En 1971, le professeur Klaus Schwab a réuni des chefs d'entreprise européens à Davos pour discuter sur leurs pratiques de gestion globale. Il crée l'European Management Forum qui devient le Forum économique mondial en 1987 (World Economic Forum). Organisation internationale destinée aux dirigeants économiques, politiques et universitaires qui se "sont engagés à améliorer l'état du monde", notamment par le biais de partenariats et de programmes d’action sectoriels, régionaux ou mondiaux, le Forum économique mondial est devenu "un club privé pour les riches et les puissants" (les frais d'adhésion annuels sont de 42 500 franc suisses – environ 32 000 euros – pour les 1 000 entreprises adhérentes), il est aussi une plate-forme de rencontres intellectuelles et d'échanges avec d'autres univers sociaux (religieux, médias, organisations non gouvernementales, artistes, etc.).
« 12 piliers »
Pour l'OCDE, la compétitivité désigne "la capacité d’entreprises, d’industries, de régions, de nations ou d’ensembles supranationaux de générer de façon durable un revenu et un niveau d’emploi relativement élevés, tout en étant et restant exposés à la concurrence internationale".
Ainsi, la compétitivité est l’aptitude pour une entreprise, un secteur ou l’ensemble des entreprises d’une économie à faire face à la concurrence, soit par sa capacité à augmenter ou maintenir ses parts de marché, soit par sa capacité à satisfaire la demande intérieure et/ou mondiale pour un secteur d'activité ou un pays.
Le rapport du World Economic Forum adopte une vision large de la compétitivité : c'est "un ensemble d’institutions, de politiques publiques et de facteurs qui déterminent le niveau de productivité d’un pays" .
Pour rester compétitives, les économies doivent s’assurer qu’elles disposent des facteurs permettant l’amélioration de la productivité. Parmi les multiples déterminants qui influencent l'efficacité productive, "12 piliers" sont identifiés.
Pilier 1 : Les institutions
L’environnement institutionnel est le cadre juridique et administratif des relations entres les individus, les entreprises et les gouvernements. Les institutions sont donc au cœur de la création de valeur ajoutée et du partage des revenus. La garantie des droits de propriété, notamment pour les investisseurs, et la bonne exécution des contrats, sont ici au centre du bon fonctionnement des économies. Ce pilier inclut aussi la gestion des finances publiques et la transparence des organisations, publiques ou privées.
Pilier 2 : Les infrastructures
La densité des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires renforce la compétitivité des nations, tout comme la qualité des industries de réseaux (télécommunications, électricité, etc.). Le développement des infrastructures réduit les distances et facilite l'intégration des acteurs économiques et des marchés.
Pilier 3 : L'environnement macroéconomique
La stabilité macroéconomique est un des critères de compétitivité dans la mesure où elle rassure les propriétaires et les gestionnaires de capitaux. Le niveau de l'inflation ou des déficits publics sont aussi des variables importantes.
Pilier 4 : La santé et l'éducation primaire
Lorsque la population peut bénéficier d'un système de santé et éducatif de base, la population active est plus productive.
Pilier 5 : L'enseignement supérieur et formation professionnelle
L'existence d'un système d’enseignement supérieur et de formation professionnelle favorise le capital humain et la montée en gamme des entreprises. Elle est une donnée centrale dans l'adaptation des firmes à la mondialisation des systèmes productifs.
Pilier 6 : L'efficience du marché des produits
L'environnement concurrentiel est un des facteurs de la croissance. L'efficacité des marchés est liée à la nature du contrôle étatique mais aussi à l'importance de la demande.
Pilier 7 : L'efficience du marché du travail
La flexibilité du marché du travail doit permettre une bonne allocation de la main-d’œuvre entre les secteurs d’activité et offrir une rémunération aux salariés liée à leur productivité.
Pilier 8 : Le développement des marchés financiers
La bonne allocation du capital est assurée par les marchés financiers. Celui-ci doit orienter l’épargne nationale et/ou étrangère vers les besoins de financement les plus rentables. La confiance et la transparence sont aussi essentielles dans le développement du secteur bancaire.
Pilier 9 : Le développement (ou agilité) technologique
La compétitivité dépend aussi de la capacité du pays à adopter les innovations, notamment celles venues d'autres pays ou d'autres secteurs d'activité. L'aptitude à s'approprier et utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) est une des clefs du succès des entreprises puisque les NTIC sont devenues des technologies "à usage général" ou non spécialisées créatrices de gains de productivité. Bref, les NTIC ont des effets d'entraînement dans tous les secteurs.
Pilier 10 : La taille du marché
La largeur d'un marché permet aux entreprises de produire en grande quantité en diminuant les coûts unitaires. Ces économies d'échelle favorisent l'expansion des firmes. L'ouverture économique ou les processus d'intégration régionale participent à l'extension des marchés.
