Les travaux fondateurs de Marx et Weber montrent que les sociétés qui émergent de la Révolution industrielle restent marquées par la persistance d’inégalités qui, certes, ne présentent plus les mêmes caractéristiques que celles des sociétés antérieures, mais continuent de “faire système” et dessinent des frontières marquées entre des groupes sociaux hiérarchisés. La profession y devient le critère privilégié de structuration de l’espace social.
Les transformations socio-économiques qui ont marqué les sociétés développées depuis la seconde moitié du XXème siècle ont-elles mis à bas cela ? Est-il juste de considérer que la société française actuelle n’est pas -plus ?- structurée en classes sociales ?
1) La perturbation des clivages socioprofessionnels traditionnels
Dans la veine de la tradition inaugurée par Robert Nisbet, de nombreux sociologues ont, à l’aune des Trente Glorieuses, envisagé la disparition des classes sociales. Le terme de “moyennisation”, utilisé déjà par Alexis de Tocqueville, connaît dès lors une nouvelle actualité. Dans son acception moderne, l’expression désigne à la fois le gonflement des classes moyennes, mais aussi le fait que le “centre de gravité” culturel de la société se déplace des classes supérieures vers les classes moyennes.
Pourquoi les classes moyennes, définies par l’OCDE comme les ménages dont les revenus se situent entre 0,75 et 1,25 fois le revenu médian, ont-elles grossi ? Plusieurs phénomènes se conjuguent. Pour commencer, l’enrichissement général de la population à la faveur des Trente Glorieuses ont permis un certain rapprochement des revenus. Les forts gains de productivité enregistrés à l’époque sont avant tout distribués aux salariés. Cela permet aux ouvriers notamment d’atteindre un niveau de vie inédit. Par ailleurs, l’Etat-providence se développe (la Sécurité sociale est mise en place en 1945), ce qui assure des revenus minimaux aux plus démunis. La pauvreté recule sensiblement. Dans le même temps, les deux guerres mondiales et le développement des impôts sur le revenu et les patrimoines ont rogné les revenus des plus riches. De nouveaux emplois se développent, qui font aussi augmenter les effectifs de la classe moyenne et la renouvellent (on passe d’une classe moyenne indépendante à une classe moyenne moderne, massivement salariée). Avec le développement des missions de l’Etat la fonction publique prend de l’ampleur. Le progrès technique permet le développement de nouveaux types de postes dans les entreprises (ingénieurs notamment). La demande des consommateurs évolue vers les services, ce qui TERTIARISE la société. La démocratisation de l’accès à la culture (par le biais de l’Ecole) et l’enrichissement de la population conduisent à une homogénéisation des modes de vie. Ces modes de vie ne sont plus obligatoirement « dictés » par les classes supérieures, ils ont plutôt pour origine les classes moyennes modernes. Ces phénomènes conjugués ont réduit le pouvoir économique et symbolique des classes supérieures, entraîné une DEPROLETARISATION ou un EMBOURGEOISEMENT des ouvriers. On désigne par ces termes le fait que les ouvriers se sont rapprochés des classes moyennes, en termes de niveau de vie mais aussi de modes de vie (loisirs, manières de penser, etc.).
Après les Trente Glorieuses, le mouvement de remise en question de l’existence de classes sociales ne s’éteint pas, mais prend un tour différent : les analyses se focalisent notamment sur l’ “éclatement” de la classe ouvrière, jusqu’alors considérée, dans une veine marxiste, comme la cheville ouvrière de la lutte des classes.
Par ailleurs, de nombreux auteurs mettent aussi l’accent sur la montée en puissance d’autres critères d’identification que le seul statut socioprofessionnel. Ainsi, les clivages en termes de classes sociales seraient “recouverts” ou rendus caduques par la montée d’autres logiques d’identification, telles que l’âge, le genre, l’origine ethnique.
2) Le “retour des classes sociales” ?
