(BO)
Plan :
Question 1. Quels sont les facteurs de la croissance économique ?
Question 2. Quel est le rôle du progrès technique dans la croissance ?
Question 3. Quels sont les institutions qui favorisent le progrès technique et la croissance ?
Voir la vidéo en relation avec les EEE
Philippe Aghion - Professeur au Collège de France, chaire « économie des institutions, de l'innovation et de la croissance » Questionné par Hugo Billard (Enseignant d'histoire, académie de Paris), Frédéric Larchevêque (Enseignant d'économie-gestion, académie de Paris) , Emmanuelle Le Nouvelle (Enseignante de SES, acédémie de Lyon), Alexandrine Millet (Enseignante de SES, académie de Besançon) Lancés en 2003, les Entretiens Enseignants-Entreprises sont organisés par l’Institut de l’entreprise en partenariat avec l’Inspection générale de sciences économiques et sociales, Ministère de l'Education nationale (DGESCO), le Conseil d’Analyse Economique (CAE) et l'Ecole polytechnique.
1) Le rôle des innovations
Les différents types d'innovations
L’innovation est l’introduction sur le marché d'un produit ou d'un procédé nouveau. Elle doit d’abord être distinguée de l’invention qui n’a pas forcément de débouché économique.
En économie, deux types d'innovation jouent donc un rôle particulier :
- L’innovation de produits, qu’il s’agisse de biens ou de services. Ce premier type d’innovation inclut les transformations radicales (nouveau produit) mais aussi plus limité ; on parle alors d’innovation incrémentale. Un changement significatif au niveau des fonctions ou du design relève de ce second type.
- L’innovation de procédés concerne les méthodes de production qu’il s’agisse de l’outillage, de la logistique ou des modes d’organisation.
Joseph Schumpeter a identifié 5 types d’innovations pouvant jouer un rôle clé dans la croissance économique : l'innovation de produits, de procédés, de modes de production, de débouchés, de matières premières.
L'impact du progrès technique : La destruction créatrice
Selon Schumpeter, c’est l’entrepreneur innovateur qui est à l’origine de la dynamique économique. L’innovation engendre une augmentation du niveau de production et des changements qualitatifs tant au niveau des méthodes de production qu’au niveau de la consommation.
L’entrepreneur est donc l’acteur fondamental de la croissance économique qui, ayant le goût du risque et recherchant le profit, va introduire l’innovation. Il obtient ainsi un monopole temporaire sur le marché.
L’innovation introduit donc la rupture dans l’économie et casse les routines. Ainsi, elle génère un processus de transformations dans les modes de production et de consommation. L’impact de ce processus est d’autant plus important que l’innovation est majeure (l’électricité) et qu’elle entraîne un phénomène de grappes (innovations induites) et même d’imitations. C’est pourquoi Schumpeter parle de « destruction créatrice ». La croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques.
2) Le caractère endogène du progrès technique
L’introduction du progrès technique se traduit par des gains de production facteurs de croissance. Les premières analyses des moteurs de la croissance, notamment celle de Solow en 1956, ont expliqué la croissance par des facteurs exogènes c’est-à-dire l’accroissement de la population active et celui du capital. A partir d’une fonction Cobb-Douglas, on a dégagé un résidu non expliqué, la productivité globale des facteurs, révélant le rôle du progrès technique. Mais ce même progrès technique semblait « tomber du ciel » ; l’économiste ne l’expliquait pas. Il semblait lié à des évolutions scientifiques complètement extérieures à la sphère économique.
Or, à partir des années 1980, des économistes américains tels que Paul Romer et Robert Lucas développent l'idée d'une croissance auto-entretenue. Le progrès technique est donc analysé comme endogène c’est-à-dire pour partie produit de l’activité économique. Le progrès technique et l'innovation (mesurés par la productivité globale des facteurs) sont le fait des chercheurs et des ingénieurs, eux-mêmes fruit d'un investissement en capital humain de la part des entreprises et des pouvoirs publics. L’innovation ne tombe donc pas du ciel mais de l’investissement dans la formation des actifs. Ces investissements agissent donc comme de puissants leviers de croissance.
Document 1. L’innovation selon l’économiste J. Schumpeter (1883-1950)
« Le rôle de l’entrepreneur consiste à faire une réussite d’une saucisse ou d’une brosse à dents », affirme Schumpeter.
