Etat des lieux : quels sont les symptômes de cette crise ?
Une envolée des prix de l’immobilier depuis les années 2000 : si l’on s’en tient aux données disponibles et comparables, les prix des logements ont effectivement connu une tendance haussière brutale à partir du XXIè siècle. Cette hausse mérite d’être resituée dans la longue période. On peut isoler ici trois moments (voir graphique) : entre 1914 et 1948, l’instauration du contrôle des loyers, au titre de la solidarité avec les combattants, s’est traduit en réalité par un plafonnement qui a conduit à la baisse des prix en monnaie constante – mécanisme économique que nous reverrons plus loin. La seconde loi, dite « loi de 1948 », organise la fin du contrôle systématique des loyers et permet un rattrapage progressif des prix. Puis, entre 1965 et 2000, le prix de l’immobilier croît à un rythme parallèle à celui du revenu des ménages.
A l’instar d’autres pays comme l’Allemagne notamment, cette tendance a été égard, J.Friggit nous livre une vision éclairante : s’interrogerompue à partir de 2002 avec une envolée des prix : le prix de l’immobilier est, en 2010, 70 % supérieur au niveau qu’il aurait dû atteindre s’il avait suivi le rythme de progression des revenus1. A cet ant sur les principales causes invoquées généralement (comme le vieillissement de la population ou encore l’effet inflationniste des aides publiques), il met l’accent sur les conditions de financement qui auraient bouleversé les équilibres passés. En allongeant leur durée de remboursement (plus sept ans par rapport à 2000), dans une période de baisse des taux d’intérêt depuis les années 1980, les acquéreurs de résidence principale ont poursuivi leur projet, soutenant ainsi en quelque sorte la hausse des prix. Parallèlement, les investisseurs rationnels ont opté pour un investissement locatif massif entre 2000 et 2010 dans un contexte où les rendements obligataires se situaient à un niveau très bas. Affectés d’une certaine myopie, ces ménages ont considéré la hausse des prix de l’immobilier comme pérenne.
Une hausse de la part du logement dans le budget des ménages : si l’on s’en tient à la méthode de l’Insee utilisée dans les comptes nationaux, il convient d’ajouter aux dépenses de loyer des ménages locataires – qui ne posent pas de difficulté – celles des ménages propriétaires au travers de loyers « fictifs » (loyers qu’ils paieraient s’ils étaient locataires du logement qu’ils détiennent). Le constat est sans ambiguïté : entre 1959 et 2009, la part du logement dans le budget des ménages est passée de 7 % à plus de 18 %. Au-delà, l’Insee a évalué que si l’on ramène à 100 les dépenses de logement comprenant les loyers, l’énergie et les charges, la part des loyers représente en 2004 74 %, soit 8 points de plus qu’en 1984 tandis que les autres postes ont plutôt diminué 2.
Pis, la hausse des prix de l’immobilier a creusé les inégalités économiques : selon l’Insee en 20103, le taux d’effort net des ménages relevant des trois premiers déciles calculé comme le « rapport entre la somme des dépenses de logement nettes (mensualités de remboursement des emprunts ou loyer, charges collectives et dépenses individuelles d’énergie et d’eau, nettes des allocations logement) et les revenus des ménages (y c. prestations sociales hors aides au logement ; impôts directs non déduits) a augmenté de 3 points entre 1996 et 2006, dépassant 25 % tandis qu’il stagne pour l’ensemble des ménages, et ce, quel que soit le statut d’occupation (locataire du parc privé ou social, propriétaire ou accédant à la propriété). A cela, on peut voir deux raisons : pour les locataires du secteur locatif social, une diminution des revenus moyens traduisant le recentrage du parc social sur les ménages plus modestes ; pour les locations dans le secteur privé, c’est à nouveau la hausse des montants des loyers qui est pointée.
