L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Clotilde Defauconpret1, académie de Versailles, et Jean-Michel Szczerba, directeur Général Adjoint-Directeur financier, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2007 consacrés au thème "Le financement de l'entreprise : intermédiaires et marchés financiers". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.
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Introduction
La France a ses entrepreneurs qui ont tout le talent des figures mythiques que l'on cite sans cesse mais qui ne font pas l'objet d'une étude attentive. C'est le cas de Plastic Omnium, parti d'une cave de la rue du Louvre (1946) pour fabriquer des pièces plastiques pour le marché automobile et maintenant installé dans 26 pays sur 123 sites industriels. Pierre Burelle, le fondateur d'une dynastie sur deux générations, a atteint la taille mondiale en conservant l'entreprise dans le patrimoine familial à hauteur d'une courte majorité. Comme on identifie souvent la bourse avec le CAC40, on peut avoir le sentiment implicite que la bourse est réservée aux très grandes entreprises. L'histoire de Plastic Omnium montre le contraire, même si la volonté de conserver le contrôle de l'entreprise oblige à une grande vigilance quant au recours aux marchés financiers. L'histoire passée montre que la progression de l'entreprise a été remarquable ; l'histoire future montrera s'il existe ou non des effets de seuil qui obligent à diluer davantage le capital. Le développement de l'entreprise familiale n'a été possible que par un financement approprié de choix stratégiques qui se sont révélés judicieux puisque le groupe a été bénéficiaire tous les ans depuis sa création.
Plastic Omnium, une entreprise familiale
La Compagnie Plastic Omnium a été créée en 1946 par Pierre Burelle. Le développement de l'entreprise l'a conduit dans deux directions complémentaires. Tout d'abord l'automobile, où l'entreprise est numéro 2 mondial pour les pare-chocs, systèmes d'absorption d'énergie et autres pièces de carrosserie. De l'autres, les services où l'entreprise est numéro 1 mondial avec deux compagnies Signature (prestations de services) et PO environnement (bacs roulants et composteurs, conteneurs pour l'apport volontaire).
La famille Burelle détient 76,2 % du groupe Burelle SA qui détient lui-même 52 % de Plastic Omnium. Outre son fondateur, elle a donné deux présidents à l'entreprise, Jean et Laurent Burelle (fils du fondateur).
Les implantations internationales de l'entreprise montrent que les enjeux du développement sont immédiatement mondiaux, ce qui exige évidemment de disposer de fonds abondants pour y parvenir. Ainsi, ingénieurs et industriels, " bâtisseurs de cathédrales", les Burelle ont utilisé la bourse comme levier de croissance.
Les axes stratégiques de la stratégie de croissance
Les dirigeants qui souhaitent conserver le pilotage d'une entreprise familiale sont soumis à des contraintes en matière de financement de leur développement, l'apport de capitaux extérieurs étant limité par la volonté de ne pas diluer le capital familial. Les axes stratégiques du développement de l'entreprise sont partiellement définis par cette contrainte. Ils visent à assurer l'indépendance financière de l'entreprise tout en garantissant sa croissance.
La diversification des risques
Le premier axe stratégique est la diversification des risques. Pour ce faire, la famille Burelle a développé deux cœurs de métier qui sont l'automobile et l'environnement. Ces deux activités ont une cyclicité et des besoins capitalistiques différents. La complémentarité des marchés est très significative puisque, dans les métiers de l'automobile les clients sont les constructeurs automobiles tandis que pour l'environnement il s'agit des collectivités locales. Le développement de l'activité internationale vient compléter ce dispositif de sorte que le ralentissement d'un marché local, comme le marché français pour l'automobile peut être compensé par le dynamisme d'autres zones géographiques. De fait, 70 % du chiffre d'affaires de Burelle SA est réalisé hors de France.
