L'évolution de la législation française sur les licenciements montre que le législateur n'a toujours pas trouvé le juste équilibre entre la protection des salariés et la nécessité pour les entreprises d'ajuster leurs effectifs au périmètre de leur activité. L'autorisation administrative de licenciement, créée par Jacques Chirac le 3 janvier 1975 est progressivement apparue comme une source de rigidités au point que sa suppression était demandée au nom même de la création d'emplois. Lorsque la chose est décidée, en 1986, la loi décide que le juge aura la responsabilité de d'apprécier si le licenciement a "une cause réelle et sérieuse". Cette notion, introduite par la loi de 1973, a été précisée ainsi par le Ministère du travail : la cause réelle et sérieuse est "une cause objective qui tient soit à la personne de l'employé, soit à l'organisation de l'entreprise". Sur cette base, la jurisprudence a construit un échafaudage juridique qui oblige l'employeur à rationaliser toute décision de licenciement. Bien entendu, dans le concret, les choses ne sont pas aussi simples et ce qui apparaît rationnel aux yeux de l'employeur ne peut se trouver tel pour le salarié, qui ont régulièrement fait appel aux tribunaux pour trancher ce conflit d'interprétation. Aux sécurités de la loi (l'autorisation administrative de licenciement) a succédé l'incertitude de la jurisprudence.
C'est dans ce contexte que le Conseil d'analyse économique, dans un rapport signé par Olivier Blanchard et Jean Tirole (2003), a proposé une sorte de marchandage. Pour faire simple, l'assouplissement du contrôle judiciaire serait la contrepartie d'une taxation des licenciements. On voit bien que l'objet de cette proposition est de responsabiliser les acteurs en amont pour sécuriser le terrain de la décision en aval. Pour autant, cette proposition, au demeurant fort peu discutée, n'est pas simple à mettre en œuvre. Elle touche en effet à l'un des piliers du système de protection sociale qui est la mutualisation. D'autre part, elle sous-estime les efforts financiers déjà effectués par les entreprises dans le cadre des procédures de reclassement.
Taxer les licenciements, une manière de responsabiliser les acteurs
Les auteurs préconisent un assouplissement du contrôle juridictionnel des licenciements économiques
Notre droit du licenciement économique est très procédural. Il prévoit de très nombreuses étapes à respecter, toutes sévèrement sanctionnées : entretien, lettre, éventuellement consultation des organes représentatifs du personnel. Les licenciements collectifs sont encore plus lourds à mettre en œuvre. Cette procédure importante est justifiée par la nécessité de rendre le licenciement le moins douloureux possible pour les salariés. Il faut, pour bien comprendre l'importance du contrôle, s'intéresser non seulement au Code du travail lui-même, mais aussi à l'interprétation qu'en a faite le juge. Par une succession d'arrêts, la Cour de Cassation (juridiction suprême de l'ordre judiciaire) a en effet façonné une jurisprudence allant au-delà de la lettre de la loi.
Selon le Code du Travail, un licenciement n'est valable que s'il est justifié par un motif personnel (faute, insuffisance professionnelle) ou économique. Le licenciement pour motif personnel est statistiquement marginal et ne suscite guère de réflexion. C'est sur le licenciement économique que portent les discussions théoriques et politiques. Il est défini ainsi par le Code du Travail (article L 321-1 al. 1er) : "Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques."
La Cour de Cassation a largement contribué à affiner cette définition. La présence de l'adverbe "notamment" dans la définition a conduit les juges suprêmes à déterminer d'autres causes de licenciement économique. Par exemple, la réorganisation de l'entreprise a été reconnue comme une cause de licenciement dès lors qu'elle était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise (Cass. Soc. 5 avril 1995 ; 2 avril 1996). De même, la réorganisation d'un service n'est considérée comme recevable que si elle est justifiée par des difficultés économiques réelles (Cass. Soc. 26 mars 2003). La cessation d'activité est, elle aussi, un motif de licenciement économique. Cette jurisprudence constante est largement aussi décisive pour l'état du droit positif que les dispositions législatives. Le débat entre le MEDEF et le gouvernement à l'automne 2004 autour de la loi sur le licenciement, a donc tourné largement à vide. D'autres juridictions ont également apporté leur pierre à l'édifice. Il faut citer en particulier le Conseil constitutionnel, qui, dans une décision du 12 janvier 2002, a censuré une disposition de la loi de modernisation sociale, qui supprimait de la définition du licenciement économique l'adverbe "notamment", et restreignant donc considérablement les cas de recours au licenciement économique.
