Conférence aux journées de l’économie (JECO, novembre 2022)
L’équité scolaire est aujourd’hui un enjeu de premier ordre pour l’école française. Au-delà de la recherche de la baisse des inégalités sociales ou de genre pour elles-mêmes car considérées comme illégitimes dans le cadre d’une société démocratique, il s’agit de la promouvoir pour améliorer l’efficacité du système scolaire français, celui-ci étant évalué comme peu ou moyennement performant par rapport à d’autres pays de niveau de développement comparable.
Mots-clés : performance scolaire, inégalités scolaires, mixité sociale, égalité filles / garçons
Le conseil d’évaluation de l’école définit l’équité scolaire comme une finalité de politique éducative dans le cadre de laquelle le système éducatif fournit les mêmes chances d’apprendre à tous les élèves. Il précise que l’équité ne signifie pas l’obtention des mêmes résultats par tous les élèves, mais plutôt l’absence de lien entre les différences de résultats entre les élèves et le milieu dont ils sont issus ou les facteurs économiques et sociaux sur lesquels ils ne peuvent exercer aucun contrôle (genre, origine sociale, lieux d’habitation, etc.). L’équité scolaire est un objectif affiché depuis longtemps par les politiques publiques en France. Pourtant, malgré des inégalités économiques contenues, celui-ci peine à être atteint. Les constats qui s’enchaînent depuis les années 1960 font état d’un lien particulièrement important en France entre milieu social d’origine des élèves et leur réussite à l’école. Depuis les années 1980, l’importance du lien entre genre et réussite scolaire est aussi bien documentée.
Les résultats du programme international pour le suivi des acquis des élèves de 15 ans (PISA) qui a lieu tous les trois ans depuis le début des années 2000 est particulièrement éclairant. En termes de performance, la France se situe un peu au-dessus de la moyenne des pays testés. Cependant, les inégalités scolaires s’y sont stabilisées depuis 2010 mais y sont toujours particulièrement fortes en comparaison des autres pays. L’équité scolaire est donc loin d’y être réalisée. Toutefois, si aucun pays ne la réalise parfaitement, certains s’en approchent tout en ayant un niveau de performance élevé. Quelques-uns combinent équité et excellence. C’est le cas notamment de la Corée du Sud, du Japon, du Canada de la Finlande, de l’Estonie ou de l’Irlande. Ces pays ont en commun un investissement très fort depuis 20 ans dans le métier d’enseignant pour attirer des étudiants vers celui-ci : dans la formation initiale, la formation continue, le développement de carrières et la revalorisation des salaires notamment pour ceux qui enseignent dans les zones défavorisées (en Estonie, le gain de salaire est de 30 % par rapport à ceux qui travaillent dans des zones « normales »).
L’enseignement principal à retenir de ces comparaisons internationales est donc qu’il n’y a pas de fatalité : il est possible pour la France d’agir sur l’équité tout en améliorant ses performances comme l’a fait par exemple le Portugal récemment. Un motif d’espoir se trouve dans la baisse colossale du nombre de décrocheurs en France, d’environ 150 000 en 2010 à près de 90 000 une dizaine d’années plus tard.
Agir sur l’équité scolaire nécessite d’agir sur la mixité sociale et l’égalité filles / garçons. Promouvoir la mixité sociale à l’école se justifie doublement : les enfants de milieux différents ont tout d’abord besoin de se rencontrer pour des raisons de cohésion sociale, de « vivre ensemble » ; deuxièmement, les études montrent que la mixité sociale améliore la performance scolaire des enfants de milieux défavorisés sans diminuer celle des enfants de milieux favorisés.
Une expérience qui a porté ses fruits en termes de mixité sociale est celle de la modification des modalités d’affectation au lycée dans l’académie de Paris. Le constat de départ porte sur la forte ségrégation résidentielle qui y a engendré des inégalités très fortes en termes de composition sociale entre collèges et entre lycées, constituant de véritables ghettos.
Pour y remédier, trois objectifs ont été fixés : favoriser la proximité géographique tout en renforçant la mixité sociale et la mixité scolaire (éviter les lycées « de niveau »). Pour les atteindre, la sectorisation a été modifiée de manière à limiter les effets de concurrence entre les lycées. Le bonus donné aux boursiers dans leur choix d’affectation a été maintenu et un bonus lié au collège d’origine a été ajouté (plus la composition sociale du collège d’origine est défavorisée, plus le bonus est important). Le recrutement sur dossier (comme aux lycées Henri IV et Louis Le Grand) a été supprimé. Les procédures à recrutement particulier, type sections internationales, ont été rendues plus transparentes et sont désormais pilotées au niveau du rectorat. Des vérifications d’adresse ont été multipliées pour éviter les « dérogations boîtes aux lettres ». Les cursus à haute valeur ajoutée (options, enseignements rares) ont aussi été redistribués équitablement entre établissements. Certains, considérés comme des « ghettos », ont même été fermés. Selon Julien Grenet, qui a piloté ces réformes, leurs effets ont été spectaculaires, ce qui est peu commun dans le cadre des politiques éducatives. De plus, leur coût est nul.
La ségrégation sociale au lycée a ainsi baissé de 40 % et la ségrégation scolaire de 30 %. Le point noir reste selon l’économiste l’exception des lycées privées sous contrat qui ne sont pas concernés par ces réformes bien qu’ils soient financés à 73 % par des fonds publics.
Au-delà de la promotion de la mixité sociale entre établissements, la recherche met en avant plusieurs pistes pour favoriser l’équité scolaire :
- la promotion de la mixité sociale à l’intérieur des établissements en évitant notamment les classes de niveau très défavorables aux enfants de milieux défavorisés,
- donner aux élèves un accès égal aux enseignants expérimentés en répartissant mieux les jeunes professeurs,
- limiter les barrières à l’enseignement supérieur, notamment financières, mais aussi informationnelles en diffusant les caractéristiques des différentes filières, et en luttant contre l’auto-censure et le manque de confiance en soi.
Globalement, les filles ont de meilleurs résultats scolaires, « décrochent » moins et sont plus nombreuses dans l’enseignement supérieur. Elles sont cependant moins nombreuses dans les filières scientifiques et les filières d’excellence (classes préparatoires notamment) à résultats scolaires égaux à ceux des garçons, ce qui a des conséquences importantes sur leur trajectoire professionnelle. L’explication vient selon la recherche en grande partie du fait qu’elles sont moins à l’aise dans les environnements compétitifs.
Une solution pour diminuer les inégalités de genre consiste à donner plus de confiance en soi aux filles. Pour cela, il est efficace de leur faire prendre conscience de leur vrai niveau (où elles se situent dans l’échelle des notes) notamment car elles ont tendance à se dévaloriser par rapport aux garçons. Cette prise de conscience a un effet très fort sur leur volonté d’intégrer des parcours plus prestigieux et modifie leurs vœux sur Parcoursup.
Il est aussi nécessaire de lutter contre les stéréotypes de genre, que certains professeurs ou l’équipe de direction véhiculent parfois à leur insu, en conseil de classe par exemple, et les accompagner plus étroitement dans leur parcours d’orientation.