Au tournant des années 2000, la question d’une “réapparition” des classes sociales fait l’objet d’une nouvelle vague de travaux sociologiques, qui se proposent d’en renouveler l’analyse tout en mettant en évidence que la société reste fortement structurée et hiérarchisée entre des groupes sociaux dont les contours sont dessinés par leur statut d’emploi.
Tout d’abord, il est mis en évidence que se perpétuent de fortes disparités dans les modes de vie, corrélées au maintien, voire au creusement, des inégalités de revenus, alimenté notamment par des écarts de patrimoine grandissants.
Ensuite, les sociologues proposent de prendre congé de certaines catégorisations qui ont “vécu” pour proposer de nouvelles échelles d’analyse de la structuration sociale, à un niveau moins agrégé, mais qui révèlent la recomposition de frontières de classes persistantes.
De plus, ce renouveau sociologique s’accompagne d’une tentative de “tenir ensemble” structuration socioprofessionnelle et autres clivages sociaux, dont on a pu penser qu’ils “perturbaient” l’identification en termes de classes. Dans la lignée des travaux sur l’intersectionnalité des luttes, les sociologues montrent que certains groupes sociaux “cumulent” des désavantages qui en alimentent la position dominée dans la hiérarchie sociale. Les employés à domicile, les agents de ménage et de nettoyage voient leur situation socio-professionnelle dégradée “redoublée” en quelque sorte par le fait d’être composés avant tout de femmes, âgées, d’origine immigrée. Loin de “brouiller” les clivages socio-professionnels, les nouveaux critères d’identification sociale alimenteraient la recomposition des classes sociales.
Une dernière question continue toutefois de se poser. S’il semble toujours exister des groupes dont la position dans les rapports de production les placent dans des situations différenciées d’accès aux ressources socialement valorisées, bref, si les classes “en soi”, certes renouvelées, semblent toujours exister, qu’en est-il de la conscience de classe ? Celle-ci semble en effet ne pas s’être réellement réactivée, si on excepte le cas de la bourgeoisie.
Document 1-Vers une disparition des classes sociales ?
Dans les démocraties développées, la disparition des classes sociales semblerait un acquis et une évidence sur laquelle il est incongru de revenir. Cette question serait tranchée. Dans le discours politique, la chose semble évidente : lorsque les communistes parlent des “gens” et que les théoriciens du blairisme, comme Anthony Giddens et Ulrich Beck, nous dépeignent une société fragmentée et individualisée où tous, du manager à l’opérateur, nous faisons partie de la même équipe (team), les classes sociales désertent le débat. Dans le champ de la sociologie, la question des classes demeure importante. D’une part, d’un point de vue historique, elles sont nécessaires pour comprendre la dynamique des deux derniers siècles. D’autre part, aujourd’hui encore, la persistance d’inégalités structurées, liées à des positions hiérarchiquement constituées et porteuses de conflits d’intérêts dans le système productif, continue de poser question. Ici commence le problème spécifique aux classes sociales d’aujourd’hui : l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait ne pas aller nécessairement de pair avec celle de classes sociales constituées [...]. Une telle tentative de démonstration systématique de la fin des classes sociales a été imaginée pour la première fois par Robert Nisbet (1959), selon qui cette fin provien(drai)t :
- dans la sphère politique, de la diffusion du pouvoir au sein de l’ensemble des catégories de la population et de la déstructuration des comportements politiques selon les strates sociales ;
- dans la sphère économique, de l’augmentation du secteur tertiaire, dont les emplois ne correspondent pour la plupart à aucun système de classe parfaitement clair, et de la diffusion de la propriété dans toutes les couches sociales ;
- de l’élévation du niveau de vie et de consommation qui conduit à la disparition de strates de consommation nettement repérables, rendant peu vraisemblable l’intensification de la lutte des classes [...].
