L’innovation technologique, notamment celles liées aux technologies vertes comme les énergies renouvelables, est présentée comme une solution aux défis environnementaux mondiaux. Peut-on compter uniquement sur ces technologies ? Quelles difficultés rencontrent les entreprises, en Europe, pour les financer ? 

Intervenants :

• Philippe AGHION, Professeur au Collège de France
• Allegra KOWALEWSKI-FERREIRA, Entreprises énergétiques révolutionnaires, Breakthrough Energy
• Antoine CHALAUX, Chief Operating Officer, Rosi Solar

Modérateurs/Modératrices :

• Adeline WEISROCK, Professeur de SES, Académie de Strasbourg
• Marine TORT, Professeur de STI, Académie de Paris

5 points à retenir

• Nous observons une augmentation de la part relative des innovations que l’on peut classer en trois catégories : atténuation, adaptation, et amélioration. L’enrichissement des économies permet le développement d’innovations qualitatives.

• Le financement des technologies vertes est un défi majeur, nécessitant une expertise technique et une vision à long terme des investisseurs.

• L’Europe doit combiner taxe carbone et politique industrielle verte pour lutter contre les externalités environnementales et technologiques.

• La société civile joue un rôle via la demande adressée aux entreprises d’autant plus que l’environnement économique est concurrentiel.

• En Europe, le défi est de stimuler l’innovation de rupture et de la faire adopter par l’industrie ce qui nécessite des régulations plus souples, un financement adéquat mais aussi des changements culturels.

INNOVATIONS VERTES : DEFINITIONS, MESURE ET DEFIS

Pour Philippe AGHION, on observe une augmentation relative de la part des innovations vertes dans le total des innovations. Il en existe trois qui sont à combiner :

1. Les innovations d’atténuation (développement de nouvelles sources d’énergie propres ou amélioration de l’efficacité énergétique des processus de production).

2. Les innovations d’adaptation qui permettent aux sociétés et aux écosystèmes de s’ajuster aux changements climatiques déjà en cours ou anticipés (exemple de l’air conditionné).

3. Les innovations d’amélioration, qui visent à contrer directement les effets du réchauffement climatique. Le département de physique d’Harvard travaille notamment sur des techniques pour refroidir l’air telles la géo-ingénierie ou le déploiement « d’abats jours spatiaux ».

Mesurer la part des innovations vertes soulève des difficultés et devient un enjeu géopolitique. Plusieurs indicateurs sont nécessaires. Une des métriques est l'impact d’une innovation sur les émissions de CO2, même s’il peut être difficile d'isoler l'impact d'une seule innovation.

Antoine CHALAUX donne l’exemple de la société Rosi Solar car elle démontre la faisabilité technologique du recyclage des panneaux solaires. Cependant, le recyclage a un coût et il nécessite des investissements importants. Selon Allegra KOWALEWSKI-FERREIRA, de Breakthrough Energy Ventures, deux conditions sont nécessaires pour qu’une innovation verte émerge : la trouver et la financer. Leur approche consiste à évaluer les innovations en fonction de leur potentiel de réduction des émissions de CO2. L’équipe se compose principalement d’experts techniques (et non de financiers). Ils traduisent les innovations en termes économiques pour s’assurer de leur viabilité. Reste que le financement de ces technologies vertes est complexe : réinvention des processus industriels de base, et changement dans l’horizon de rentabilité des investisseurs (rentabilité de long terme).

INNOVATIONS VERTES : QUELLES INSTITUTIONS ?

Pour Philippe AGHION, l’État peut jouer un rôle crucial en utilisant des instruments tels que la taxe carbone. Mais, une politique industrielle verte est également essentielle (Inflation Reduction Act aux États-Unis). Il est nécessaire de combiner les deux car il y a deux sources d’externalités :

• L’externalité environnementale : la pollution génère des coûts non pris en compte par les pollueurs ce qui nécessite la mise en place d’une taxe carbone.