La spécialisation sur le cœur de métier
Parce qu'il est impossible d'être le meilleur sur tous les marchés avec des moyens financiers limités, l'entreprise va décider d'arrêter ou de revendre certaines activités qui ne possèdent pas la taille critique. Ce fut le cas de l'activité « intérieur du véhicule » vendue en 1999 ou celles de Plastic Omnium médical, vendue en 2004.
Pour les activités qui sont considérés comme faisant partie du cœur de métier mais dont le développement exige des capitaux importants, il est possible de pratique une Joint Venture. Ce fut le cas en 2000 avec Solvay pour l'activité « systèmes à carburant ».
Un partenariat constructif avec les banquiers du groupe
Pour rester indépendant, il faut avoir une trésorerie saine et nette. Pour s'assurer de cet objectif, la trésorerie du groupe est suivie en temps réel. Cette méthode va lui permettre de connaître au jour le jour sa situation et de pouvoir éventuellement corriger les erreurs. De plus, les financements sont réalisés exclusivement par des emprunts classiques, simples et prudents ce qui va éviter de faire appel à des capitaux extérieurs avec le risque de dilution du capital. C'est ainsi que Burelle SA se refuse à utiliser la technique du covenant qui repose sur des clauses de respect de ratios financiers dont le non-respect entraîne l'exigibilité immédiate de la dette.
L'autofinancement de la croissance
La croissance de Burelle SA repose principalement sur l'autofinancement. Cela se traduit par une gestion du compte de résultat par le bilan. Concrètement, cela signifie d'une part que la marge brute d'autofinancement – somme des amortissements, des provisions et du résultat net après impôt – doit être supérieure à la somme des investissements et du besoin en fonds de roulement et, d'autre part, que la dette financière ne doit pas excéder les capitaux propres.
On peut définir la marge brute d'autofinancement comme étant : la représentation au bilan de fin d'exercice d'une entreprise, le total constitué par les amortissements, tout ou partie des provisions et le résultat net après impôt ; elle représente la capacité d'autofinancement de l'entreprise dégagée au cours de l'exercice (avant une éventuelle distribution de bénéfices). Ainsi, la marge brute d'autofinancement peut être rapprochée de la capacité d'autofinancement de l'entreprise. De plus d'après la stratégie de l'entreprise cette MBA doit être supérieure aux investissements et à la variation du besoin en fonds de roulement.
Malgré cela, à plusieurs reprises, Plastic Omnium a eu recours aux marchés financiers.
L'utilisation de la bourse comme levier de croissance
Le groupe Plastic Omnium est entré en bourse presque par hasard, dans le cadre de la prise de contrôle de l'Union des Mutuelles des Propriétaires Lyonnais, entreprise cotée à Lyon. Par la suite, elle a utilisé des instruments diversifiés pour financer sa croissance depuis les emprunts bancaires (opération Techni-Plaste Industrie en 1986) jusqu'aux émissions d'actions destinée à financer l'OPA sur Reydel (1995). Néanmoins, le recours aux émissions d'actions est désormais contraint par la volonté de la famille Burelle de conserver la majorité absolue des titres (52 % après l'émission d'actions de 1994).
Les opérations de croissance externe qui ont constitué le groupe Plastic Omnium
Depuis sa création, la SARL Plastic Omnium s'est développée grâce à l'utilisation de la bourse.
- 1965 Prise de contrôle de l'Union des Mutuelles des Propriétaires Lyonnais
- 1986 Burelle S. A. acquiert Landry et Techni-Plaste Industrie par emprunt.
- 1988 Apport de Landry à Plastic Omnium rémunéré en titres Plastic Omnium.
- 1990 Emission d'ABSA (Action à Bon de Souscription d'Action) par Plastic Omnium, accélération de l'internationalisation et dilution de Burelle SA
- 1991 Apport de Techni-Plaste Industrie par Burelle SA à Plastic Omnium rémunéré en titres Plastic Omnium. À cette époque, Burelle SA est introduit à la cote officielle et développe son activité de signalisation routière.
- 1994 Augmentation de capital de Plastic Omnium par émission d'actions ; dilution du capital de Burelle SA de 56 à 52 %
- 1995 OPA sur Reydel
Burelle SA a utilisé avec succès diverses techniques permises par les marchés financiers.