L’essentiel de l’argumentation des sociologues intéressés à montrer la disparition des classes sociales peut être résumée en un diagnostic simple : baisse des inégalités économiques et éducatives, affaiblissement des frontières sociales en termes d’accès à la consommation et aux références culturelles, mais aussi croissance de la mobilité, moindre structuration des classes en groupes hiérarchiques distincts, repérables, identifiés et opposés, moindre conflictualité des classes et conscience de classe affaiblie. Le schéma général de ce type de travail est le plus souvent une ligne causale qui va d’une baisse des inégalités économiques jusqu’à celle de la conscience de classe.
Source : Louis Chauvel, “Le retour des classes sociales ?”, Revue de l’OFCE, octobre 2001.
Questions
1.En quoi consiste la thèse de Robert Nisbet ?
2.Quels sont les mécanismes qui expliqueraient, selon les partisans de cette thèse, la disparition des classes sociales ?
3.Pourquoi l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait-elle ne pas s’accompagner pour autant de l’existence de classes sociales constituées ?
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1.En quoi consiste la thèse de Robert Nisbet ?
Robert Nisbet estime que les classes sociales, après la Seconde Guerre mondiale, tendent à disparaître. Pour cela, il montre notamment que les comportements politiques sont de moins en moins déterminés par l’appartenance à un groupe social donné, que le pouvoir s’est “ouvert” aux différentes catégories de la population (avec des élus dont le profil sociologique se “démocratiserait”). La tertiarisation de l’économie amène à la création massive d’emplois qui ne “cadrent” plus avec l’opposition marxiste entre bourgeoisie capitaliste et prolétariat ouvrier. De plus, un processus d’enrichissement généralisé permet à une part plus importante de la société d’accéder à la propriété. Enfin, l’amélioration du niveau de vie conduirait à un effacement des particularismes de classes en termes de pratiques de consommation (par exemple, l’accès aux vacances se généralise).
2.Quels sont les mécanismes qui expliqueraient, selon les partisans de cette thèse, la disparition des classes sociales ?
En suivant la thèse de Nisbet, les sociogues partisans de l’idée d’une “moyennisation” de la société mettent l’accent sur la baisse des inégalités économiques, sur l’accès généralisé à l’éducation (et notamment aux études supérieures, suivant en cela un processus de démocratisation quantitative de l’instruction), sur l’effacement des différences de comportements culturels et de consommation, sur le développement de la mobilité sociale entre groupes sociaux. Tout cela déboucherait sur un recul à la fois des différences objectives entre classes sociales, mais aussi sur un affaiblissement de la conscience d’appartenir à des groupes sociaux différenciés et hiérarchisés (avec concomitamment une diminution de la conflictualité sociale “de classes”).
3.Pourquoi l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait-elle ne pas s’accompagner pour autant de l’existence de classes sociales constituées ?
L’existence, ou la persistance, d’inégalités économiques dessinant des frontières entre des groupes privilégiés et d’autres qui le sont moins, peut ne pas déboucher, pour autant, sur une résurgence des classes sociales, si l’on envisage celles-ci dans un sens marxiste. En effet, si cela ne s’accompagne pas d’une conscience d’avoir des intérêts communs, les groupes sociaux n’accèderaient donc pas au stade de la “classe pour soi”, indispensable pour avoir, toujours au sens marxiste, reconstitution de véritables classes sociales.
Document 2-L’évolution de la réponse à la question “Vous sentez-vous appartenir à une classe sociale ?” en France entre 1966 et 2010
Questions
1.Les individus se sentent-ils de moins en moins appartenir à une classe sociale ?
2.Comment évolue le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière ?
3.Comment évolue le sentiment d’appartenance aux classes moyennes ?
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1.Les individus se sentent-ils de moins en moins appartenir à une classe sociale ?
Non. Si le sentiment d’appartenance a décru de 1966 à 2002, ensuite, il augmente à nouveau.
Ainsi, en 1966, sur 100 individus interrogés, 61 en moyenne disent s’identifier à une classe sociale. En 2002, ils sont 53. Mais, en 2010, ils sont 64. Donc, le sentiment d’appartenance à une classe sociale en 2010 est plus fort qu’en 1966 !
2.Comment évolue le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière ?