Contrairement à « l’homme aux écus », le bourgeois motivé par le profit de Karl Marx, ou au manager rationnel et mesuré de Keynes, l’entrepreneur de Schumpeter est un « révolutionnaire », un marginal animé par ses intuitions, un instinctif qui va « contre le courant ».
Pour Schumpeter, imprégné par la sociologie et le rôle des ingénieurs dans le capitalisme rhénan, l’entrepreneur bouleverse « la routine de production ». C’est un chef de bande, un meneur entraînant des fidèles dans une aventure. Il n’invente pas nécessairement mais il innove. En exploitant de nouvelles sources de matières premières. En testant de nouveaux produits – comme Gottlieb Daimler, qui crée le premier moteur à explosion grâce aux principes de la thermodynamique de Carnot. Ou enfin en élaborant une nouvelle organisation de la production – comme Ford, qui associe dans ses usines les idées de Taylor et la chaîne des abattoirs de Chicago pour produire sa Ford T. Le profit n’est pas le moteur, mais la récompense de « l’innovateur dynamique ».
De plus, affirme Schumpeter, les innovations ont un effet d’entraînement. En témoignent les applications civiles de l’informatique militaire, dans les entreprises, mais aussi dans les foyers, qui ont, à leur tour, chamboulé nos organisations du travail et nos modes de consommation. Pour Schumpeter, c’est « par grappes » que les innovations apparaissent. Or, devant la nouveauté, les anciennes méthodes et les anciens produits sont rapidement dépassés et disparaissent. Ce sont alors des branches entières qui subissent des reconversions, et parfois brutales. Pour ne pas avoir compris que le numérique allait révolutionner la photographie, la société centenaire Kodak, naguère fleuron de l’argentique, a dû demander la protection de la loi sur les faillites… C’est la fameuse « destruction créatrice » de Schumpeter, qu’il considère être à la base de la dynamique du capitalisme. Ce processus, dit-il, est, par nature, discontinu. Dans une première phase, l’accès au crédit est facile, les investissements augmentent et les profits aussi. L’innovation est donc facteur de croissance et d’emplois. Mais l’entrepreneur est très vite copié par de nouveaux concurrents, qui, de fait, mettent fin à son monopole. On entre alors dans une seconde phase, dans laquelle l’accès au crédit se réduit et les profits diminuent. Surviennent les premières fermetures d’usines, le chômage…
Source : capital.fr, Joseph Schumpeter (1883-1950) : il a vu dans l’innovation le moteur du business, 12/07/2012
Questions :
1) En quoi l’innovateur est-il un « révolutionnaire » selon J. Schumpeter ?
2) Relever les différents types d’innovation citées par le texte.
3) Que désigne l’expression « destruction créatrice » propre à Schumpeter ?
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Corrigé :
1) En quoi l’innovateur est-il un « révolutionnaire » selon J. Schumpeter ?
Schumpeter insiste sur le fait que l’innovateur est celui qui bouscule les routines, introduit le changement. Il chamboule les manières de produire et de consommer.
2) Relever les différents types d’innovation citées par le texte.
L’innovation peut concerner des sources de matières premières, de nouveaux produits, de nouvelles organisations de la production.
3) Que désigne l’expression « destruction créatrice » propre à Schumpeter ?
Par cette expression, l’économiste insiste sur le double effet de l’innovation : amenant le changement (création), elle conduit aussi à la disparition d’activités anciennes (destruction). Il y a donc des produits nouveaux mais aussi des produits qui disparaissent de la consommation, des procédés qui conduisent à l’abandon de techniques anciennes, des métiers qui apparaissent, d’autres qui disparaissent. L’innovation est donc selon Schumpeter au cœur du processus de croissance et, au-delà, au cœur des changements de structures économiques.
Document 2. La diffusion de l’innovation
Il peut se passer des années, voire des décennies, avant qu’une amélioration technologique ne se généralise dans une économie. Cet écart de diffusion entraîne des différences dans les niveaux de productivité du travail entre les entreprises les plus avancées et celles qui sont en retard technologiquement. Au Royaume Uni, une étude a montré que les entreprises les plus performantes sont cinq fois plus productives que les entreprises les moins performantes. […]
Les entreprises peu productives parviennent à rester sur le marché parce qu’elles versent des salaires plus faibles à leurs employés, et dans de nombreux cas, captent un taux de profit plus faible également sur le capital du propriétaire. Réduire les écarts de diffusion peut considérablement augmenter la vitesse à laquelle les nouvelles connaissances et pratiques de gestion se répandent.
