Des symptômes divers
On distingue deux groupes de pays :
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ceux qui tirent leur épingle du jeu : Slovénie, Slovaquie, République tchèque, Pologne ;
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ceux qui souffrent le plus de la crise : Hongrie, Ukraine et les pays arrimés à l'euro (pays baltes : Estonie, Lettonie et Lituanie).
Source : OCDE
Selon l'OCDE, la croissance du PIB réel hongrois s’est effondrée au quatrième trimestre de 2008, le fléchissement des exportations dû à la récession dans la zone euro venant s’ajouter à une demande intérieure déjà faible dans un contexte de rigueur budgétaire et de durcissement des conditions de crédit. L’économie connaîtra une profonde récession en 2009 avant de se relever lentement en 2010. Le chômage atteindra probablement des taux à deux chiffres pendant la période couverte par les prévisions.
Seul pays du groupe à ne pas respecter les critères de Maastricht en matière de finances publiques, la Hongrie a mis en place un programme d'assainissement budgétaire drastique à la mi-2006. Cela lui a permis de réduire son déficit public de 9,3 % du PIB à 4,9 % en 2007, mais au prix d'une croissance divisée par 3,5 de 2006 à 2007.
Source : OCDE
En Pologne, la croissance s’est ralentie au second semestre de 2008 mais elle était encore positive au début de 2009. Compte tenu de la récession mondiale, l’activité se contractera probablement en 2009, encore que la récession devrait être relativement peu profonde, pour plusieurs raisons : modeste dépendance à l’égard des échanges extérieurs, taux d’intérêt historiquement peu élevés, endettement assez faible du secteur privé, allégements d’impôt sur le revenu et réalisation de nombreux projets d’infrastructure liés aux transferts de fonds de l’Union européenne et le championnat de football en 2012. Les pressions sur les prix se sont intensifiées dernièrement, en raison notamment d’un repli marqué du taux de change, mais, avec l’accentuation du ralentissement de l’activité, elles devraient s’atténuer régulièrement.
Après la forte révision à la hausse du déficit des administrations publiques pour 2008, les perspectives budgétaires se dégradent nettement puisque le déficit ne fera que s’aggraver au cours des deux prochaines années. La dette publique se trouvant ainsi portée à un niveau proche de la limite de 60 % du PIB fixée par le critères de Maastricht , le gouvernement devra se tenir prêt à mettre en ouvre des mesures d’assainissement des finances publiques une fois que la reprise s’amorcera en 2010. Ces mesures devront s’accompagner d’un nouvel assouplissement monétaire.
L'avantage de cette crise est qu'elle a amorcé un ralentissement de la hausse des prix. En effet, alors que la flambée des prix alimentaires et de l'énergie touchent l'ensemble de la zone euro en 2008, l'inflation atteint des sommets dans les quatre pays à change fixe (de 12 % à 18 % en glissement annuel en juin 2008) et les salaires y progressent plus vite qu'ailleurs (de 20 à 30 % d'augmentation en 2007). Cela détériore leur compétitivité prix, alors qu'ils présentent déjà des déficits des transactions courantes importants (de 15 à 25 % du PIB).
Ces déficits étaient, jusqu'à la crise, financés par des entrées de capitaux stables: investissements directs à l'étranger (IDE) pour la Bulgarie, prêts des banques internationales à leurs filiales pour les pays Baltes. Mais la hausse de la facture pétrolière tend à creuser les déficits courants.
Elements de diagnostic
La transmission de la crise par les exportations:
Selon l'OCDE, l'Estonie s'est développée plus rapidement que la plupart des économies émergentes de 2000 à 2007, mais elle est maintenant dans une récession grave à cause d’un effondrement de la demande domestique à la suite de la crise financière internationale.
L'Ukraine est minée par le ralentissement de l'économie russe (principal débouché à l'exportation).
Enfin, la Pologne et la République tchèque sont moins durement touchées par la crise en raison de leur moindre dépendance vis-à-vis de l'extérieur.
Une soif inextinguible de capitaux:
Attirés par les perspectives de rattrapage des niveaux de vie de l'ouest européen, par la sous-évaluation des prix des actifs, et par les écarts de salaires, les capitaux ont afflué : entre 2001 et 2007, les entrées nettes de capitaux vers les pays d'Europe centrale et orientale ont été multipliées par 10 en dollars. Cet apport de capitaux a pris les formes les plus diverses : emprunts sur le marché es obligations, IDE, émission d'actions, introduction d'entreprises en bourse.
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Les pays qui ont misé sur les IDE (par exemple, la Slovaquie et la Bulgarie) semblent aujourd'hui les moins vulnérables : même si les usines ferment, il est plus difficile au capital de s'échapper.
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Ceux qui, au contraire, ont vendu leurs obligations à des non-résidents, comme la Hongrie ou la Russie, sont les plus fragiles : ils dépendent de traders qui peuvent faire varier leur fortune très rapidement.