Le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière a décru depuis 1966. Ainsi, en 1966, sur 100 individus interrogés, 23 en moyenne disent s’identifier à une classe sociale. En 2010, ils ne sont plus que 6 !
3.Comment évolue le sentiment d’appartenance aux classes moyennes ?
Le sentiment d’appartenance aux classes moyennes augmente. En 1966, sur 100 individus interrogés, 13 en moyenne disent s’identifier aux classes moyennes. En 2010, ils sont 38 !
Document 3-Le cas particulier des travailleurs non qualifiés
Encore émergente dans les représentations statistique et sociologique de l’espace social, la catégorie des travailleurs non qualifiés regroupe bien des salariés aux conditions d’emploi, de travail et de salaire très proches. Le véritable fossé qui les sépare des autres catégories de salariés invite à les considérer à part, comme partageant toutes les caractéristiques d’une véritable “condition de classe”. Cette communauté de conditions objectives, si elle définit une “classe en soi”, ne signifie pas nécessairement que les travailleurs non qualifiés constituent une classe sociale. Pour cela, il est nécessaire que cette condition non qualifiée s’accompagne d’un même sentiment d’appartenance à une classe sociale, d’une même façon de se définir [...]. [Or] les bas salaires, la précarité d’emploi et les conditions de travail difficile des non-qualifiés ne s’accompagnent pas d’une identité collective affirmée. En effet, le sentiment d’appartenir à une classe sociale, tel qu’il est exprimé dans l’enquête Histoire de vie, diminue à mesure que l’on descend l’échelle sociale [...]. Horaires et lieux de travail éclatés, statuts d’emploi précaires constituent des obstacles à l’appartenance effective à des collectifs de travail ; ne permettant pas la participation aux instances de représentation du personnel ils peuvent entraîner résignation et retrait, qui caractérisent l’attitude des non-qualifiés par rapport à leur situation professionnelle [...]. L’effacement de l’identité de classe, autrefois fortement structurante, a permis une autonomisation et une fragmentation des identités. Au-delà des spécificités des ouvriers et des employés non qualifiés, des formes concurrentes de construction identitaire se cristallisent ainsi de façon particulièrement visible sur des sous-populations non qualifiées (les jeunes et les plus âgés, les femmes, les immigrés ou issus de l’immigration, les moins diplômés) [...]. L’opposition en termes de construction des identités des salariés jeunes et des plus âgés apparaît bien plus marquée en bas de l’échelle sociale qu’en haut. Elle reflète des destins sociaux différents et s’accompagne parfois de tensions internes à la catégorie [...]. Ces tensions, entre jeunes qui pensent occuper ces emplois de façon transitoire, ce qui sera le cas pour la majorité d’entre eux, et des plus âgés qui ont appris à vivre avec dans la durée, peuvent se cristalliser sur des sous-populations particulières comme les femmes ou les immigrés. Le risque est alors grand d’assister à une fragmentation des identités et par déplacement successif de l’antagonisme social à une “lutte de déclassement dans la classe” (Bourdieu, 1979). Au sein des salariés non qualifiés, les femmes sont plus âgées et moins diplômées que les hommes. Elles se concentrent vers leur famille et leur lieu de vie [...]. Si, laissées pour compte dans la sphère professionnelle, elles se résignent à des emplois qu’elles n’espèrent plus beaucoup voir s’améliorer, elles ne se tournent pas pour autant vers des loisirs ou une passion [contrairement aux hommes peu qualifiés]. Immigrés et non-immigrés se distinguent aussi plus fortement lorsqu’ils sont en bas de l’échelle sociale. Au sein des non-qualifiés, les immigrés apparaissent ainsi, encore plus que les femmes, en retrait quant à leur intégration professionnelle et sociale. Les discriminations sur le marché du travail, l’absence de droit de vote pour les immigrés n’ayant pas la nationalité française et les différences de repérage social entre pays d’origine et pays d’accueil expliquent cette situation qui s’accompagne d’une forme de repli vers la famille, lorsqu’elle n’est pas trop éloignée, et vers la communauté d’origine (à travers les amitiés et la religion) [...]. En bas, en l’absence d’une identité de classe qui transcende la diversité des situations individuelles et de mécanismes d’intégration sociale qui donneraient aux plus démunis des non qualifiés le sentiment d’avoir une place dans la société, le risque de repli sur des valeurs correspondant à leur histoire personnelle et collective, et parfois de tension identitaire, est grand. En témoigne par exemple l’opposition très forte qui s’exprime au sein des non-qualifiés entre les immigrés d’une part et, les personnes non immigrées ou issues de l’immigration d’autre part, concernant la religion et l’attachement au lieu national [...] : c’est particulièrement au sein des non-qualifiés que le souhait de partager avec ses enfants ses croyances ou sa position par rapport à la religion caractérise les immigrés et qu’à l’inverse le fait de se sentir “avant tout français” en réponse à une question sur “le lieu d’où l’on est” caractérise ceux qui ne sont pas immigrés ou issus de l’immigration. La tension entre ces deux facettes identitaires renvoie à l’évidence au “racisme de ressentiment” qui s’est installé dans les classes populaires [...]
