Dans l'esprit de ses promoteurs, l'épargne salariale répond à trois objectifs.
· Tout d'abord, elle doit permettre de mieux associer les salariés aux résultats de leur entreprise. En ce sens, elle relève d'une démarche participative qui permet d'enrichir le rapport entre le salarié et l'employeur en ne limitant pas celui-ci à un seul rapport salarié / travail mais en l'étendant à celui d'actionnaire / capital.
· Elle doit ensuite favoriser l'épargne collective, par la création de fonds au sein de chaque entreprise ayant mis en place de tels dispositifs, et ce sous l'inspiration des mutual funds américains. La collectivisation de l'épargne permet alors de bénéficier d'un effet volume, propre à réduire le coût des opérations et à diversifier le risque des épargnants. Elle permet également à des personnes néophytes en matière de placements de confier leur épargne à des professionnels. Les exonérations accordées par l'Etat rendent en outre ce type d'épargne particulièrement attractif pour le salarié d'un point de vue fiscal.
· Enfin, elle doit favoriser le développement des investissements des entreprises, et permettre un certain rééquilibrage de l'origine des capitaux des entreprises françaises, les principales sociétés françaises côtées étant souvent majoritairement détenues par des fonds de pension anglo-saxons. Cet avantage s'est révélé ne pas être le seul pour les entreprises françaises. En effet, l'épargne salariale leur permet de motiver davantage leurs salariés, de disposer de fonds stables dans le temps, non soumis aux aléas du marché.
Cependant, l'épargne salariale souffre de dysfonctionnements comparables à ceux rencontrés par les différents régimes de retraite. Elle est notamment devenue un important vecteur d'inégalités entre salariés. En outre, son objectif de maintien sous contrôle national du capital des entreprises françaises s'est révélé un échec. Enfin, la complexité des différents dispositifs d'épargne salariale mis en place progressivement depuis 45 ans rend leur lisibilité difficile pour les salariés et accroît de fait le pouvoir des dirigeants d'entreprises, généralement chargés de la gestion de l'épargne salariale.
Face à ce constat, Lionel Jospin, Premier ministre, a confié en octobre 1999 à Jean-Pierre Balligand, député socialiste de l'Aisne, et Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, pour mission un état des lieux complet de l'épargne salariale en France. De leur rapport, remis en janvier 2000, ont émergé quelques principes moteurs d'une réforme : la simplification et l'harmonisation des dispositifs existants, une meilleure diffusion de l'épargne salariale dans les PME, une gouvernance des entreprises plus transparente et plus participative, la création d'une épargne à long terme pour les salariés qui le souhaitent et une meilleure utilisation de l'épargne salariale au service de l'emploi et de la réduction des inégalités.
Un projet de loi a alors été soumis au Parlement, qui l'a adopté le 19 février 2001.
Cette étude se propose dans un premier temps d'évaluer l'importance de l'épargne salariale en France, et d'analyser son rôle du point de vue de l'équité sociale. Elle se propose ensuite d'étudier les principaux apports de la nouvelle loi de février 2001 et d'examiner les nombreux développements qu'elle a connus depuis, notamment sur le plan syndical.
Des dispositifs hétérogènes qui couvrent d'importants volumes
Le marché de l'épargne salariale
Les dispositifs d'épargne salariale antérieurs à la loi L.E.S. (Loi d'Epargne Salariale) du 19 février 2001 (participation, intéressement et P.E.E.) ont rencontré un certain succès auprès des salariés et des entreprises. Ils drainent chaque année un flux de ressources de près de 7 milliards d'euros dont les quatre cinquièmes sont épargnés. Fin 1997, l'épargne salariale au sein du capital des sociétés du CAC 40 représentait environ 55 milliards de francs.
Sur 68 introductions en bourse réalisées à Paris en 1997, 12 ont permis aux salariés des sociétés concernées de bénéficier de conditions préférentielles pour l'achat d'actions ; ce fut notamment le cas pour France Telecom. De même, sur les 148 émissions de titres de capital réalisées par les sociétés du premier marché en 1997, 36 étaient réservées aux salariés.
En 1998, l'épargne salariale représentait un total de 200 milliards de francs (aux Etats-Unis, ce chiffre est 40 fois supérieur, pour une population environ quatre fois plus importante[1] ). 39 des 40 sociétés du CAC 40 avaient mis en place un dispositif d'actionnariat salarié avant 1999[2] .