Le licenciement est très contrôlé par le juge. Les licenciements individuels font l'objet de moins de contraintes procédurales que les licenciements collectifs, qui nécessitent un plan de sauvegarde de l'emploi. Ce contrôle fait de plus l'objet de contournements dont l'actualité se fait régulièrement l'écho (Metaleurop – 10 mars 2003, Flodor – mi-août 2003…). Non seulement le juge apprécie la légalité des licenciements, mais il s'interroge sur son opportunité économique et ce, de façon de plus en plus extensive : par une évolution progressive de la jurisprudence, fruit des décisions mêmes du juge, il est amené à examiner la situation économique de l'entreprise, les conditions de sauvegarde de sa compétitivité, la possibilité de solutions alternatives… Au final, avec O. Blanchard et J. Tirole, l'économiste s'interroge pour savoir si la décision est bien celle de l'entrepreneur ou du juge : "Le système judiciaire doit conserver son droit de regard sur la dénomination des départs. (…) Par contre, les juges ne doivent pas se substituer au jugement de l'entreprise dans la gestion, car ils n'en ont ni la compétence, ni en général l'information nécessaire, sans mentionner le manque de critères précis guidant leur intervention. Si l'entreprise reconnaît l'acte de licenciement et est prête à en supporter les coûts, le rôle du juge doit alors être confiné à la vérification de la procédure." (2003, p. 10) Cela est d'autant plus vrai que la France se situe en effet dans le peloton de tête des pays de l'OCDE, selon son indice de protection de l'emploi. Il conviendrait donc d'en modifier la structure, voire d'en diminuer l'importance. En contrepartie, pour conserver l'équilibre entre employeurs et employés, la proposition centrale du rapport au Conseil d'analyse économique est de taxer les licenciements.
La fiscalisation de l'assurance-chômage pourrait baisser le coût du travail et responsabiliser les entreprises
Les caisses d'assurance-chômage sont alimentées par des cotisations assises sur la masse salariale. Celles-ci représentent environ 6,5% du salaire. Elles pèsent donc de manière sensible sur le coût du travail, normalement considéré comme un des déterminants essentiels de l'emploi. Les fédérations patronales, ainsi que certaines grandes institutions internationales comme l'OCDE, recommandent régulièrement de baisser les charges qui pèsent sur les salaires, ce qu'ont fait de nombreux pays, dont la France. Une taxe sur les licenciements ne peut donc que se substituer aux charges existantes. Quelles pourraient en être les modalités ?
La proposition d'O. Blanchard et de J. Tirole, d'ailleurs relayée par P. Cahuc (2003) consiste en une substitution de la taxe sur les licenciements à tout ou partie des cotisations d'assurance-chômage actuelles. La condition matérielle de cette substitution est la démutualisation totale ou partielle qui fait sortir d'un système d'assurance collective. Sans le dire, mais en tenant bien compte de l'évolution organisée progressivement par la jurisprudence, le centre de gravité du système passerait du salarié à l'entrepreneur. Dans le premier cas, même si les cotisations sont payées par l'entreprise, c'est le salarié qui estime utile de s'assurer contre le risque de chômage. De fait, l'Etat ne cotise pas pour les fonctionnaires et, même si ceux-ci versent une contribution de solidarité, elle ne leur ouvre pas droit à prestations. Dans le second cas, les entreprises ont une responsabilité indéfinie quant à l'emploi mais s'en libèrent en versant un "droit à licencier" ; quant aux salariés, ils bénéficient d'une “assistance” dont les conditions sont définies par la loi pendant leur période de chômage.