Source : Thomas Amossé, Olivier Chardon, “Les travailleurs non qualifiés : une nouvelle classe sociale ?”, Economie et société, n°393-394, novembre 2006.
Questions
1.Rappelez ce qu’est une “classe en soi”.
2.Quelles sont les caractéristiques qui font que les travailleurs non qualifiés constituent, selon les auteurs, une “classe en soi” ?
3.Comment les auteurs expliquent-ils que les travailleurs non qualifiés aient du mal à développer une “conscience de classe” ?
4.Les travailleurs non qualifiés constituent-ils de ce fait une classe sociale au sens de Marx ?
5.Quels sont les principes d’identification concurrents à la classe sociale qui ont cours pour les travailleurs non qualifiés ?
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1.Rappelez ce qu’est une “classe en soi”.
Une “classe en soi” est un groupement d’individus partageant entre eux des caractéristiques objectives communes, qui prennent leur source dans la sphère des activités économiques.
2.Quelles sont les caractéristiques qui font que les travailleurs non qualifiés constituent, selon les auteurs, une “classe en soi” ?
Les travailleurs non qualifiés partagent, selon les auteurs, un ensemble de caractéristiques économiques communes : de bas salaires, la précarité de l’emploi, des conditions de travail difficiles (horaires et lieux de travail éclatés notamment).
3.Comment les auteurs expliquent-ils que les travailleurs non qualifiés aient du mal à développer une “conscience de classe” ?
Les conditions de travail des travailleurs non qualifiés ne facilitent pas l’émergence d’une conscience de partager des intérêts en commun. Les horaires éclatés, décalés, le cadre de travail parfois très atomisé (comme c’est le cas pour les aides à domicile, qui partagent leur temps de travail entre de multiples employeurs), le difficile accès à des instances de représentation du personnel, la précarité des contrats qui amène à enchaîner des emplois courts pendant lesquels il est difficile de s’intégrer réellement à un collectif de travail, tout cela se combine pour que ces travailleurs non qualifiés aient des difficultés à accéder à la conscience de classe.
4.Les travailleurs non qualifiés constituent-ils de ce fait une classe sociale au sens de Marx ?
Au sens de Marx, les travailleurs non qualifiés ne constituent pas une classe sociale car, s’ils partagent bien des caractéristiques objectives, ils ne disposent pas d’une conscience de classe.
5.Quels sont les principes d’identification concurrents à la classe sociale qui ont cours pour les travailleurs non qualifiés ?
Les travailleurs non qualifiés tendent à construire leur identité autrement qu’en se basant sur leurs caractéristiques professionnelles, qui ne leur offrent pas les conditions nécessaires à une identification. Ainsi, ils se “fracturent” entre identités de genre (les femmes construisant leur identité par rapport à leur statut familial, les hommes par rapport à leur insertion dans des cercles de sociabilité amicale masculine), entre classes d’âge (jeunes contre moins jeunes) et entre population immigrée et non-immigrée. Cela contribue là encore à rendre difficile l’émergence d’une conscience de classe chez les travailleurs non qualifiés.