• L’externalité technologique : l’innovation passée dans des technologies polluantes tend à perpétuer l’innovation dans ces technologies (cercle vicieux) d’où l’importance d’une politique industrielle verte.

La société civile a également un rôle à jouer à travers la demande adressée aux entreprises et cela est d’autant plus vrai dans un environnement concurrentiel. 

En Europe, le problème né de l’opposition à toute politique industrielle en vertu de la politique de la concurrence. L'Europe manque d'une institution capable de stimuler l'innovation de rupture, notamment dans la transition énergétique, à l’image de la DARPA aux États-Unis. A. KOWALEWSKI-FERREIRA nuance ces propos. L’Europe produit de nombreuses innovations de qualité comparable à celle des États-Unis. Pour elle, le défi réside dans le fait de « faire sortir cette innovation des universités […] et la faire adopter par l’industrie ». P. AGHION approuve et prolonge ces propos. Il faudrait des régulations plus intelligentes, moins nombreuses et un emprunt européen capable de financer l’innovation verte. A. CHALAUX nuance les propos précédents en donnant le contre-exemple des directives européennes pro-actives sur le recyclage des équipements électriques et électroniques.

INNOVATIONS VERTES : LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION DES FINANCEMENTS

A. KOWALEWSKI-FERREIRA résume les conditions de financement par Breakthrough Energy Venture. Il faut d’abord évaluer la thèse d’impact des innovations et chercher celles capables de réduire de 1 % les émissions de gaz à effet de serre. On peut retenir trois critères clés : l’innovation doit être de rupture ; le marché concerné doit être suffisamment large ; et le projet doit être viable économiquement une fois à l’échelle industrielle. En Europe, l’attribution de financements est également plus faible qu’aux États-Unis : le marché du capital-risque en Europe représente moins de la moitié de celui des États-Unis, reflétant une approche différente du risque et une culture distincte face au succès et à l'échec. Un changement culturel pourrait donc être nécessaire pour encourager des investissements plus audacieux en Europe. 

PERSPECTIVES : DEBAT SUR LES THEORIES DE LA DECROISSANCE

P. AGHION reconnait la pertinence de certains arguments des partisans de la décroissance. Cependant, il souligne que cela ne suffira pas. L’innovation verte est donc essentielle. Elle est de deux types : quantitative ou qualitative. Or, les économies tendent vers le qualitatif quand ils s’enrichissent. Cette tendance est intéressante pour deux raisons : l’innovation qualitative est mal mesurée par le PIB et elle est plus orientée vers les services qui sont moins polluants que l’industrie manufacturière. Ainsi, il met en garde contre les barrières protectionnistes envers des pays comme la Chine, arguant qu’elles pourraient retarder leur enrichissement et donc leur transition vers une économie moins polluante. Cela retarderait leur contribution à la transition écologique mondiale. A. KOWALEWSKI-FERREIRA plaide pour des indicateurs qui prendraient en compte les externalités (exemple d’ « un PIB net des externalités »). Elle défend la nécessité d’un changement des comportements individuels, mais l’innovation technologique reste indispensable pour atteindre l’objectif de zéro émission nette. A. CHALAUX se prononce également pour une plus grande sobriété mais souligne le rôle de l’industrie dans la transition écologique et le rôle des professionnels.

CONCLUSION

Pour une économie soutenable, des changements comportementaux sont nécessaires mais cela ne peut se faire sans innovations vertes. En Europe, le développement des technologies vertes nécessite cependant des institutions plus flexibles, un financement substantiel, et un changement de modèle culturel de la part, aussi des investisseurs.

Pistes d'exploitation pédagogiques

• L’innovation technologique occupe une place centrale dans le programme de sciences économiques et sociales. Cette notion est abordée dans le questionnement « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ? » du programme de Terminale. Plus spécifiquement, ce regard croisé pourra être utilisé pour distinguer plusieurs types d’innovations, pour montrer comment les institutions affectent l’incitation à investir et innover mais également pour illustrer comment l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance (Axes 1 et 2).