Pour les auteurs, l'opération serait neutre d'un point de vue macroéconomique mais elle permettrait de diminuer le coût du travail dans les entreprises qui ne licencient pas ; c'est, du côté des employeurs, la fin des “passagers clandestins” de l'assurance-chômage. Elle permet d'autre part de responsabiliser les entreprises. Le modèle de référence est le principe du pollueur-payeur mis en place sous forme de l'experience rating aux Etats-Unis. La théorie économique a en effet montré que les systèmes d'assurance pouvaient générer des comportements inappropriés qualifiés de “hasard moral” : le fait d'être assuré entraîne une moindre vigilance quant à la prévention des risques pour lesquels une assurance a été souscrite. Dans le cas de figure de l'allocation de chômage, l'assurance permettrait d'externaliser les fluctuations de la conjoncture, voire d'utiliser le marché du travail (licenciement suivi d'embauche) pour trouver les qualifications désirées au lieu d'investir dans la formation professionnelle des salariés en poste. La taxation des licenciements pénalise automatiquement de tels comportements alors qu'ils sont aujourd'hui contrôlés par le juge. De même, il existe des effets d'externalité liés au chômage : la valeur sociale d'un emploi dépend du tissu économique local. La multiplication des licenciements dans un bassin d'emploi entraîne une diminution de la probabilité d'embauche qui dévalorise les qualifications individuelles. Là encore, la taxation des licenciements pourrait, sous certaines réserves, obliger à une prise en compte en amont du risque d'allongement de la durée du chômage puisqu'elle se traduirait par une augmentation des taxes à payer.
Le seul mécanisme de ce genre en France est la contribution Delalande mise en place en 1987. Celle-ci prévoit le versement d'une taxe pour le licenciement des salariés de plus de 50 ans. Mais ce mécanisme, isolé, est contre-productif. Il renchérit le coût de l'emploi d'un senior par rapport à un moins de 50 ans, puisque le licenciement éventuel du senior engendrera le paiement d'une taxe supplémentaire. Il dissuade donc l'embauche de ces salariés.
La généralisation du mécanisme de taxation offre donc des avantages certains. D'un point de vue économique, la taxation des licenciements semble plus efficiente que la protection de l'emploi sous sa forme actuelle, du fait d'une plus grande lisibilité du système pour l'employeur. D'un point de vue politique, elle paraît plus acceptable qu'une remise en cause pure et simple de la protection de l'emploi. On peut toutefois regretter le manque de précision des deux rapports sur les modalités techniques d'application de cette taxation car, si l'ensemble paraît cohérent, tout dépend en fait de la manière dont il est introduit. Le premier risque est celui d'une aggravation de la situation d'entreprises souvent en mauvaise passe au moment où elles licencient. Comme le résume Jérôme Gautié, "taxer les licenciements risque d'accroître la "double peine" que subissent les entreprises en difficulté, cette taxe, couvrant théoriquement les indemnités de chômage, pouvant s'avérer plus coûteuse que les coûts directs (indemnités de licenciement) et indirects (frais de procédure) existant dans le système actuel" (2004, p. 3). Alors que les charges sociales représentent des coûts constants pour l'entreprise, la taxe interviendrait au moment critique. Face à ce danger, un employeur rationnel provisionnerait les charges d'un licenciement futur, ce qui représente autant de moins sur les salaires ou les investissements. En augmentant le coût prévisionnel du travail, elle conduirait au même arbitrage en faveur du capital que le système actuel.
Un autre point non éclairci dans les différentes propositions réside dans le calcul des suppressions d'emplois. S'agit-il de prendre en compte tout licenciement ? S'agit-il au contraire de ne compter que les destructions nettes, en soustrayant les créations intervenues sur la même période ? Cette question est essentielle. En effet, si l'on taxe les suppressions d'emplois brutes, on ne prend pas en compte les cycles économiques que connaît une entreprise, et ses besoins d'ajustement. Cet écueil est évité en considérant les destructions nettes. Mais encore faudrait-il déterminer une période pertinente pour soustraire les créations d'emplois au solde des destructions d'emplois. L'Experience rating américaine prend en considération l'ensemble de la vie de l'entreprise.