Pilier 11 : La sophistication des activités commerciales
Les relations entre fournisseurs, sous-traitants, donneurs d'ordre sont au cœur de la compétitivité des secteurs d'activité. La qualité des réseaux d'entreprises (ou "clusters") offre des avantages à tous les participants et renforce l'efficacité des entreprises.
Pilier 12 : L'innovation
L’innovation permet aux entreprises de renouveler la source de la création de richesse. Elle installe la compétitivité dans la durée. Elle suppose un environnement favorable aux innovateurs (propriété intellectuelle) et des moyens pour financer les investissements en Recherche & Développement.
Un indice de compétitivité
Le rapport sur la compétitivité mondiale propose un indice de compétitivité mondiale . Cet indicateur synthétique est établi sur la base d’une combinaison de 113 critères , dont 34 données statistiques fournies par les organisations internationales (ou "hard data") et 79 critères issus de réponses aux enquêtes de perception auprès de 15 000 cadres et dirigeants d’entreprises dans 139 pays, soit, en moyenne, moins de 100 personnes interrogées par pays. Tous ces critères sont corrélés avec le niveau de vie.
Parmi les 10 premières économies ainsi classées, on retrouve six pays européens, notamment la Suisse qui est classée en première position en 2010-2011 et les pays nordiques (Suède, Finlande, Danemark). L'Allemagne est classée en 5e position, devant la France , qui est à la 15 e place.
Indice de compétitivité globale 2010-2011
Source : World Economic Forum, 2010
Il y a deux façons d’analyser la position de la France en partant de ce classement :
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soit on se concentre sur la position . La France n'est pas en tête du classement (les 10 premiers) et reste un des pays les moins bien classés des grandes nations de la Triade ;
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soit on se concentre sur l'évolution . La France connaît, comme ses principaux partenaires/concurrents sur les marchés mondiaux (Allemagne, États-Unis, Japon) une relative stabilité de son classement.
La stabilité des rangs et des performances globales, dans le haut du classement (il en va différemment au milieu du classement de 139 pays), est un des enseignements de cette analyse.
La position de la France s'explique par ses spécificités structurelles : une certaine rigidité du marché du travail, un niveau élevé des prélèvements obligatoires et une grande qualité de ses infrastructures, de la gestion des entreprises et de son système d’enseignement et de recherche, notamment dans le domaine de la finance ou de la gestion (écoles de commerce). L' étendue de son marché et la qualité de ses infrastructures forment les deux principaux "accélérateurs de croissance" de l'économie française.
Ce bilan est le résultat d'une synthèse liée à la collection de données sur le marché du travail (" hard data ") et de sondages de cadres et de dirigeants d'entreprises. Ainsi, bien que le recours aux sociétés de travail temporaire et aux contrats à durée déterminée progresse, la France reste mal notée par les dirigeants d’entreprises en ce qui concerne la flexibilité du travail . Les mauvaises opinions concernent tant les modalités d’embauche et de licenciement que la conflictualité des relations de travail, en passant par les modalités de fixation des salaires. On notera ici que l'Allemagne est aussi très mal classée dans ce domaine, notamment en raison de ses traditions de négociation salariale par branche. Pour ces deux pays, le manque de flexibilité du marché du travail est perçu par les milieux économiques comme un des principaux obstacles à la compétitivité des entreprises, avant le niveau d’imposition ou l'accès au crédit.
Ce double constat permet de s'interroger sur la perception des cadres et dirigeants d'entreprise : le modèle continental de relations salariales semble déplaire aux élites économiques mondiales. A l'inverse, celles-ci portent un regard plus positif sur les questions liées à l’utilisation des talents, le lien entre salaire et la productivité ou l'action des managers professionnels à la tête des entreprises dans l'hexagone.
Enfin, soulignons que la France est classée à la 34e place (sur 139 pays) pour la participation des femmes au marché du travail, et qu'un " plafond de verre " sépare encore les femmes des postes de direction dans les entreprises.
Une méthode discutable
Le Forum économique mondial base l'essentiel de son travail sur des enquêtes auprès de responsables d’entreprises : l'information recueillie connaît donc les biais et les imprécisions liés aux sondages. Sur la base de réponses subjectives, on construit un indice qui se veut objectif. Toutefois, les cadres et dirigeants d'un pays peuvent avoir une perception différente de celle de la population ou des milieux d'affaires des autres pays. Ce cas est illustré par les jugements sur la "flexibilité" du marché du travail ou la conflictualité des relations salariales. De plus, les perceptions des milieux économiques ne sont pas toujours rationnelles. En 2007, les marchés financiers américains étaient classés en 3e position pour leur efficacité et à la 25e place pour leur solidité. La crise financière a souligné les hiatus possibles entre la perception du monde des décideurs économiques et la réalité économique.
A leur création, les fondements théoriques des indices de compétitivité du World Economic Forum ont été très critiqués par les économistes français (Cf. rapport du Conseil d'Analyse Economique sur la compétitivité) (http://www.cae.gouv.fr/spip.php?article68). Le calcul d'un tel indice suppose implicitement que le choix des variables explicatives de la croissance et de la compétitivité fasse consensus parmi les économistes, ce qui n'est pas le cas. Ainsi, l’impact du poids des dépenses publiques dans le Produit Intérieur Brut (PIB) ou l'impact de la qualité des institutions sont encore au cœur des débats théoriques.