Parallèlement, un endettement des ménages accru et allongé : la hausse des prix de l’immobilier a été financée par un doublement de l’endettement immobilier des ménages. Ainsi, si 20 % des ménages seulement sont endettés au titre de l’immobilier selon l’Insee en 2008, l’encours des crédits représente en 2011 63 % des revenus disponibles, soit deux fois plus qu’en 2001, correspondant à un transfert de pouvoir d’achat des plus jeunes (dits « acheteurs nets ») aux plus âgés (les « vendeurs nets »). On peut trouver ici une des raisons de la montée des inégalités inter-générationnelles diagnostiquées par des sociologues tels que L.Chauvel.
Une pénurie de logements sur certains secteurs géographiques bien délimités : elle peut être évaluée à l’aune de la comptabilisation des personnes privées de logement. A cet égard, la Fondation Abbé Pierre mène un travail de fond se traduisant par la publication annuelle d’un «état du mal-logement». Or, l’estimation du nombre de personnes sans domicile personnel est en réalité très complexe : entre les sans abris évoluant dans la rue, l’hébergement d’urgence, le logement d’insertion, les squats, ou encore les personnes hébergées par des particuliers, le logement présente une vaste « zone grise », un halo comme celui qui entoure le chômage. Selon la Fondation précédemment citée, ce sont 3.6 millions de personnes qui, en 2012, sont non (685 000) ou très mal logées (3 millions)4. En outre, 1.2 million de ménages sont en attente d’un logement social. D’autres études estiment la pénurie de logements à environ 900000 en France à l’heure actuelle, laquelle nourrit également, sans conteste la vigueur des prix de l’immobilier. Mais certaines zones sont plus touchées : en premier lieu, la région Ile de France.
En somme, on le constate, ce que l’on dénomme «crise du logement» présente plusieurs visages, atteint une part croissante de la population et constitue un enjeu majeur des politiques publiques à venir même si les propositions à ce sujet apparaissent parfois reléguées au second plan.
Que faire ? Les actions en faveur de la demande
Peut-on limiter le mal-logement en augmentant les aides correspondantes ? Les aides au logement constituent le premier poste budgétaire de l’Etat dans ce domaine. Dans une volonté de redistribution verticale, l’Etat subventionne directement les ménages les plus modestes depuis la fin des années 1970 grâce à l’APL qui représente en 2008 15.5 milliards d’euros, soit la moitié de l’ensemble de l’action publique. Elle bénéficie à 6 millions de ménages, dont 90 % de locataires. Le principe est simple et lisible : solvabiliser les demandeurs, mais la légitimité d’une telle politique est remise en question. En effet, d’une part, ce type d’aide qui était destinée à pallier aux effets pervers des logements sociaux accusés de favoriser la ségrégation résidentielle, en rendant davantage de liberté d’installation aux bénéficiaires, reste à prouver. D’autre part, de nombreux résultats de la théorie économique montrent que les aides attribuées à la consommation d’un bien précis se révèlent moins efficaces que les transferts de revenus d’un montant équivalent sans affectation précise. Elles peuvent entraîner des distorsions telles que la hausse des prix de l’immobilier : il est vrai qu’elles entraînent une hausse de la demande qui élève les loyers si l’offre de construction est inélastique. Or, cet effet inflationniste a précisément été démontré à court terme5.
Faut-il revenir à un plafonnement des loyer ? Si les aides au logement peuvent manquer d’efficacité économique, certaines voix s’élèvent, favorables au plafonnement des loyers. Le contrôle strict des loyers a déjà été pratiqué en France pendant la première guerre mondiale ;et jusqu’en 1948. Il s’est traduit, comme on le sait, par un mécanisme classique de diminution de l’offre, les investisseurs rejetant ce bien devenu peu rentable. En effet, l’instauration d’un prix-plafond modifie l’allocation des ressources car l’offre va diminuer et devenir inférieure à la demande, alimentant le phénomène de pénurie. Si, à droite comme à gauche de l’échiquier politique, des protestations se sont élevées à l’encontre de la forte croissance des prix notamment en Ile-de-France, tous s’accordent sur l’échec du plafonnement pur. Il est actuellement question de limiter les augmentations tarifaires au moment des relocations notamment.