Ces deux interrogations de taille relativisent l'attrait de cette proposition. Ceci est encore accentué par le défaut d'articulation avec les autres institutions du marché du travail.
Cette proposition n'est pas articulée avec une vision globale de réforme du marché du travail
La taxation des licenciements face à la dualité CDD/CDI.
L'instauration d'une taxe sur les licenciements obligerait à réviser le statut juridique spécifique du contrat à durée déterminée (CDD) par rapport au droit du licenciement et donc à rapprocher, voire à réunifier les CDD et les CDI (contrats à durée indéterminée). En effet, selon les chiffres cités par Pierre Cahuc (2003, p. 26) 53,1% des personnes quittant leur emploi le font suite à une fin de CDD, alors que seules 1,9% le font suite à un licenciement économique. Or, la fin d'un CDD n'ouvre droit aux allocations de chômage que s'il a été assez long. De plus, comme, dans la réforme proposée, l'entreprise serait libre de procéder aux licenciements qu'elle entend faire sous réserve de payer la taxe, les auteurs pensent qu'il n'y aurait plus de raison de l'autoriser à embaucher à durée déterminée ou que, si elle le faisait, elle devrait ajouter la taxe (pour les caisses d'assurance-chômage) à la prime de fin de contrat (égale à 10% de la rémunération brute au bénéfice du salarié). Ainsi serait résolue la difficile question de la dualité du marché du travail français, cas d'école remarquable de la dialectique des insiders et des outsiders !
Il faut noter cependant que, si cette procédure permet effectivement de résoudre le remplacement contraire à l'esprit de la loi et à la justice de CDI par des CDD répétés, elle semble faire fi de la réalité économique du caractère cyclique de l'activité économique que certaines entreprises de taille moyenne, voire petite, ont à supporter. Il est à noter, par exemple, que la notion de “contrat de mission” depuis longtemps demandé par les entreprises n'a pas été retenue malgré sa reprise dans le rapport de Virville.
Une taxe sur les licenciements rendrait la disparition de cette dualité d'autant plus nécessaire qu'elle mettrait en jeu l'indemnisation du chômage, et non plus seulement la protection individuelle des salariés. En effet, le recours au CDD dans le système actuel conduit à une baisse du niveau individuel de protection contre le licenciement, mais ne menace pas les caisses d'assurance-chômage, les cotisations étant basées sur le salaire et non sur la nature du contrat de travail. Dès lors que ces caisses tireraient une partie de leurs ressources d'une taxe sur le licenciement, il deviendrait indispensable que l'employeur ne puisse s'y soustraire en recourant à une forme d'emploi ne pouvant donner lieu à un licenciement, et donc au versement d'une taxe.
Il faut toutefois souligner que l'échange, au cœur du rapport de Blanchard et Tirole, entre baisse de la protection juridictionnelle et taxation des licenciements, conduit à diminuer l'attrait du CDD pour l'employeur. Le recours au CDD est en effet un moyen de s'assurer que le salarié ne restera dans l'entreprise que le temps d'accomplir la mission précise (remplacement d'un autre salarié absent, besoin exceptionnel dans l'entreprise,…). Au terme de cette mission, le contrat est rompu, sans indemnités de licenciement. En abaissant le contrôle juridictionnel, c'est-à-dire en assouplissant la protection de l'emploi, on rendrait le CDD moins intéressant, puisque l'employeur pourrait plus facilement se séparer de son salarié en CDI.