A la fin de l'année 1999, l'encours total des fonds communs de placement d'entreprise (F.C.P.E.), fonds regroupant des placements d'épargne salariale, dépassait les 50 milliards d'euros. Cet encours avait déjà doublé entre 1992 et 1997.
De même, le concept de salarié actionnaire (le salarié est actionnaire de l'entreprise qui l'emploie) sous-jacent à l'épargne salariale recouvre une réalité de plus en plus importante : il représentait selon la COB 74 milliards de francs au 31 décembre 1997, contre 18 milliards de francs en 1991 (soit un quadruplement en six ans)[3] .
En 2000, 14 600 entreprises et 3 millions de salariés bénéficiaient d'un système d'intéressement. 2,12 milliards d'euros ont ainsi été dégagés, dont 625 millions d'euros ont été épargnés au sein de P.E.E. Au 31 décembre 1999, la participation concernait 21 500 entreprises et 5,1 millions de salariés. Sur les 3,6 milliards d'euros dégagés, la moitié avait été placée en F.C.P.E. et l'autre moitié en comptes courants bloqués. Plus de la moitié des bénéficiaires de la participation avaient perçu une prime d'un montant moyen de 945 euros. En 2000, 1,3 millions de salariés disposaient d'un P.E.E. pour un montant total de plus de 2,9 milliards d'euros, provenant pour 59% des versements volontaires des salariés (dont 21% au titre de l'intéressement), 22% de la participation et 19% de l'abondement des entreprises[4] .
Ces montants sont certes importants, mais demeurent marginaux par rapport à ceux d'autres actionnaires institutionnels, tels les fonds de pension. Ils représentent en effet 3% de la capitalisation boursière française. Il est toutefois trois tendances à constater : il y a de plus en plus d'épargne salariale, de plus en plus orientée en actions, et de plus en plus investie en actions de la société employeur.
L'actionnariat salarié peut aussi s'imposer dans certaines sociétés. Il représente ainsi 9,3% du capital au sein de la Société Générale (et a contribué à l'échec de l'OPE de la BNP sur la banque, alors même que les salariés actionnaires de la BNP avaient apporté leur soutien à l'opération - dans les deux cas, on notera que les salariés actionnaires ont été partie prenante de la stratégie de l'entreprise), 6% chez Bouygues (10,2% des droits de vote compte tenu d'actions à droit de vote double), 5% au CCF, voire 18% chez Essilor[5] . Dans les sociétés non cotées, ce résultat est également loin d'être négligeable : 14% d'Auchan, 50% du Groupe Léon Doras (PME familiale de la Côte-d'Or spécialisée en négoce de matériaux de construction) ou 14% de GT Location[6] .
MM. Balligand et de Foucauld, auteurs du rapport "L'épargne salariale au cœur du contrat social", résument ainsi la situation : "notre pays a mis en place progressivement un ensemble imposant de dispositifs d'épargne salariale poursuivant des objectifs multiples et souvent mêlés. Certains compartiments de cet ensemble font preuve, depuis quelques années, d'un réel dynamisme. Mais l'effet régulateur global de tous ces mécanismes est encore limité. Tel est, résumé en quelques mots, le constat que l'on peut faire aujourd'hui de l'état de l'épargne salariale en France"[7] .
Un système inégalitaire
Même si les dispositifs d'épargne salariale ouvrent des possibilités très intéressantes, le rapport Balligand-de Foucauld en a montré leurs limites : seulement un tiers des salariés du secteur privé était concerné en 2000 par l'un de ces dispositifs, les petites et moyennes entreprises en demeurant assez largement exclues.
En effet, selon ce rapport, "seulement 90 000 salariés d'entreprises de moins de cinquante salariés perçoivent de la participation, sur un total de près de 4,8 millions" (à noter que la participation aux bénéfices est obligatoire pour les entreprises de plus de cinquante salariés).
Au total, seuls 22% des salariés (des entreprises privées et publiques) détenaient de l'épargne salariale en 1997. Dans les autres professions (indépendants, salariés de l'Etat et des collectivités, retraités, …), l'épargne salariale est totalement marginale : seuls 2% des personnes étaient concernées.