Le Word Economic Forum (WEF) suppose des corrélations "intuitives" mais néanmoins contestables : la qualité des établissements de l’enseignement supérieur est-elle corrélée avec le stock de qualifications ou de compétences dans l’économie ? L’accès aux marchés financiers, notamment boursiers, est-il une bonne mesure de l'accès au capital ou de sa disponibilité ?
De plus, quelles causalités sont mesurées par les modèles du WEF ? Le niveau d’études de la population est-il la cause ou la conséquence de la croissance ? Est-ce la croissance qui permet d'augmenter le poids des dépenses de recherche et développement (R&D) dans le PIB ou, à l'inverse, l'augmentation du PIB qui favorise le financement de la R&D ?
Les problèmes liés à la mesure des variables s'ajoutent aux précédents. Une fois que l'on a fait le choix de prendre en compte la qualité des institutions comme critère de croissance, comment la mesurer ? De même, comment mesurer l’accumulation de capital humain ?
De surcroît, comme pour tout indicateur composite, les interrogations portent aussi sur la pondération des variables utilisées . Quelles sont les justifications des pondérations choisies ? Sont-elles choisies a priori, selon un modèle théorique, ou a posteriori pour augmenter les corrélations recherchées ?
Enfin, plus techniques, les critiques portent sur les modèles économétriques utilisés, l'hétérogénéité des paramètres entre pays ou l'endogénéité des variables explicatives.
Face a certaines critiques, la WEF a revu une partie de sa méthodologie avec l’Unité économétrique et statistique de la Commission européenne.
Penser la compétitivité en fonction du développement
Le rapport du Forum économique mondial et son indice de compétitivité globale permet de synthétiser de nombreuses données et, par là, de souligner la complexité du phénomène de compétitivité . Suivant les réflexions des professeurs Michael Porter (université d'Harvard) et Xavier Sala-i-Martin (université de Columbia), une vision large de la compétitivité rappelle la multitude des facteurs à l'origine de la prospérité d’une nation.
De plus, le rapport sur la compétitivité mondiale réactualise une analyse en termes de " stades de développement ". La compétitivité d'un pays doit s'évaluer en fonction du niveau de développement atteint et en fonction de ses dotations en facteurs (principalement les dotations en travail non qualifié et en ressources naturelles). A chaque stade de développement, les déterminants de la compétitivité se modifient et les entreprises du pays doivent développer des procédés de production plus efficaces pour s'imposer sur de nouveaux marchés, mais aussi parce que les salaires ont augmenté. Ainsi, les "12 piliers de la compétitivité" sont classés en trois ensembles :
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les exigences minimales pour être compétitif (institutions, infrastructure, environnement macroéconomique, santé et éducation de base) ;
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les accélérateurs d'efficacité (enseignement supérieur et formation, efficacité du marché des biens, efficacité du marché du travail, développement du marché financier, développement technologique, taille de marché) ;
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les facteurs d'innovation et de sophistication (degré de sophistication des activités commerciales et innovation).
Chaque "sous-indice" définit alors un stade particulier du développement. Les pays entre deux étapes sont considérés "en transition".
Les trois stades de développement selon le Forum économique mondial
Source : D'après le rapport du World Economic Forum, 2010
Pour les pays qui sont classés dans le premier stade , les institutions, les infrastructures, la stabilité macroéconomique, la santé et l’éducation primaires sont les " conditions de base " du développement économique.
Pour les pays qui sont classés dans le deuxième stade du développement , l’éducation supérieure, l’efficience des marchés de biens et du marché du travail, la sophistication des marchés financiers, le développement ou agilité technologique ainsi que la taille des marchés sont les " facteurs dynamiseurs " ou " accélérateurs de croissance ". Ainsi, par exemple, l’acquisition de technologies auprès d’entreprises étrangères, la qualité de législation, la sécurité numérique ou l’usage d’Internet et du téléphone mobile "accélèrent" la croissance, car elles engagent le pays dans une "nouvelle économie". Tout comme la hausse du taux de fréquentation des universités ou la qualité des enseignements, notamment en sciences, l’utilisation des NTIC à l'école, les dépenses de formation professionnelle des entreprises ouvre les voies d'une économie de la connaissance.
Pour les pays qui sont classés dans le troisième stade , comme la France, l'essentiel de la compétitivité globale résulte de deux piliers : la sophistication des activités commerciales et la maîtrise des innovations. Ces économies développées sont "tirées par l’innovation" et la capacité des entreprises à s’organiser en réseaux, comme les pôles de compétitivité en France. La qualité du management et le positionnement des entreprises dans la chaîne de valeur tout comme la capacité des entreprises à créer des produits uniques qui s'imposent sur les marchés et développer des réseaux de distribution internationaux.