Source : Manuel CORE, L’économie, Eyrolles, 2018
Questions :
1) Quel est l’effet des innovations technologiques sur les entreprises ?
2) Comment expliquer les retards technologiques de certaines entreprises ?
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Corrigé :
1) Quel est l’effet des innovations technologiques sur les entreprises ?
Une innovation technologique entraîne des gains de productivité pour les entreprises qui la mettent en œuvre. Du coup, c’est un facteur d’inégalités de performances entre entreprises.
2) Comment expliquer les retards technologiques de certaines entreprises ?
Le retard technologique de certaines entreprises peut tenir à une faible incitation à investir liée à de faibles salaires qui ne rendent pas nécessaire une substitution du capital au travail et des gains de productivité à court terme. Mais cela conduit ces entreprises à de faibles performances.
Document 3. Une 3ème Révolution industrielle autour du numérique ? Une interview de Jérémy Rifkin
Vous annoncez que le capitalisme va disparaître d'ici cinquante ans. Comment ?
Je pense plutôt qu'il va se transformer. Nous assistons à une troisième révolution industrielle qui marquera l'émergence d'un nouveau modèle économique, fondé sur le partage et les communautés collaboratives. Car les nouvelles technologies permettent de réduire drastiquement le coût marginal de production, c'est-à-dire le coût de production d'une unité supplémentaire. C'est un bouleversement majeur qui affecte déjà certaines industries. Prenez celle des loisirs : aujourd'hui, on peut accéder à une infinie variété de musiques et de vidéos en ligne, ce qui a provoqué l'effondrement de l'industrie musicale telle qu'elle fonctionnait jusque dans les années 1990. La presse, l'édition et l'éducation connaissent les mêmes mutations, et c'est le cas avec les transports, avec l'émergence de services comme Uber ou Autolib.
Cette révolution peut-elle toucher également la production de biens ?
Oui. Avec les imprimantes 3D, il sera possible de produire chez soi, ou à l'échelle de petites communautés, des objets qu'il fallait autrefois acheter. Les grandes usines centralisées céderont la place à des unités de production locales. Les enfants fabriqueront leurs jouets dans leurs écoles ! Même chose pour l'énergie. Avec des immeubles équipés de panneaux solaires, il n'y aura plus besoin d'acheter de l'électricité à un fournisseur externe. Les consommateurs deviendront des « prosumers », à la fois producteurs et consommateurs.
Comment s'adapteront les entreprises d'aujourd'hui ?
Elles devront entièrement revoir leur modèle. Prenez l'énergie : si la production se fait au niveau des habitations, et que les consommateurs se l'échangent par Internet, le rôle des compagnies d'électricité ne sera plus de fournir du courant, mais de gérer les informations et les flux de données permettant ces échanges. Un peu comme IBM qui, dépassé par la production à bas coût chinoise, a cessé de produire des ordinateurs pour se lancer dans la gestion d'information en entreprises.
L'information – le « big data » – sera l'un des enjeux-clés de demain. Cela suppose de construire des plates-formes, de gérer les flux. Il y a énormément d'opportunités de travail pour construire ce système puis le porter à maturation : de l'emploi pour deux générations ! C'est aussi une chance pour la planète. Cette économie en réseau, avec un coût des énergies renouvelables en train de plonger, est un moyen de répondre au changement climatique, de sortir de l'économie carbonée. […]
Source : Jeremy Rifkin : « La troisième révolution industrielle a commencé », Le Monde, 23/09/ 2014
Questions :
1) Pourquoi peut-on parler d’une 3ème révolution industrielle selon J. Rifkin ?
2) Quelles conséquences sur les entreprises ?
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Corrigé :
1) Pourquoi peut-on parler d’une 3ème révolution industrielle selon J. Rifkin ?
Selon J. Rifkin, les nouvelles technologies vont modifier les modes de production et de consommation de manière radicale : un mode plus collaboratif doit émerger. Il devient possible, dans un certain nombre de cas, de produire chez soi des services (par internet) et même des biens (imprimantes 3D). J. Rifkin parlent d’un nouvel acteur, le « prosumer », à la fois producteurs et consommateurs.
2) Quelles conséquences sur les entreprises ?