De fait, l'épargne salariale est moins répandue que d'autres dispositifs d'épargne à long terme. Ainsi, plus d'un tiers des salariés du privé possédaient une assurance-vie en 1997.
Dans la plupart des cas, cette épargne salariale était placée sur le support du P.E.E. Ainsi, près de 63% des salariés du privé qui détenaient de l'épargne salariale en 1998 avaient un P.E.E[8] . Pour les 37% restants, il s'agissait ordinairement d'un compte courant bloqué, d'un F.C.P.E., ou plus directement d'actions de l'entreprise.
La gestion de ce P.E.E. était généralement assurée en externe par des investisseurs institutionnels, ce qui induit que "l'implication du salarié est [….] moindre que pour les produits d'épargne plus traditionnels". Trois salariés sur quatre possédant un P.E.E. savaient toutefois sur "quel type de placement" était investie leur épargne (on notera que le type de placement – actions, obligations, … – était connu, mais que la question ne portait pas sur les supports exacts).
Le montant épargné demeurait en outre faible puisque près de la moitié des sommes épargnées au sein de ces dispositifs ne dépassait pas 1 500 euros et que seulement 13% des salariés avaient épargné plus de 50 000 F en 1998. Ceci peut notamment s'expliquer par le fait que seul un salarié sur cinq avait effectué des versements volontaires sur son P.E.E., complétés par des versements de l'entreprise dans trois cas sur quatre.
Une majorité des salariés ne faisait donc que capitaliser la participation et éventuellement l'intéressement mis en place par l'entreprise. De plus, le montant épargné dépendait fortement de la catégorie socioprofessionnelle, les primes d'intéressement et de participation étant généralement proportionnelles au salaire.
Ainsi, 28.2% des cadres déclaraient posséder plus de 50 000 F, contre 14,5% pour les professions intermédiaires, 7.6% pour les employés et 1% pour les ouvriers non qualifiés. A l'inverse, 60,3% des ouvriers avaient épargné moins de 10 000 F, ce chiffre ne cessant de baisser pour les catégories socioprofessionnelles supérieures pour atteindre 26% chez les cadres.
Plusieurs facteurs discriminent également ce rapport à l'épargne salariale : l'âge, le type de contrat de travail ou encore l'ancienneté dans l'entreprise. A noter que ces trois facteurs sont également explicatifs du salaire (et lui sont donc corrélés de manière positive ou négative).
Force est de constater en effet que salaire élevé et épargne salariale vont souvent de pair. Ainsi, en 1998, si moins de 10% des salariés dont le salaire mensuel net est inférieur à 6 000 F (la dernière enquête Patrimoine de l'Insee, effectuée entre octobre 1997 et janvier 1998, est donc en francs français) détenaient de l'épargne capitalisée en entreprise (ce qui exclut les primes d'intéressement immédiatement encaissées), ils étaient 20% pour un salaire mensuel net compris entre 6 000 F et 8 000 F et près de 40% pour un salaire compris en 10 000 F et 12 000 F. Le taux de croissance se ralentissait pour les tranches de salaire supérieures, mais la tendance ne s'inversait pas : 45% des salariés dont le salaire mensuel net dépassait 20 000 F détenaient de l'épargne capitalisée en entreprise. Cette étude de l'INSEE n'incluait toutefois pas les dispositifs type stock-options.
Carine Burricand[9] explique cette tendance par deux facteurs :
. les salariés aux revenus modestes ont une moindre propension à épargner (d'où une moindre propension à la capitalisation des système d'épargne salariale).
. la participation est plus répandue dans les grandes entreprises qui versent, en moyenne, des salaires plus élevés.
L'ancienneté jouait également à plein dans ces disparités. En effet, seulement 5% des salariés recrutés depuis moins de deux ans détenaient de l'épargne salariale. Ceci s'explique par le fait que la plupart des entreprises incluaient dans leurs systèmes d'épargne salariale une clause d'ancienneté minimale, qui ne pouvait toutefois excéder six mois (et trois mois dans la loi Fabius). A salaire, âge et type de contrat de travail équivalents, la détention d'épargne salariale s'accroît donc avec l'ancienneté.
Ainsi, les salariés ayant entre cinq et neuf ans d'ancienneté ont presque deux fois plus de chances de posséder de l'épargne salariale que ceux qui travaillent depuis moins de cinq ans. Là encore, l'effet taille de l'entreprise peut aussi jouer indirectement : si une entreprise sur deux disparaît avant cinq ans, cette proportion est d'autant plus importante que l'entreprise est petite (cf. la corrélation entre taille de l'entreprise et systèmes d'épargne salariale).
