste depuis les années 2000 à un retour en grâce du concept dans les travaux sociologiques, à la faveur d’une dynamique de reconstitution des inégalités (II).

 

I/ De nombreux phénomènes semblent rendre caduque l’analyse de la société française contemporaine en termes de classes sociales

 

1) Des distances inter-classes qui se sont effacées, à la faveur de la moyennisation durant les Trente Glorieuses

--> Les distances inter-classes correspondent aux inégalités (économiques, sociales, symboliques, etc.) qui séparent les classes sociales entre elles (disparités entre les classes sociales).

--> La structuration de la société en classes sociales nécessite que les inégalités entre ces groupes sociaux soient fortes, pour qu’au moins soit réalisée la dimension « classe en soi ». Or le mouvement de moyennisation qui a été impulsé au cours des Trente Glorieuses affaiblit les distances inter-classes.

--> Le terme de « moyennisation » désigne un processus d’égalisation des situations entre les individus. Il s’agit d’une égalisation en termes économiques (les niveaux de vie se rapprochent) et en termes symboliques (les modes de vie se rapprochent). Le processus de « moyennisation » désigne aussi le fait que la représentation légitime du monde ne va pas plus forcément être celle des classes supérieures, mais celle des classes moyennes.

 

A la faveur des Trente Glorieuses, les indicateurs d’une « moyennisation » de la société française sont nombreux.

  • Le gonflement numérique de la classe moyenne

Pour le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie), font partie des classes moyennes tous les ménages dont les revenus se situent entre 0,75 et 1,5 fois le revenu médian.

En France, depuis les années 1980, c’est entre 50% et 65 % de la population.

  • Le rapprochement des niveaux de vie : en 1955, le niveau de vie des 10 % les plus riches était au moins 8,5 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres, en 2006, le niveau de vie des 10% les plus riches était au moins 3,5 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres.
  • Le rapprochement des modes de vie : les taux d’équipement se rapprochent, les pratiques culturelles aussi, etc.

 

Pourquoi y a-t-il eu moyennisation ?

  • L’enrichissement général de la population et le développement de l’Etat-providence ont permis un certain rapprochement des revenus

Les forts gains de productivité enregistrés sous les Trente Glorieuses sont avant tout distribués aux salariés. Cela permet aux ouvriers notamment d’atteindre un niveau de vie inédit, les rapprochant de celui de la classe moyenne. Par ailleurs, l’Etat-providence se développe (la Sécurité sociale est mise en place en 1945), ce qui assure des revenus minimaux aux plus démunis. La pauvreté recule sensiblement. Dans le même temps, les deux guerres mondiales et le développement des impôts sur le revenu et les patrimoines ont rogné les revenus des plus riches. On assiste à un amenuisement du nombre de très riches

  • De nouveaux emplois se développent, qui font aussi gonfler la classe moyenne et la renouvellent (on passe d’une classe moyenne indépendante à une classe moyenne moderne, massivement salariée). Avec le développement des missions de l’Etat, notamment de l’Etat-providence, la fonction publique prend de l’ampleur (développement du nombre d’enseignants, du personnel hospitalier, etc.). Le progrès technique permet le développement de nouveaux types de postes dans les entreprises (ingénieurs notamment). La demande des consommateurs évolue vers les services, ce qui TERTIARISE la société
  • La démocratisation de l’accès à la culture (par le biais de l’Ecole) et l’enrichissement de la population conduisent à une homogénéisation des modes de vie. Ces modes de vie ne sont plus obligatoirement « dictés » par les classes supérieures, ils ont plutôt pour origine les classes moyennes modernes.

Ainsi, politiquement, on parle souvent d’un « glissement à gauche » de la population française à la faveur des Trente Glorieuses. En effet, les classes moyennes modernes sont caractérisées par leur progressisme politique. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 a été largement portée par ces classes moyennes salariées, dont les valeurs ont fini par « percoler » dans toutes les couches de la population ou presque.

--> Ces évolutions ont amené les sociologues à élaborer des théories nouvelles. Exemple : la théorie d’Henri Mendras (La Seconde Révolution française, 1988)

 

2) Des distances intra-classes qui se creusent, réduisant l’homogénéité objective des classes sociales et leur capacité à constituer un facteur d’identification subjective

--> Les distances intra-classes : inégalités qui séparent les membres d’une même classe sociale (dispersion au sein de la classe sociale).

--> Les classes sociales perdent ainsi de leur cohérence et de leur homogénéité car les inégalités internes les fracturent de plus en plus.

Exploitation du document 1 : les classes moyennes perdent de leur cohérence. Une partie de la classe moyenne rencontre des difficultés à accéder et à maintenir son statut de propriétaire immobilier (alors qu’il s’agissait d’un facteur de création de distances inter-classes avec les classes populaires).

Les distances intra-classes qui s’accentuent s’expliquent par :

  • Diversification des statuts (qualifiés/non qualifiés, stables/précaires) dues aux mutations du marché de l’emploi : progrès technique (fin de la taylorisation du travail, émergence d’ouvriers qualifiés, etc.), mondialisation, désindustrialisation, montée du chômage (précarisation, dualisation du marché de l’emploi, mise en concurrence accrue des salariés)
  • Diversification des métiers, pour répondre à de nouveaux besoins (exemple du développement des services à la personnes chez les employés, pour répondre aux besoins de prise en charge de l’enfance/du grand âge, mais aussi au souhait des classes les plus favorisées d’externaliser les tâches domestiques en « achetant » du temps de travail non qualifié)
  • Perturbation de l’homogénéité interne à la classe par d’autres facteurs de clivage : âge (jeunes plus précaires que vieux), origine ethnique, genre…

--> Cette perte d’homogénéité objective s’accompagne de difficultés à s’identifier subjectivement à une classe sociale : c’est la « classe pour soi » qui a des difficultés à se réaliser.