Les entreprises doivent, selon J. Rifkin, évoluer, revoir leur modèle. Elles seront de plus en plus nombreuses à avoir une activité de gestion des flux d’informations. Cela entraîne le développement d’une économie de réseau, avec des plates-formes, c’est-à-dire des unités de gestion des flux d’échanges.
Document 4. Qu’est-ce que la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) ?
La responsabilité sociale des entreprises se définit comme la manière dont les entreprises intègrent, sur une base volontaire, des préoccupations sociales, environnementales et éthiques dans leurs activités économiques comme dans leurs interactions avec toutes les parties prenantes, qu’elles soient internes (dirigeants, salariés, actionnaires, etc.) ou externes (fournisseurs, clients, etc.). Ce sujet recueille une audience qui s’étend progressivement à toutes les sphères d’activité. Industriels, responsables associatifs, hommes politiques et experts sont toujours plus nombreux à réclamer une mobilisation collective pour mieux appréhender cette thématique dans ses différentes dimensions. Ils y voient une occasion de repenser le modèle de l’entreprise du XXIe siècle et de susciter de nouvelles dynamiques de croissance durable et inclusive. La Commission européenne incite même les États membres à adopter une nouvelle approche résolument « stratégique » de la RSE, avec l’objectif de concilier exigence de compétitivité et responsabilité sociale. La question n’est donc plus de savoir si les entreprises doivent s’engager en matière de responsabilité sociale et environnementale mais plutôt comment y parvenir. On est loin de la formule de Milton Friedman selon laquelle « la seule responsabilité sociale de l’entrepreneur est d’augmenter ses profits » (The New York Times Magazine, 13 septembre 1970). Encore faut-il s’entendre sur la définition de la RSE.
Source : France Stratégie, Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité, janvier 2016.
Question :
Comment peut-on résumer l’intérêt de la Responsabilité sociale de l’entreprise ?
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Corrigé :
Comment peut-on résumer l’intérêt de la Responsabilité sociale de l’entreprise ?
La Commission européenne définit la Responsabilité sociale de l’entreprise comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Cette notion regroupe l’ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans le but de respecter les principes du développement durable, c’est-à-dire être économiquement viable, avoir un impact positif sur la société mais aussi mieux respecter l’environnement.
Document 5. L’analyse d’Edmund Phelps (prix Nobel d’économie 2006): une crise de l’innovation
Quel est le fil conducteur de votre livre ?
Edmund Phelps : Je raconte l'histoire d'un phénomène extraordinaire : la soudaine apparition et la diffusion à grande échelle, au XIXe siècle, d'innovations propres au Royaume-Uni d'abord, puis aux Etats-Unis et, plus tard, en France et en Allemagne. Mais cette histoire se termine étonnamment tôt, à partir de la fin des années 1960. Je pense que les pays occidentaux sont en crise, car ils n'ont pas fait attention à cette perte d'innovation et ils n'ont pas compris où sont les racines de l'innovation, et ce qui l'a causée au cours des siècles précédents.
Pourtant, ne vivons-nous pas, avec, entre autres, Internet et le numérique, une grande phase d'innovations ?
Oui, mais elle reste confinée à un petit nombre d'industries. En plaisantant, je dirais qu'il y a de l'innovation le long d'une ligne argentée bordant les côtes de Californie. Si vous rentrez à l'intérieur des Etats-Unis, il y en a moins. Des innovations font les gros titres des médias et sont célébrées. Mais, dans une économie très innovante, il y en a dans tous les secteurs, tous les jours, et dont on ne parle pas. Il s'agit d'inventer de nouveaux produits qui augmentent la croissance économique.
Comment pouvez-vous mesurer le ralentissement de l'innovation ?
Elle se reflète dans l'évolution de la productivité, quelle que soit la façon dont on la calcule : productivité du travail ou des facteurs de production. Or, cette productivité est liée à la satisfaction au travail, au niveau d'emploi, ou aux politiques gouvernementales qu'il faut mettre en œuvre pour la dynamiser.
Comment y parvenir ?
Grâce, notamment, aux institutions financières qui servent les entreprises innovantes. Cependant, elles ne sont pas suffisantes. Tous les grands pays en ont eu, mais tous n'ont pas développé d'innovations propres. C'est le dynamisme – le désir et la capacité d'innover – qui est à la source de l'innovation. Et, pour obtenir un résultat, il faut y ajouter de la chance. Les tentatives peuvent être vaines. […]
Source : Edmund Phelps, "L'histoire de l'innovation s'est arrêtée à la fin des années 1960", Le Monde, 28/08/2013
Questions :
1) En quoi peut-on parler d’une panne d’innovations selon E. Phelps ?