On notera également que les salariés en CDD et les intérimaires ont une propension trois fois plus faible à détenir de l'épargne salariale que ceux en CDI, toutes choses égales par ailleurs. Ceci influe sur l'âge des détenteurs d'épargne salariale. En effet, plus d'un tiers des 20-24 ans sont employés avec ce type de contrats précaires, contre 18% des 25-29 ans et moins de 10% des plus de 30 ans. De ce fait, seuls 14% des moins de 30 ans détiennent de l'épargne salariale, contre 25% pour les plus de 30 ans.
Toutefois, toutes choses égales par ailleurs, le taux de détention d'épargne salariale tend à décroître fortement au-delà de 40 ans. Ceci peut s'expliquer par le fait que de nombreux salariés ayant atteint cet âge utilisent les procédures de déblocage anticipé, notamment pour devenir propriétaire.
Par delà ces inégalités face à l'épargne salariale, les rapporteurs Balligand et de Foucauld ont constaté (et leur constat figure dans l' "exposé des motifs" du projet de loi déposé en juillet 2000) que "l'économie française ne tire pas le meilleur profit de la capacité d'épargne des ménages, insuffisamment orientée vers des placements de long terme, auxquels les salariés sont pourtant favorables. Le dispositif actuel est donc souvent inégalitaire, insuffisamment efficace et trop peu fédérateur"[10] .
En effet, force est de constater que ces placements à long terme permettent d'assurer des fonds stables dans le temps. En outre, la création de dispositifs d'épargne à long terme, si elle s'assimile à la création de fonds de pension, présentait l'avantage de ne pas en porter le nom. La réforme de l'épargne salariale, de ce point de vue, permettait donc l'ouverture de la voie de systèmes de capitalisation des retraites fiscalement intéressants (à l'heure actuelle, seul le système Préfon mis en place pour les fonctionnaires en 1967 permet cette combinaison), sans toutefois s'atteler à ce dossier épineux, source de tant de manifestations sous le gouvernement précédent.
Les rapporteurs Balligand et de Foucauld nient toutefois toute volonté de réforme déguisée des régimes de retraite dans leur rapport : "le développement de l'épargne salariale ne peut servir de monnaie d'échange à la réforme des régimes de retraites par répartition. L'épargne salariale a une nature très différentes de l'épargne-retraite. Cette dernière implique des versements réguliers, pendant une longue période, de sommes qui restent indisponibles et sont retirées, non pas en capital, mais en rentes. A l'inverse, l'épargne salariale est plus aléatoire, puisqu'elle dépend fortement des performances des entreprises. La mission considère que l'adaptation des régimes par répartition constitue une priorité et que le développement de l'épargne salariale ne peut s'y substituer."
Toutefois, les rapporteurs ajoutent immédiatement que "l'épargne salariale peut et doit néanmoins jouer un rôle surcomplémentaire par rapport aux régimes de base et complémentaires". A titre d'exemple, la fédération des boulangers alsaciens a d'ailleurs mis en place un plan d'épargne inter-entreprises (prévu par la nouvelle loi) dans l'optique d'un fonds complémentaire au système de retraite par répartition.
Les apports de la loi d'épargne salariale du 19 février 2001
L'ambition initiale de la nouvelle loi d'épargne salariale présentée par Laurent Fabius était donc triple : permettre une "préparation partenariale et volontaire de l'avenir" (en permettant aux salariés de réaliser leurs projets par une épargne durable constituée dans le cadre de l'entreprise, de manière totalement volontaire, sans toutefois porter atteinte au système de retraite par répartition), permettre "un meilleur partage des fruits de la croissance au sein de l'entreprise" (par un "enrichissement du dialogue social" et "un renforcement des engagements réciproques du salarié et de l'entreprise") et permettre "une plus grande maîtrise de leurs fonds propres par les entreprises françaises", notamment les PME, par l'apport de "financements stables et sûrs" et leur permettant "une meilleure maîtrise de leur avenir".