Les observations de l'OCDE tendent à confirmer la corrélation entre niveau de protection de l'emploi et taux de CDD dans l'emploi total. Le CDD est donc bien un moyen de contourner la rigidité de la protection de l'emploi permanent. Notons d'ailleurs l'ambiguïté des politiques publiques en France, qui ont souvent été présentées comme maintenant un "modèle social de qualité" et une forte protection de l'emploi, mais qui dans le même temps ont facilité le recours au CDD. Ce grand écart a des impacts sur la cohésion sociale. Comme le souligne l'OCDE (2004, p. 95sq), cette dichotomie conduit à créer deux catégories de salariés, bénéficiant de niveaux de protection de l'emploi tout à fait différents. L'OCDE met en lumière le fait que certaines catégories socioprofessionnelles sont plus concernées que d'autres par ce différentiel de protection. Une réglementation sévère de la protection de l'emploi couplée à un recours facilité aux contrats temporaires affecte surtout les jeunes travailleurs et les non diplômés. Cet effet est donc nocif d'un point de vue politique, puisqu'il peut conduire à la naissance d'un sentiment de frustration chez les travailleurs les moins protégés.
P. Cahuc d'une part et O. Blanchard et J. Tirole d'autre part divergent sur les moyens à employer pour combattre cette dualité. Pierre Cahuc suggère de recourir à des incitations pour convaincre les entreprises d'embaucher en CDI. Les économistes du CAE semblent plutôt favorables à une intervention réglementaire pour combattre cette dualité, tout en inventant une forme intermédiaire de contrat de travail (renforcement des périodes d'essai…). C'est une proposition assez similaire à celle qu'avait formulée le rapport de Virville, qui envisageait l'instauration de contrats de 5 ans, à mi-chemin entre CDD et CDI.
Comme le montre très bien l'OCDE, ce n'est pas du tout la voie choisie dans la plupart des économies développées. Les politiques mises en œuvre ont privilégié l'accès au CDD, sans trop toucher à la protection de l'emploi permanent. On peut expliquer en partie cette tendance par une observation politique. Il est très délicat, vis-à-vis des électeurs, de toucher trop à la protection de l'emploi. En revanche, la flexibilisation des CDD est discrète, et mobilise assez peu les opinions publiques.
La nécessité de revenir sur la dualité entre CDD et CDI est donc envisagée par les auteurs des deux rapports. Mais cela ne suffit pas à générer une proposition entièrement cohérente.
Une réforme du marché du travail qui reste au milieu du gué
La réglementation du marché du travail est un sujet particulièrement sensible en France. La permanence du chômage contraint chaque gouvernement à lancer une mesure acceptable par l'opinion publique. La taxation des licenciements peut-elle être considérée comme une réforme d'envergure qui concilierait efficacité économique et acceptabilité politique ?
L'analyse économique et désormais, l'observation statistique, montrent que la protection de l'emploi peut avoir des effets pervers qui ne portent pas de manière égale sur les différentes strates de la population active. D'abord, elle remplirait effectivement son rôle de protection des emplois aux conditions existantes puisque le taux d'entrée du chômage est d'autant plus faible qu'elle est rigoureuse. Mais, parallèlement, elle aggraverait le chômage de longue durée en ralentissant le taux de sortie du chômage. La lutte contre le chômage passerait donc par une certaine forme de flexibilité dans la protection de l'emploi. Notons qu'il convient de maintenir le conditionnel sur ces affirmations, l'OCDE étant elle-même assez prudente, tant d'un point de vue pratique (difficulté de construction des différents indices) que d'un point de vue théorique, quelques économistes ayant récemment travaillé sur les effets bénéfiques de la protection de l'emploi. Les quelques économistes ayant entamé des recherches sur les effets bénéfiques de la protection de l'emploi soulignent notamment que les travailleurs se sentant protégés s'investissent plus dans l'entreprise, ce qui améliore la productivité du travail, la compétitivité économique de l'entreprise et peut finalement concourir à créer des emplois (voir Fella, Giulio (2004), "Efficiency Wage and Efficient Redundancy Pay", in European Economic Review, vol. 44; Belot, Michèle, Boone, Jan, et van Ours (2002), «Welfare Effects of Employment Protection", CEPR Discussion Paper, n° 3396 pp. 1473-1490). Ces recherches n'ont pas encore abouti à des théories solides, et ne contestent aucunement les effets négatifs évoqués ci-dessus. Elles tendraient simplement à ajouter aux effets pervers un effet positif.