2) Sur quel indicateur s’appuie-t-il ?
3) Comment peut-on favoriser l’innovation et les gains de productivité ?
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Corrigé :
1) En quoi peut-on parler d’une panne d’innovations selon E. Phelps ?
Selon E. Phelps, les grandes innovations porteuses de croissance se sont affaiblies. Il existe toujours des entreprises innovatrices mais elles sont limitées à des secteurs et des zones géographiques. L’élan innovateur serait donc en panne.
2) Sur quel indicateur s’appuie-t-il ?
Selon Phelps, l’indicateur objectif qui justifie ce constat est le ralentissement des gains de productivité.
3) Comment peut-on favoriser l’innovation et les gains de productivité ?
Selon Phelps, cela passe par des facteurs directs et indirects. En favorisant l’emploi et la satisfaction au travail, les entreprises, mais aussi les pouvoirs publics, contribuent à l’initiative, l’implication et donc l’innovation. Par ailleurs, les rouages de financement ont un rôle à jouer : les institutions financières doivent contribuer aux initiatives des entreprises innovantes.
Exercice 1. Innovation et histoire de la croissance économique
L’idée qu’un jour un technicien ou un entrepreneur auraient par hasard trouvé une invention qui change le cours des choses est une fable. […] La mécanisation de la filature puis du tissage du coton et la mise au point de la fonte au coke auraient ainsi révolutionné l’industrie. Ces inventions de procédé ont permis de produire beaucoup moins cher, avec une plus grande productivité, tandis que la machine à vapeur et les combustibles fossiles ont fourni une énergie à une échelle jusqu’alors inconnue et entraîné une révolution des transports terrestres et maritimes. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les nouveaux procédés de fabrication de l’acier, l’utilisation de l’électricité, le développement de la chimie de synthèse et les premières utilisations des moteurs à combustion interne sont crédités du même rôle.
En regardant de plus près, on comprend aussitôt que chacune de ces inventions a été la réponse à un blocage de l’économie et de la société ou plus exactement qu’elle a pris une importance économique lorsque ce blocage a été ressenti comme un problème majeur. L’invention n’est pas un Deus ex machina sans cause, mais la réponse à une demande économique ou sociale, à un blocage […]. La raison de la mécanisation du textile et de son occurrence en Angleterre s’explique aussi par le fait que les salaires anglais étaient plus élevés que ceux du Continent européen, et que les fabricants anglais perdaient des parts de marché sur les marchés internationaux ouverts également à la concurrence des tisserands indiens à très faibles salaires. La chance de l’industrie britannique a été d’avoir des salaires élevés qui l’ont contraint à trouver une solution par le haut, par des techniques qui économisent le travail, à un moment où dans une phase, au XVIIIème siècle, de mondialisation des marchés la concurrence s’exacerbe. En revanche, dans les pays à plus bas salaires comme en Europe continentale, la mécanisation est beaucoup plus lente : en France, le tissage à la main reste massif encore sous le Second Empire.
Source : Patrick Verley, Révolution industrielle/industrialisation, innovations, organisations, dans Marché et organisations 2015/2 (n° 23)
Questions :
1) Quelle différence existe-t-il entre une invention et une innovation ?
2) Qu’appelle-t-on innovation de procédés ?
3) En quoi la révolution industrielle s’explique-t-elle par des innovations de procédés ?
4) Quelle est l’origine de ces progrès techniques selon l’auteur ?
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Corrigé :
1) Quelle différence existe-t-il entre une invention et une innovation ?
Comme le dit la première phrase du texte, une innovation est une invention qui « change le cours des choses » c’est-à-dire les méthodes de production ou les produits eux-mêmes. Une invention reste une invention si elle ne se traduit pas dans la sphère économique de production.
2) Qu’appelle-t-on innovation de procédés ?
Une innovation de procédés se distingue d’une innovation de produit. Elle transforme les manières de produire (machine par exemple).
3) En quoi la révolution industrielle s’explique-t-elle par des innovations de procédés ?