• Ce regard croisé peut aussi être exploité au moment de l’étude des différents acteurs qui participent à la construction des questions environnementales dans le questionnement « Quelle action publique pour l’environnement ? ». La coopération entre acteurs privés et publics, à différentes échelles, est essentielle pour mener à bien la transition écologique. Enfin, les intervenants évoquent et présentent plusieurs outils utilisés par les pouvoirs publics qui doivent être étudiés dans ce questionnement du programme. (Axe 2)

• La question du protectionnisme vert peut être abordé dans le questionnement « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? » pour illustrer les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme. (Axe 4)

• La nécessité d’un changement de modèle culturel pour financer la transition écologique et notre rapport au risque peut être exploité dans le questionnement « Comment l’assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ? », plus précisément lors de l’objectif d’apprentissage n°2 pour montrer que l’exposition et l’attitude face au risque diffère selon les sociétés. (Axe 3)

Quelques ressources complémentaires

• Aghion, P., Antonin, C., & Bunel, S. (2020). Le pouvoir de la destruction créatrice. Odile Jacob.

L'ouvrage aborde le rôle de l'État dans la stimulation et l'orientation de l'innovation vers des solutions durables

• Rifkin, J. (2019). Le New Deal vert mondial. Les Liens qui Libèrent.
  L'auteur propose un plan ambitieux basé sur les énergies renouvelables et l'Internet des objets pour lutter contre le changement climatique.
• Gates, B. (2021). Climat : Comment éviter un désastre ?. Flammarion.
  Le fondateur de Microsoft expose sa vision des innovations technologiques nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, mettant l'accent sur des solutions concrètes.
• Latouche, S. (2019). La décroissance. Que sais-je ?
  Une introduction à la pensée de la décroissance, qui remet en question le paradigme de l'innovation technologique comme solution.
• Décryptage Melchior – Le pouvoir de la destruction créatrice, Philippe Aghion & Céline Antonin (notamment le module pédagogique n°6)

https://www.melchior.fr/le-pouvoir-de-la-destruction-creatrice-philippe-aghion-celine-antonin

• Eduscol Education, Parcours d'enseignement SES en lien avec l'EDUCFI, Parcours 2 - L’environnement : enjeux économiques et politiques publiques.
  https://eduscol.education.fr/document/50513/download
• P.-L. Girard, C. Le Gall, W. Meignan, P. Wen, Croissance et décarbonation de l'économie, Trésor-Eco n°315, 11/10/2022.

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/10/11/croissance-et-decarbonation-de-l-economie

• Anne Faure, Gauthier Roussilhe, Quelle contribution du numérique à la décarbonation ?, France Stratégie, Note d’analyse 141.

https://www.strategie.gouv.fr/publications/contribution-numerique-decarbonation

• Comment l'UE finance-t-elle la transition vers la neutralité climatique ? [Infographie] Union Européenne 2023

https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/financing-climate-transition/

• Banque de France, La finance verte, L’éco en bref, 10/06/2024

https://abc-economie.banque-france.fr/la-finance-verte

• Guillaume Coqueret (25/06/2024) Finance verte : pourquoi et comment ? [Vidéo]

https://ses.ens-lyon.fr/articles/finance-verte-pourquoi-et-comment

• J. Grosjean, O. Cuny, C. Gianella, P. Reyl, La tarification du carbone dans les pays nordiques, Trésor-Eco n°346, 11/07/2024.

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/07/11/la-tarification-du-carbone-dans-les-pays-nordiques

• Christine HENNION et Sophie AUCONIE, Rapport d’information sur la politique européenne en matière d’innovation de rupture, 04/10/2018.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/due/l15b1293_rapport-information#_Toc256000003

• CAE, GCEE, Quelle réponse de l’Union européenne face à l’Inflation Reduction Act ?, Joint Statement, 21/09/2023.

https://www.cae-eco.fr/quelle-reponse-de-lunion-europeenne-face-a-linflation-reduction-act