Que faire ? Les actions en faveur de l'offre
Peut-on construire plus ?
C’est en France qu’on trouve un stock de logements rapporté à la population parmi les plus élevés : 513 pour 1 000 habitants contre 477 en Allemagne par exemple. Parallèlement, les mises en chantier ont vigoureusement progressé et atteignent aujourd’hui près de 450 000 par an, soit 95 % du taux d’utilisation des équipements des entreprises du bâtiment. Pourtant, les pouvoirs publics ne peuvent ignorer les difficultés mentionnées ci-dessus, notamment l’existence d’un non-logement. Des efforts à destination des ménages modestes ont été menés notamment dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « SRU » votée en 2000, laquelle rappelons-le contraint chaque commune de plus de 3 500 habitants, située dans une agglomération de plus de 50 000 habitants et dans laquelle les logements locatifs sociaux représentent moins de 20 % du parc de résidences principales, de rattraper son retard dans un délai de vingt ans. Environ 750 communes étaient concernées en 2004. A cet égard, le logement social progresse mais peut mieux faire … Plus de la moitié des communes ne remplissaient pas l’objectif fixé par la loi en 20116, une proportion de « mauvais élèves » en baisse toutefois. On retrouve ici l’une des sources de difficultés de résorption de cette crise : si l’Etat promeut et obtient des lois permettant d’augmenter l’offre, il faut prendre en compte le partage des compétences et responsabilités qui s’est installé depuis la décentralisation de 1982. Ce sont les communes qui gèrent les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), lesquelles se caractérisent parfois par une politique des plus « malthusiennes », appliquant ainsi le mécanisme du « NIMBY » (Not In My Backyard !) envers les demandeurs, parfois considérés comme indésirables. C’est la raison pour laquelle la volonté du président-candidat actuel qui a annoncé en janvier dernier vouloir accroître de 30 % le COS (Coefficient d’Occupation des Sols) risque de se heurter au degré d’autonomie des maires.
Favoriser une France de propriétaires ?
Les incitations à l’accession à la propriété méritent qu’on s’y arrête. En effet, la France se situe parmi les pays dans lesquels la part des propriétaires est la plus faible comparée aux autres pays de l’Union Européenne : en 2009, 63 % des Français sont propriétaires de leur logement contre 73.5 % en moyenne, et près de 97 % en Roumanie ! Devant un tel constat, l’actuel président avait fait sienne la promotion de l’accession à la propriété, considérée comme un investissement rationnel : les loyers de remboursement versés sont autant d’économies futures, une fois le bien immobilier acquis. On retrouve ici la fameuse hypothèse du cycle de vie de Modigliani. Toutefois, certains économistes commencent à mettre en doute ce dogme du « tous propriétaires » : en effet, cela constitue une limite à la mobilité de la main-d’œuvre dans un contexte où les propositions d’emplois intègrent de plus en plus cette dimension de flexibilité géographique.
Ainsi, il existe dans notre pays une crise du logement cher qui interpelle car elle frappe durement les plus fragiles : les jeunes ou les ménages modestes. Toutefois, le panel d’interventions de l’Etat se révèle limité et nécessite surtout de hautes précautions afin de rendre l’action efficace économiquement en ces temps de réductions des dépenses publiques.
(1) Jacques FRIGGIT, « Quelles perspectives pour le prix du logement après son envolée ? » in « Pour sortir de la crise du logement », Regards croisés sur l’économie, La découverte, n° 9, mai 2011.
(2) Claire PLATEAU, « Vingt ans de dépenses de logement », Données sociales, Insee, 2006.
(3) Pierrette BRIANT, « Les inégalités face au coût du logement se sont creusées entre 1996 et 2006 », Portrait social, Insee, 2010.
(4) Fondation Abbé Pierre, Rapport 2012 sur l’état du mal-logement en France.
(5) G.FACK, « Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? L’incidence des aides au logement en France (1973-2002) », Economie et Statistique, n° 381-382.
(6) « Logement social : les communes progressent mais peuvent mieux faire », Le Monde, 16 juin 2011.