La fourniture de titres en contrepartie d'une acquisition.
Cette formule a été utilisée d'abord pour rémunérer les apports de Landry en 1988 et les apports de Techni-Plaste Industrie en 1991. L'avantage de la formule est qu'elle ne suscite aucune sortie d'argent liquide, qu'il n'est pas nécessaire de trouver des financements en obligations. Néanmoins, sous réserve de certaines procédures, cela se traduit par une diminution du capital aux mains des propriétaires familiaux.
L'émission d'actions à bons de souscription d'action (ABSA)
Il s'agit d'une émission de titres composés d'une action classique et d'une option de souscription d'actions nouvelles.
L'augmentation de capital
Il s'agit de la formule la plus connue qui a été utilisée en 1994.
Cet ensemble d'opérations a permis de hisser le groupe Plastic Omnium aux tous premiers rangs mondiaux pour les secteurs d'activité sur lesquels il s'est spécialisé.
Pourquoi rester coté ?
En 2001, le groupe Burelle SA est sorti du SRD (Service de Règlement Différé) et du SBF120. Lancé le 8 décembre 1993, l'indice SBF 120 est composé des 40 valeurs de l'indice CAC40 auxquelles s'ajoutent 80 valeurs du Premier Marché parmi les plus liquides. Il est diffusé et calculé en continu depuis le 18 avril 1994). De plus, la volonté d'indépendance limite fortement l'aspect spéculatif des titres. Alors, pourquoi rester coté en bourse ?
- La cotation a un coût
Le fait d'être coté en Bourse implique un certain nombre d'obligations : l'entreprise doit publier des informations trimestrielles sur sa situation ; elle doit organiser des réunions avec les analystes et les investisseurs. Tout cela entraîne des coûts, implique la création d'un service de communication financière dédié aux relations avec les actionnaires et pèse sur le temps des dirigeants qui doivent régulièrement expliquer leur stratégie et justifier des écarts entre les prévisions et les réalisations.
- La cotation est une obligation de transparence
Le fait d'être coté en Bourse impose des normes comptables particulières et ses comptes doivent être validés par des administrateurs indépendants. Les normes IFRS (International Financial Reporting Standard ou Normes Internationales d'Information Financière) sont un corpus de normes comptablesde haute qualité destiné aux grandes entreprises internationales dont le suivi implique évidemment des coûts.
- La cotation est une obligation d'excellence
A contrario, la cotation est un gage de qualité à la fois pour les clients de l'entreprise et pour les banquiers. Elle permet donc de sécuriser ces derniers quant au sérieux de l'entreprise au niveau de sa trésorerie et de sa gestion.
- La cotation est un outil de management et de gestion des ressources humaines
La cotation en bourse permet de mettre en place certains outils favorisant le management. Elle donne lieu à l'émission de stock-options qui, pour les cadres dirigeants qui en bénéficient, créent un lien entre la performance individuelle et la performance boursière. Cela est un gage de motivation lorsque les responsabilités d'un cadre engagent le succès de l'entreprise. Plus largement, la cotation en bourse permet d'associer les salariés à la performance globale de l'entreprise au travers d'un Plan Epargne Entreprise : 2 % du capital de l'entreprise est détenu par les salariés.
Conclusion
La bourse a donc été un allié objectif du développement à long terme de Plastic Omnium et de Burelle SA. La volonté de conserver la gestion familiale de l'entreprise constitue une limite au recours aux marchés financiers. Malgré les coûts liés au fonctionnement des marchés financiers, il n'est pas question de sortir de la bourse, via une technique de LBO (Leverage Buy Out) par exemple, car cela pourrait hypothéquer le développement futur de l'entreprise. De plus, la cotation permet d'associer les salariés aux performances globales de l'entreprise par les plans de stock-options et par l'actionnariat salarial.
[1] L'étude a été synthétisée par Guillaume Monneau