Document 4-Exploitation d’un entretien avec Camille Peugny (12/10/2017)
Questions
1.A quels indicateurs se fie Camille Peugny pour affirmer qu’il existe des classes sociales aujourd’hui en France ?
2.Camille Peugny définit-il les classes sociales à partir des critères identifiés par Karl Marx ?
3.Quels phénomènes ont contribué à la recomposition des classes sociales en France ?
4.Comment Camille Peugny propose-t-il d’utiliser la nomenclature des PCS de l’INSEE pour étudier les recompositions de la structure sociale en France aujourd’hui ?
5.Pour Camille Peugny, l’existence d’autres critères d’identification que la classe sociale remet-elle pour autant en cause l’analyse classiste de la société française ?
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1.A quels indicateurs se fie Camille Peugny pour affirmer qu’il existe des classes sociales aujourd’hui en France ?
Pour Camille Peugny, il existe, au sein de la société française “des univers de vie encore assez largement disjoints”. Les pratiques culturelles, de consommation, sont encore particulièrement marquées. Camille Peugny s’est d’ailleurs penché sur l’étude des comportements électoraux en montrant qu’il persiste des différences entre les groupes sociaux.
2.Camille Peugny définit-il les classes sociales à partir des critères identifiés par Karl Marx ?
Camille Peugny semble plutôt s’en tenir à l’existence de critères objectifs de différenciation des groupes sociaux. Il n’évoque pas la dimension de “conscience de classe” telle qu’elle est mise en avant par Karl Marx.
3.Quels phénomènes ont contribué à la recomposition des classes sociales en France ?
Camille Peugny met tout d’abord l’accent sur le phénomène d’acculturation scolaire des classes populaires : celles-ci se sont converties à la culture scolaire “qui est aussi en partie une culture des classes moyennes”.
Par ailleurs, il note que les classes populaires sont marquées par des clivages grandissants en leur sein, plus particulièrement entre travailleurs qualifiés et non qualifiés.
Il relève que la structure sociale française semble se polariser : la part des emplois très qualifiés augmente, mais celle des emplois peu qualifiés aussi. Cela donne une forme de “courbe en U”, qui voit les deux extrémités de la hiéarchie sociale enregistrer une croissance de leurs effectifs.
Enfin, la mondialisation crée aussi des lignes de fracture, parfois au sein même d’une catégorie socio-professionnelle. Il montre en effet que, pour un employé de bureau, la profession “n’est pas exercée dans les mêmes conditions selon que le salarié est employé de bureau dans une administration encore relativement protégée, dans une agence bancaire ou dans une usine de métallurgie soumise à la concurrence internationale”.
4.Comment Camille Peugny propose-t-il d’utiliser la nomenclature des PCS de l’INSEE pour étudier les recompositions de la structure sociale en France aujourd’hui ?
Il lui semble que le niveau le plus agrégé, celui des groupes socio-professionnels, n’est pas le plus pertinent pour rendre compte de la structuration de la société française aujourd’hui. Mais, pour autant, il défend l’idée selon laquelle la classification des PCS est encore tout à fait heuristique quand on “descend” à des niveaux plus fins de catégorisations (les professions, caractérisées par un code à trois chiffres et une lettre, ou quatre chiffres).
5.Pour Camille Peugny, l’existence d’autres critères d’identification que la classe sociale remet-elle pour autant en cause l’analyse classiste de la société française ?
Il estime que l’existence d’autres critères d’identification (le genre, l’âge, l’origine ethnique) peut très bien se combiner à l’analyse en termes de classes sociales. Ceux-ci se recoupent, et peuvent amener à une analyse intersectionnaliste des clivages sociaux. En effet, la position très dominée des agents de ménage et de nettoyage doit à la fois aux conditions de travail de cette profession, mais aussi au fait que les salariés qui l’exercent sont majoritairement des femmes, souvent immigrées, dépourvues de qualification et plutôt âgées.