Quoiqu'il en soit, l'impact de la taxation des licenciements sur le chômage n'est pas indépendant des autres paramètres de régulation du marché du travail. On notera en particulier que, le 5 mai 2004, le Parlement a voté une "loi relative à la formation tout au long de la vie" qui devrait favoriser l'employabilité des salariés en cas de perte d'emploi. D'un autre côté, malgré l'exemple de la plupart des pays européens, l'indemnisation du chômage de longue durée reste en France l'une des plus favorables.
De même, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a déjà renforcé la protection du salarié en portant la prime de licenciement à 20% du salaire mensuel par année d'ancienneté. Certaines entreprises vont beaucoup plus loin. Les plans de sauvegarde de l'emploi contiennent en effet souvent (bien que cela soit très variable selon la culture et les moyens des entreprises) des clauses favorisant financièrement la création d'activité, des rattrapages de salaire en cas d'emploi moins bien rémunéré… Il est donc impossible d'envisager la question des coûts du licenciement sans traiter ce point important. Est-ce que la taxation des licenciements remplacerait ces mesures, ou viendrait-elle s'y ajouter ? Cette question est essentielle pour juger de la légitimité de la taxation des licenciements. Si cette taxe se substitue aux mesures du plan social, les salariés seront sans doute perdants, les prestations de l'assurance-chômage étant beaucoup moins généreuses. Cela signifie aussi que l'on considère l'Etat ou les organismes paritaires plus à même de gérer les conséquences du licenciement que les entreprises elles-mêmes.
Ceci soulève un dernier point, plus institutionnel, qui mériterait lui aussi d'être clarifié. En transformant les cotisations sociales actuelles en taxe, on changerait leur nature juridique. L'impôt est en effet prélevé par l'Etat, et se fond dans son budget, sans qu'il soit possible d'affecter à l'avance les recettes d'un impôt particulier. La ventilation des ressources de l'Etat est décidée lors du vote par les parlementaires de la loi de finances. A l'inverse, les cotisations sont gérées par les différentes caisses, organismes paritaires où siègent des représentants des syndicats et du patronat. Instaurer cette taxe signifie-t-il que l'on souhaite mettre un terme à la gestion paritaire ? A l'évidence, cette question est importante, et risque de déterminer en partie la position des syndicats sur cette question. Elle n'est pas non plus soulevée dans les rapports.
Conclusion… provisoire
Au-delà des imprécisions techniques qui entourent la proposition, il faut s'interroger sur sa capacité à recueillir l'assentiment des acteurs concernés. Côté patronal, nul doute que la perspective d'une nouvelle taxe ne serait pas très bien accueillie. Malgré le consensus de nombreux experts – puisque tant l'idée de taxer les licenciements que la proposition de mettre un terme à la dualité entre CDD et CDI ont été reprises par le rapport Camdessus (2004), il se pourrait bien que les programmes politiques à venir ne retiennent qu'un des deux termes de l'échange. Or, c'est justement ce dosage qui rend la proposition équilibrée, malgré son inscription incertaine dans le paysage du droit et du marché du travail français.
Blanchard Olivier et Tirole Jean (2003), "Protection de l'emploi et procédures de licenciement", Rapport du Conseil d'Analyse Economique, n° 44, Paris, La documentation française, rapport disponible sur le site du CAE
Cahuc Pierre (2003), Pour une meilleure Protection de l'emploi, Centre d'observation économique de la CCIP, Documents de travail (disponible en ligne)
Camdessus Michel, directeur (2004), Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France, Paris, La documentation française, disponible sur le site de la Documentation française
Gautié, Jérôme, "Faut-il taxer plutôt que réglementer les licenciements ?", in Connaissance de l'emploi n°5, juillet 2004
OCDE (2004), Perspectives de l'emploi, Paris