Le démarrage économique des pays qui se sont industrialisés au XIXème siècle s’explique par quelques progrès techniques cruciaux. C’est le cas en particulier de la machine à vapeur et du filage/tissage. La seconde révolution industrielle s’appuie, quant à elle, sur des innovations telles que l’acier, l’électricité ou la chimie. Chacune de ces innovations a généré des gains de productivité dans leur secteur amis aussi des débouchés pour d’autres activités et ainsi le cercle vertueux de l’industrialisation.
4) Quelle est l’origine de ces progrès techniques selon l’auteur ?
P. Verley explique que ces innovations de procédés sont nées de l’existence de blocages, de goulets d’étranglement dans l’activité de production qui exigent de trouver des solutions. Ces blocages peuvent être techniques ou économiques. L’auteur cite ici le niveau élevé des salaires en Grande Bretagne qui a joué un rôle de pression à la mise en place de solutions techniques permettant d’augmenter la productivité et, ainsi, de limiter des coûts salariaux.
Exercice 2. Innovation et emploi : quels effets sur les salariés les moins qualifiés ?
En France depuis une vingtaine d'années, l'emploi des salariés peu qualifiés a fortement décliné par rapport à celui des qualifiés. Entre 2003 et 2018, le nombre de salariés d'un niveau d'études inférieur ou équivalent au premier cycle de l'enseignement secondaire a décru de 42 %, alors que celui des salariés diplômés de l'enseignement supérieur a augmenté de 64 %. Le chômage pour les peu qualifiés, qui était en 2003 deux fois plus élevé que celui des diplômés, est aujourd'hui trois fois plus important. Le progrès technique pèse sur l'emploi relatif des peu qualifiés. Très souvent complémentaire à la réalisation de tâches abstraites dont il augmente la productivité, le progrès technique tend à réduire les emplois peu qualifiés à fort contenu en tâches routinières facilement automatisables. En modifiant la demande de travail par niveau de qualification, le progrès technique accroit les écarts de salaires entre peu qualifiés et très qualifiés. Cependant un récent travail sur données britanniques des économistes P. Aghion, A. Bergeaud, R. Blundell et R. Griffith montre que les travailleurs peu qualifiés sont mieux payés lorsqu'ils travaillent dans des entreprises innovantes. Travailler pour une firme qui effectue des dépenses de R&D bénéficie même davantage aux travailleurs peu qualifiés qu'aux travailleurs à hautes qualifications.
Questions :
1) Quel effet le progrès technique a-t-il sur le nombre d’emplois des moins qualifiés ?
2) Que montre le graphique sur l’impact des entreprises innovantes sur les salaires ?
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Corrigé :
1) Quel effet le progrès technique a-t-il sur le nombre d’emplois des moins qualifiés ?
Le progrès technique entrainant des gains de productivité diminue le nombre d’emplois salariés non qualifiés.
2) Que montre le graphique sur l’impact des entreprises innovantes sur les salaires ?
Il montre que d’une manière générale, les salariés (toutes qualifications confondues) travaillant dans des entreprises innovantes gagnent 2 % de plus que la moyenne. Mais cet avantage est plus net pour les salariés les moins qualifiés dont l’avantage relatif est de 2,2 %. Le fait de travailler dans une firme qui réalise des investissements en R&D bénéficie donc davantage aux travailleurs peu qualifiés qu'aux travailleurs à hautes qualifications, ce qui peut sembler un constat contre-intuitif.
Exercice 3. La stagnation séculaire vue par Philippe Aghion
Source : Melchior
Question :
Quels éléments Philippe Aghion oppose-t-il à Robert Gordon concernant la stagnation séculaire ?
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Corrigé :
Quels éléments Philippe Aghion oppose-t-il à Robert Gordon concernant la stagnation séculaire ?
P. Aghion avance d’abord le fait que R. Gordon sous-estime l’impact des NTIC notamment au niveau de la diffusion des idées et des manières de produire et de travailler. Or, cette technologie de production des idées a de nombreux impacts. DE nombreux facteurs sont également propices à l’innovation. Ainsi, la mondialisation est, selon P. Aghion, un cadre favorable à l’innovation car le gain à innover est extrêmement important compte tenu de la taille des marchés. Le vieillissement de la population aura lui aussi un impact sur la demande d’innovation en matière de santé. Pour P. Aghion, les leviers d’innovation restent donc très nombreux.
Par ailleurs, P. Aghion estime que R. Gordon sous-évalue la croissance économique américaine et que le niveau de croissance observée ne permet pas de parler de stagnation.