Replay de la conférence
Le projet Belt and Road Initiative (B.R.I) lancé par la Chine en 2013 révèle et affirme deux mouvements : l’importance des échanges, et notamment des échanges maritimes, dans l’organisation économique mondiale, et aussi l’affirmation croissante de l’influence de la Chine sur la scène mondiale. Dans ce cadre, le B.R.I et ses pendants européens et américains représente une focale d’analyse intéressante pour identifier les stratégies développées par les acteurs, compagnies maritimes comme États, afin de s’adapter en permanence à un contexte sanitaire, climatique, économique et géopolitique en évolution. Ce projet permet aussi de montrer la situation de découplage dans laquelle se situe la Chine et les autres puissances géoéconomiques, entre nécessité de faire du commerce et volonté d’influence, notamment via le contrôle d’infrastructures.
Intervenants :
Thierry DEAU, Président-directeur général et Associé, Méridiam
Clément BOILLON, Directeur Service Client, Hapag-Lloyd, France
Philippe le Corre, Professeur affilié à l’ESSEC et chercheur Asia Society Policy Institute
Modératrices : Marie-Ange Bigorgne, professeure en Economie-Gestion, académie de Reims ; Aurore Meyfroidt, professeure d’Histoire-géographie, académie de Versailles
Compte-rendu
Compte-rendu réalisé par Thomas Verhaeghe, professeur d’Histoire-géographie (académie de Créteil).
Quelles stratégies des compagnies maritimes face aux évolutions et risques globaux ?
Les grandes compagnies de transport maritime relient les différents pôles de l’espace économique mondial, et si la densité des flux est très forte entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique du nord, avec les nœuds de Gibraltar, Suez, Bab-el-Mandeb et Malacca, une carte plus fine du trafic maritime révèle une géographie beaucoup plus complexe. Les corridors du triangle Asie-Europe-Afrique connaissent aujourd’hui les plus forts développements.
Dans un monde où les bouleversements sanitaires, écologiques (exemple de la sécheresse du canal de Panama en 2023) et géopolitiques sont la norme, sources de perturbations comme d’opportunités, les compagnies maritimes doivent en permanence faire preuve de flexibilité pour s’adapter : faire face aux annulations d’escale, revoir les routes et anticiper la congestion portuaire et la recomposition de l’offre et de la demande.
Pour les compagnies, la façon de gérer ces risques globaux est de penser en même temps des infrastructures résilientes et sécurisées à court-terme, et des stratégies d’organisations pertinentes et flexibles à long-terme. L’initiative récente de certaines compagnies de passer d’une logique de ligne à une logique de hub pour isoler les risques et augmenter la fiabilité des escales à 80% en est un exemple.
Zoom sur les routes de la soie : quels objectifs et quels investissements chinois ?
Le Belt and Road Initiative (B.R.I), lancé en 2013 sous l’impulsion de Xi Jinping, doit se voir comme une stratégie parmi toutes celles développées par la Chine dans sa montée en puissance à l’échelle du monde. L’idée économique est de combler le manque de connectivité du centre-est asiatique pour écouler plus facilement la surcapacité de production chinoise vers le marché européen, mais l’objectif politique est bien d’affirmer l’influence de la Chine à l’échelle mondiale. C’est seulement si l’on voit le B.R.I comme une stratégie parmi d’autres que l’on comprend pourquoi il y a aujourd’hui plus d’IDE chinois à destination des pays qui ne font pas parti du B.R.I.
Les investissements publics chinois dans les ports européens sont un des volets des B.R.I, même s’ils peuvent aussi correspondre à des logiques bilatérales. En 2024, sur les seize terminaux portuaires européens qui ont comme actionnaire partiel une entreprise d’État chinoise, trois d’entre eux sont dans une situation où l’entreprise chinoise est l’actionnaire majoritaire, et sur ces trois, seul la Grèce a cédé la gestion de l’ensemble des terminaux du Pirée. Il faut donc se garder de tout fantasme, mais aussi de toute naïveté : si les conséquences négatives du B.R.I sont connues, notamment celles sur la dette des pays concernés et sur la prise de contrôle d’infrastructures stratégiques, la gestion des terminaux européens sont, excepté le Pirée, dans une situation de concurrence entre opérateurs pour l’essentiel européens.
Quelles réponses de l’Union européenne et des États-Unis face aux investissements chinois ?
Le Global Gateway est la réponse européenne : 400 milliards d’euros d’investissements dans l’objectif de créer des partenariats non-exclusifs entre l’Union et différents pays du monde, notamment africains, avec un souci qualitatif (normes de non prédation, normes environnementales, volonté de développement économique local) pour se distinguer du modèle d’investissement chinois, et ainsi, en creux, proposer un contre-modèle. Le Global Gateway répond aussi à une demande des pays africains, dont la capacité d’endettement vis-à-vis de la Chine a atteint son plafond. Le projet de transport en commun en site propre (TCSP) de Dakar a par exemple été financé dans ce cadre.
La réponse américaine, si elle met aussi en avant des investissements conditionnés à des critères de soutenabilité financière et environnementale pour se distinguer du modèle chinois, a néanmoins été plus politique que la réponse européenne, à travers une stratégie d’investissement concentré sur certains corridors, comme celui du bassin du Congo, et à travers un renforcement des alliances avec les pays déjà alliés de l’Amérique (Philippines, Japon, UE, etc.).
Pistes d’exploitation pédagogique
Première
Géographie Thème 2 : Une diversification des espaces et des acteurs de la production à Métropolisation, littoralisation des espaces productifs et accroissement des flux.
HGGSP : Les puissances à La maîtrise des voies de communication : les « nouvelles routes de la Soie ».
Terminale
Géographie Thème 1 à Mers et océans : vecteurs essentiels de la mondialisation
Géographie Thème 3 à L’Union européenne, un espace plus ou moins ouvert sur le monde.
HGGSP : De nouveaux espaces de conquêtes àOTC : « La Chine : à la conquête de l’espace, des mers et des océans ».
Terminale STMG: Thème 8: Comment organiser le commerce international dans un contexte d’ouverture des échanges ?
Quelques ressources complémentaires
- Nashidil Rouiaï, Nouvelles routes de la soie, Belt and road initiative (B.R.I.), Géoconfluences, dernières modifications en mai 2024 à https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie
Un podcast France Culture de la série Softpower : « 10 ans après le lancement des "nouvelles routes de la soie", quel est le bilan pour la Chine ? », diffusé en novembre 2023 àhttps://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/soft-power/les-10-ans-des-routes-de-la-soie-la-nouvelle-puissance-chinoise-4130045
Carine Henriot, Thierry Sanjuan, Atlas de la Chine, La puissance alternative, paru le 11 octobre 2023
Sur le Global Gateway, la page de la commission européenne à https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/stronger-europe-world/global-gateway_en
Sur le Global Gateway et le B.R.I, un article du Monde publié en décembre 2021 àhttps://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/01/l-europe-presente-son-projet-a-300-milliards-d-euros-pour-contrer-les-routes-de-la-soie-chinoises_6104361_3234.html