  • Des critères d’identification concurrents à la classe sociale, plus particulièrement dans les catégories les plus fragiles de la population
  • Recul du sentiment d’appartenance à la classe ouvrière

Le démantèlement des grands bastions ouvriers, la montée du chômage et de la précarité, la destruction progressive des spécificités de la sociabilité ouvrière s’accompagnent du brouillage de la capacité des ouvriers à s’identifier à un même groupe social. Cela se traduit aussi par le recul de la cohérence politique du groupe ouvrier (perte d’audience du PCF, des syndicats ouvriers…).

  • Les travailleurs non qualifiés tendent à construire leur identité autrement qu’en se basant sur leurs caractéristiques professionnelles, qui ne leur offrent pas les conditions nécessaires à une identification. Ainsi, ils se “fracturent” entre identités de genre (les femmes construisant leur identité par rapport à leur statut familial, les hommes par rapport à leur insertion dans des cercles de sociabilité amicale masculine), entre classes d’âge (jeunes contre moins jeunes) et entre population immigrée et non-immigrée. Cela contribue là encore à rendre difficile l’émergence d’une conscience de classe chez les travailleurs non qualifiés.

Exploitation du document 2 : période de creusement des inégalités sociales, mais perte d’audience du concept de « classe sociale », visibilité de plus en plus grande d’autres facteurs de clivages sociaux (origine ethnique, âge…).

  • L’individualisation au travail alimente cette difficulté à faire émerger la conscience de classe

--> Individualisation : Processus de différenciation des individus dans les différentes sphères de la vie sociale. Les individus s’autonomisent des groupes d’appartenance traditionnels (famille, religion, communautés villageoises…). Les individus continuent à former des groupes sociaux mais ils considèrent de plus en plus les liens qui les unissent à ces groupes comme des liens choisis, qui ne doivent pas entraver leur épanouissement personnel.

--> L'individualisation du travail est mise en place après mai 1968, suite à la plus longue grève du XXème siècle. Il s’agit principalement de profiter des désirs d’autonomie et de liberté des salariés pour affaiblir la puissance des organisations représentatives des salariés, qui agissaient sur une base collective.

En 1973,  le patronat met en place une stratégie « d'atomisation », de la gestion des salariés qui aboutit à l'individualisation de l'organisation de travail et de gestion des salariés.

On prétend reconnaître les mérites, les efforts, les capacités et les compétences de chaque individu, on projette de personnaliser au mieux les horaires et objectifs de travail. Cela répond aux demandes des salariés, en faveur de plus d’autonomie et de créativité, mais, dans le même temps, cela affaiblit considérablement la capacité à former des collectifs de travail et cela amenuise le pouvoir de négociation des organisations syndicales.

 

II/ Mais les signes d’un maintien, ou plutôt d’une recomposition des classes sociales sont nombreux, notamment depuis les années 2000

1) Les signes d’une permanence de distinctions objectives entre des groupes sociaux structurés autour de leur identité socio-professionnelle

--> De nombreux travaux mettent en évidence la persistance de traits objectifs communs à des groupes dont l’identité se forge bel et bien dans l’univers socio-professionnel. En d’autres termes, ces études montrent qu’il persiste ce qui correspondrait à des « classes en soi », ou encore, pour reprendre la terminologie de Camille Peugny, des « univers de vie disjoints » entre des ensemble socio-professionnels.

--> Des pratiques de consommation encore très distinctes entre cadres et ouvriers

Exploitation du document 3 : Louis Chauvel met en évidence des pratiques de consommation dont les différences sont très marquées entre ouvriers et cadres. Il montre notamment que si les ouvriers utilisent encore majoritairement leurs revenus pour accéder à des biens de première nécessité, les cadres, eux, se distinguent par leur capacité à acheter le temps d’autrui et à épargner.

--> Des frontières à redéfinir et à articuler avec d’autres facteurs de clivages sociaux

Selon Camille Peugny, la notion de classe sociale est toujours d’actualité, cependant, il faut se poser la question de leur délimitation. Selon cet auteur, la classification socio-professionnelle élaborée par l’INSEE peut toujours servir, mais plus forcément à l’échelon des groupes socio-professionnels (définis par un seul chiffre). Il est plus pertinent de « descendre d’un cran » dans la nomenclature et utiliser la définition « à deux chiffres ».

Par ailleurs, il est possible selon Camille Peugny d’articuler les différents clivages. Ils se combinent et confortent la position défavorisée de certains groupes sociaux, comme c’est le cas du monde des employés des services directs aux particuliers. Ce dernier regroupe non seulement des employés le plus souvent non qualifiés, mais aussi très souvent des femmes, largement d’origine immigrée. L’auteur ouvre ainsi la voie à une analyse intersectionnaliste de la structure sociale.

 

2) L’identification subjective à des classes sociales est loin d’avoir disparu…

--> Si l’identification aux classes populaires décline, il n’est pas pour autant possible de conclure à une disparition pure et simple de la capacité des Français à se sentir appartenir à une classe sociale. Comme dans les années 1960, près de 2 Français sur 3 se sentent appartenir à une classe sociale. Par ailleurs, la conscience de classe apparaît particulièrement forte dans les sphères les plus favorisées de la population, comme en témoignent les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sur la haute bourgeoisie.

--> Non seulement l’identification subjective à une classe sociale ne recule pas, mais, de plus, les Français adhèrent majoritairement à l’idée de relations conflictuelles entre les classes

Exploitation du document 4 : près de 2 Français sur 3 estiment la lutte des classes est une réalité.

 

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