Exercice 1 : Vrai-faux Classe sociale
1. Les Français sont moins d’un sur deux à s’identifier à une classe sociale.
2. Les Français s’identifient de moins en moins à la classe ouvrière.
3. D’autres éléments que l’appartenance à une profession peuvent constituer un critère d’identification sociale.
4. Les travailleurs non qualifiés développent progressivement une conscience de classe.
5. Les comportements politiques des classes populaires sont uniformes.
6. Les pratiques de consommation des cadres restent fortement différentes des pratiques de consommation des ouvriers.
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1)Les Français sont moins d’un sur deux à s’identifier à une classe sociale.
Faux.
2)Les Français s’identifient de moins en moins à la classe ouvrière.
Vrai.
3)D’autres critères que l’appartenance à une profession peuvent constituer un critère d’identification sociale.
Vrai. On peut citer notamment le genre, la classe d’âge, l’origine ethnique.
4)Les travailleurs non qualifiés développent progressivement une conscience de classe.
Faux.
5)Les comportements politiques des classes populaires sont uniformes.
Faux.
6)Les pratiques de consommation des cadres restent fortement différentes des pratiques de consommation des ouvriers
Vrai.
Exercice 2 : La bourgeoisie, une classe sociale ?
Il s’agit donc de lever un coin du voile qui recouvre pudiquement les mystères de la bourgeoisie et de montrer ce qui constitue en classe sociale un groupe apparemment composite. La noblesse fortunée y coexiste avec les familles bourgeoises. Des industriels, des hommes d’affaires, des banquiers, de vieille souche ou de récente extraction, y voisinent avec des exploitants agricoles, des hauts fonctionnaires, des membres de l’Institut, des généraux [...].
Les bourgeois sont riches, mais d’une richesse multiforme, un alliage fait d’argent, de beaucoup d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestige. Comme les handicaps sociaux se cumulent, les privilèges s’accumulent.
La bourgeoisie est-elle une classe menacée de disparition, comme la noblesse autrefois ? Celle-ci n’a-t-elle pas fusionné avec les nouvelles élites ? Dans quelles conditions les positions dominantes se reproduisent-elles d’une génération à l’autre ? De nouvelles fortunes apparaissent et défraient la chronique. Sont-elles appelées à rejoindre la cohorte des nantis ? L’analyse diachonique met en évidence les processus de renouvellement des classes dirigeantes, mais aussi leur permanence à travers leurs différentes composantes. La constitution de lignées apparaît ainsi comme centrale dans les processus de transmission des positions dominantes. La fusion de la noblesse et de la bourgeoisie la plus ancienne s’inscrit dans cette logique.
Cette fusion va de pair avec la cohabitation dans les mêmes quartiers. Le pouvoir social étant aussi un pouvoir sur l’espace, la haute société exprime son unité profonde par la recherche systématique de l’entre-soi dans l’habitat et dans les lieux de villégiature. Cette ségrégation, qui est surtout une agrégation des semblables, produit un effet de méconnaissance par la séparation d’avec le reste de la société.
Que se passe-t-il à l’abri des regards indiscrets ? D’abord une intense sociabilité, dont les enjeux sont beaucoup plus importants que ne le laisse supposer une expression comme “vie mondaine”. A travers celle-ci s’accumule et se gère une forme de richesse essentielle, le capital social [...]. La densité des relations conduit à une sorte de collectivisme paradoxal. Les familles mettent en commun une partie de leurs patrimoines et de leurs ressources dans le cadre des échanges incessants qui rythment leur vie. La richesse des uns vient aussi accroître celle des autres par la médiation d’une intense sociabilité qui partage les valeurs d’usage, sans que, bien entendu, la propriété patrimoniale soit pour autant écornée [...].