L'objectif implicite de cette loi était également de simplifier les dispositifs existants en matière d'épargne salariale. Gérard Rameix, directeur général de la COB, souhaitait "un vent de simplification et peut-être d'amplification de certaines indications", afin d' "accélérer ce mouvement d'épargne salariale" et d'ôter "un aspect de sédimentation dans ces dispositifs". Cet objectif implicite a toutefois échoué.
Les principaux dispositifs de la loi
De ces objectifs découlent les principales articulations de la nouvelle loi d'épargne salariale.
Cela passe notamment par la création d'un plan d'épargne interentreprises (P.E.I.), hybride des P.E.E. préexistants. Il prévoit que plusieurs entreprises (notamment les PME, peu concernées jusqu'à présent par les P.E.E.) pourront désormais "se regrouper pour instituer par accord collectif un plan d'épargne sur une base territoriale ou professionnelle", dans le cadre d'une négociation entre partenaires sociaux, afin d'en mutualiser le coût (ce coût de gestion d'un P.E.E. peut aujourd'hui être prohibitif pour une petite structure qui ne pourrait lever des fonds conséquents pour y faire face). Des mesures d'extension des dispositifs aux salariés mobiles ou à contrat à durée déterminée sont également prévues : assouplissement des conditions d'ancienneté dans l'entreprise, dispositions favorisant le transfert de plan en cas de changement d'entreprise.
La création d'un dispositif d'épargne salariale à long terme
Annoncé comme une réponse aux attentes des salariés et aux besoins de financements stables de l'économie française, un plan d'épargne de long terme est créé, sur le modèle du P.E.E. à cinq ans préexistant : le plan partenarial d'épargne salariale volontaire (P.P.E.S.V.). Il doit permettre aux salariés de se constituer une épargne de précaution abondée par l'entreprise ou d'aider au financement de ses projets. Sa durée est fixée à dix ans minimum. En outre, "afin de favoriser l'actionnariat des salariés", les titres de l'entreprise souscrits dans le cadre d'un P.P.E.S.V. ne peuvent être vendus avant une durée de sept ans et sous réserve que la durée totale d'investissement au sein du P.P.E.S.V. soit respectée. Six cas de sortie anticipée sont toutefois envisagés : le décès du titulaire, le départ en retraite du titulaire, l'invalidité du titulaire ou de son conjoint, l'expiration des droits à l'assurance chômage, l'achat de la résidence principale et la création d'entreprise.
Le renforcement des droits des salariés
Le projet de loi L.E.S. (Loi d'Epargne Salariale) souhaitait inciter à la négociation et à la discussion entre les partenaires sociaux, notamment par une obligation annuelle de négociation sur la mise en place de l'épargne salariale dans l'entreprise, une fréquence accrue de la discussion sur l'actionnariat salarié en assemblée générale d'actionnaires, et un droit de regard accru des salariés porteurs de parts sur les fonds communs de placement d'entreprise (avec notamment le poste de président du conseil de surveillance évoqué plus haut qui leur revient).
L'investissement socialement responsable
Sous l'impulsion de Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, et de groupes de pression, tels que le Forum pour l'Investissement Responsable (F.I.R.), une des articulations de la loi prévoit un lien vers l'économie solidaire. Une orientation d'une partie des flux de l'épargne salariale vers le financement des entreprises relevant de l'économie solidaire est encouragée. Ceci n'est pas en soi une révolution. En effet, la Fongepar, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations spécialisée en gestion d'épargne salariale, a été une des premières à mettre en place un F.C.P.E., "Fongepar Insertion Emplois", constitué au 31.12.2001 à 82.8% de parts du fonds éthique Insertion Emplois, dont il détient ainsi environ 25% des encours.
A l'origine, en juillet 2000, le projet de loi sur l'épargne salariale préparé par le ministère de l'Économie et des Finances ne comportait aucune référence à l'investissement socialement responsable. C'est alors que le F.I.R., s'inspirant de la législation britannique sur les fonds de pension mise en œuvre depuis le 1er juillet 2000, a engagé une concertation avec la CFDT, des financiers et des hauts fonctionnaires pour étudier les modalités d'introduction de l'investissement éthique dans le projet de loi.
Les propositions du F.I.R., s'articulaient autour des points suivants :
- introduire le concept d'investissement responsable dans la loi,
- accroître la transparence et la lisibilité des offres de produits d'épargne collective de la part des opérateurs spécialisés vis-à-vis des salariés épargnants,
- promouvoir le développement d'une épargne socialement responsable,
- renforcer les droits des salariés épargnants en permettant un exercice "socialement responsable" des droits de vote associés à la détention des titres de placement,
- développer la compétence des administrateurs ou membres de conseils de surveillance représentant les salariés épargnants,
- ouvrir aux comités d'entreprise une possibilité de consultation annuelle sur l'épargne salariale.
Le F.I.R., après une importante communication sur le sujet, a finalement obtenu l'inscription de l'investissement socialement responsable au sein de la loi présentée en août 2000. Le chapitre consacré à l'investissement socialement responsable a été l'objet de nombreuses discussions, notamment parce que le projet de loi déposé à l'origine contraignait énormément les sociétés de gestion d'épargne salariale.
L'article finalement adopté le 19 février 2001 prévoit que "le règlement précise, le cas échéant, les considérations sociales, environnementales ou éthiques que doit respecter la société de gestion dans l'achat ou la vente des titres, ainsi que dans l'exercice des droits qui leur sont attachés. Le rapport annuel du fonds rend compte de leur application, dans des conditions définies par la Commission des opérations de bourse."
Cet article, qui est beaucoup moins contraignant pour les professionnels, a le mérite de placer la responsabilité d'orienter les placements selon des considérations socialement responsables au niveau des conseils de surveillance des fonds d'épargne salariale et non au niveau des gestionnaires de fonds.
L'après-loi
La loi adoptée en lecture définitive le 19 février 2001 a fait l'objet de deux décrets parus le 31 juillet 2001, d'une circulaire inter-ministérielle rendue publique le 22 novembre 2001 et d'une instruction de la COB en février 2002. Quatre organisations syndicales (la CFDT, la CGT, la CFTC et la CFC) ont constitué un "Comité intersyndical de l'épargne salariale" (C.I.E.S.). Ce comité se propose de donner un cadre aux négociations qui commencent à s'ouvrir sur ce thème au sein des entreprises. Il s'est en outre assigné trois missions principales : l'amélioration du fonctionnement des dispositifs d'épargne (notamment en assurant une plus grande sécurité des sommes investies), la sélection de fonds à partir d'un cahier des charges adressé aux gestionnaires de fonds et la publication d'un rapport annuel analysant la manière dont ces fonds "labellisés" ont répondu à leurs engagements, et ce pour garantir l'orientation des fonds vers des entreprises socialement responsables. Au 10 juin 2002, sept produits d'épargne salariale avaient déjà reçu le label du C.I.E.S.
Les différentes pistes envisagées par les rapporteurs ont donc, selon le cas, été suivies ou ont échoué. Cependant, la loi Fabius sur l'épargne salariale a le mérite d'innover dans deux aspects majeurs : elle accorde un contrôle accru des salariés sur les structures et les fonds mis en œuvre et elle prévoit, dans la lignée d'autres lois européennes comme le "Pension Act" britannique, un certain nombre de dispositions pour favoriser l'investissement socialement responsable. Récemment, Alain Juppé, président de l'UMP (dans l'opposition lors du vote de la loi en février 2001), a d'ailleurs salué cette loi dans une interview télévisée.
[1] Fondact, (1998), Les salariés actionnaires, évolution ou révolution ?, Actes du forum national organisé par Fondact et AIPF le jeudi 26 novembre 1998.
[2] Cumunel, C., (1999), "Actionnariat salarié : réalité et perspectives", Rapport moral sur l'argent dans le monde 1999, pp.245-252.
[3] op. cit.
[4] Collectif, (2002), L'épargne salariale, intéressement, participation et plans d'épargne, Transparences, Ministère de l'emploi et de la solidarité & La documentation française.
[5] Cumunel, op.cit.
[6] op.cit.
[7] Balligand J-P. & de Foucauld J-B., (2000), L'épargne salariale au cœur du contrat social, La documentation française.
[8] Les chiffres cités proviennent de : Burricand, C., (2001), "Enquête patrimoine 1998 : moins d'un salarié sur quatre détient de l'épargne placée en entreprise", INSEE Première, n°755, repris dans Problèmes économiques, (2001), n°2703, pp.10-12 sous le titre "L'épargne salariale ne profite pas à tous les salariés" .
[9] op. cit.
[10] projet de loi n°2560 du 1er août 2000.