L’avenir de cette classe apparaît ainsi prometteur. Elle est à peu près la seule au début du XXIème siècle à exister encore réellement en tant que classe, c’est-à-dire en ayant conscience de ses limites et de ses intérêts collectifs. Aucun autre groupe social ne présente, à ce degré, unité, conscience de soi et mobilisation.
Source : Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, 2004.
Questions
1.Pourquoi peut-on dire que la bourgeoisie n’est pas une catégorie homogène ?
2.Quels sont les éléments qui en font pourtant une “classe en soi” ?
3.Pourquoi peut-on dire que la bourgeoisie constitue même une classe sociale au sens marxiste du terme ?
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1.Pourquoi peut-on dire que la bourgeoisie n’est pas une catégorie homogène ?
Les situations sont très disparates : noblesse fortunée, bourgeoisie d’affairezs, exploitants agricoles aisés, hauts fonctionnaires, dignitaires militaires.
2.Quels sont les éléments qui en font pourtant une “classe en soi” ?
Les membres de la bourgeoisie partagent des caractéristiques objectives communes : aisance financière, soin à constituer des lignées, cohabitation dans les mêmes quartiers, partage d’une sociabilité mondaine.
3.Pourquoi peut-on dire que la bourgeoisie constitue même une classe sociale au sens marxiste du terme ?
La bourgeoisie, selon les Pinçon-Charlot, a pour caractéristique d’être consciente de ses intérêts communs et de s’organiser afin de la préserver. Elle pratique volontairement à la fois l’entre-soi et la distanciation d’avec les autres fractions de la société. La bourgeoisie semble donc dotée d’une véritable conscience de classe.
Exercice 3 : Coefficients budgétaires moyens et écarts de consommation des cadres et des ouvriers en 1995
Questions
1.Faites une phrase avec la donnée en gras.
2.Relevez les postes budgétaires pour lesquels les ouvriers dépensent en moyenne une part plus importante de leur budget que les cadres.
3.Relevez les postes budgétaires pour lesquels les cadres dépensent en moyenne une part plus importante de leur budget que les ouvriers.
4.Pourquoi peut-on dire que les pratiques de consommation des ouvriers et des cadres sont différentes ?
5.En quoi les différences de pratiques de consommation peuvent-elles alimenter la thèse selon lesquelles les classes sociales n’ont pas disparu en France aujourd’hui ?
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1.Faites une phrase avec la donnée en gras.
Le poids de l’achat de services domestiques est 1502,1 % moins important pour les ouvriers que pour les cadres.
2.Relevez les postes budgétaires pour lesquels les ouvriers dépensent en moyenne une part plus importante de leur budget que les cadres.
Il s’agit du tabac, du pain, de l’essence, de la charcuterie et des plats préparés, de l’électricité, de la viande de boeuf, de la volaille, du combustible gaz bouteille.
3.Relevez les postes budgétaires pour lesquels les cadres dépensent en moyenne une part plus importante de leur budget que les ouvriers.
Il s’agit des week-ends, du remboursement de la résidence secondaire, des livres, des repas pris au restaurant, des vacances et des services domestiques.
4.Pourquoi peut-on dire que les pratiques de consommation des ouvriers et des cadres sont différentes ?
Les ouvriers consacrent une part plus importante de leur budget que les cadres aux dépenses alimentaires, de logement principal, d’énergie.
Les cadres, eux, se caractérisent par une part plus importante que les ouvriers consacrée aux loisirs, et aussi à l’achat de services domestiques leur permettant d’économiser leur propre temps.
5.En quoi les différences de pratiques de consommation peuvent-elles alimenter la thèse selon lesquelles les classes sociales n’ont pas disparu en France aujourd’hui ?
L’existence de pratiques de consommation très différenciées entre les ouvriers et les cadres tend à montrer qu’il persiste, comme le note Camille Peugny, des “univers de vie” très dissemblables entre les groupes sociaux. Cela peut donner à penser qu’à rebours des thèses sur la moyennisation, les modes de vie ne se sont pas tant rapprochés que cela.