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Entre ceux deux cas extrêmes, on trouve les pays où les banques sont tributaires de leurs maisons mères étrangères. C'est surtout le cas des pays baltes. Jusqu'à présent, les banques occidentales offraient aux ménages et entreprises des pays d'Europe de l'Est les meilleures conditions d'emprunt. Qu'arriverait-il si une banque étrangère très exposée dans ces pays (une banque suédoise, autrichienne ou italienne par exemple) avait besoin de lever des capitaux supplémentaires, mais devait affronter la réticence des actionnaires jugeant des prêts trop risqués ? Cette filiale fragilisée devrait être abandonnée 1 . La pression est réelle : selon la BRI (Banque des Règlements Internationaux), en septembre 2008, à la veille de l'éclatement de la crise bancaire en Europe, l'encours des prêts des banques étrangères, principalement européennes, aux économies d'Europe Centrale et orientale s'élevait à 1 250 milliards d'euros, soit 75 % du PIB de la région!
La crise financière a provoqué un mouvement de "fuite vers la qualité" : les investisseurs retirent leurs placements de la région pour se rabattre sur des titres libellés en euros ou en dollars, entraînant ainsi une dépréciation des monnaies d'Europe de l'Est, une perte brutale de pouvoir d'achat sur les produits importés, et une explosion du poids de l'endettement privé, dont une part importante est libellés en euros (86 % en Lettonie et 57 % en Hongrie).
L'internationalisation spectaculaire des crédits à l'économie:
Au total, en 2009, les économies d'Europe de l'Est doivent rembourser 400 milliards de dollars d'emprunts à court terme ou obtenir le report de leur échéance.
Dans les pays baltes, en Hongrie, en Bulgarie et en Roumanie, la part des prêts en devises dans le crédit total à l'économie s'échelonne entre 54 % et 89 % aujourd'hui.
Les pays baltes ont été touchés de plein fouet par la crise financière. On savait ces économies en situation de surchauffe, le boom du crédit aux particuliers et le dynamisme de la demande intérieure y ayant alimenté inflation et bulle immobilière. Les déséquilibres externes massifs, financés essentiellement par l’endettement externe, ont rendu ces pays vulnérables aux incertitudes financières mondiales. Le resserrement des conditions de crédit a donc conduit à un atterrissage brutal, renforcé par le ralentissement de la consommation des ménages consécutif à l’accélération de l’inflation. Si la Lituanie a jusqu’ici conservé une croissance plus robuste que ses deux voisins, l’effondrement du secteur immobilier et l’inflation devraient également conduire à très court terme à un retournement conjoncturel brutal. Ce retournement pourrait en outre être renforcé par la crise financière si elle venait à s’accentuer, les trois pays baltes ayant choisi d’ancrer leurs devises à l’euro dans le cadre de régimes de change fixe, les plaçant aujourd’hui dans une situation financière particulièrement fragile 2 .
Dans la perspective, relativement proche, de l'entrée dans la zone euro, les Lettons ont contracté de plus en plus de prêts en devises, au coût plus attractif (taux d'intérêt moindre). Ils ne s'inquiétaient nullement d'un tarissement de ces fonds, les banques suédoises par exemple, ne semblant pas vouloir abandonner leurs filiales lettones. C'était sans compter sur les fluctuations de change : depuis le milieu de l'année 2008, le zloty (monnaie polonaise) et le forint (monnaie hongroise) ont chuté face à l'euro de 28 % et 22 % respectivement. Les emprunteurs qui gagnent leur vie en zlotys en en forints ont subitement vu le poids de leurs remboursements s'alourdir de façon démesurée.
A partir de l'été 2008, les restrictions croissantes de crédit des banques de l'Europe de l'Ouest à l'égard de leurs filiales en Europe de l'Est et les rapatriements de capitaux des investisseurs institutionnels ont déstabilisé les marchés financiers et les banques de la région 3 . Comment remédier à ce problème, sachant que la pression sur les taux de change s'est intensifiée ?
Des remèdes au cas par cas
Les aides extérieures:
Selon Josep Borrell, président du Parlement européen de juillet 2004 à janvier 2007, l'insolvabilité des ménages des pays d'Europe de l'Est pourrait provoquer un choc en retour pour les pays de l'Ouest européen, via les comptes des banques qui ont précisément financé ces prêts en euros à travers leurs filiales ou leurs partenaires des PECO. Il faudrait donc prendre des mesures pour éviter l'insolvabilité des ménages, en allégeant leurs dettes souscrites en euros.
Les PECO membres de l'Union européenne cherchent à coordonner leurs efforts pour relancer leurs économies: dans ce but, ils se sont réunis le 1er mars 2009, à l'occasion d'un mini sommet. Mais la coordination s'avèrant difficile, certains pays ont fait appel au FMI.
En octobre 2008, la Hongrie a sollicité auprès du FMI et de l'UE une aide de 20 milliards d'euros. Son premier ministre, Ferenc Gyurcsany, a réitéré cet appel au secours au début de 2009 4 : il souhaitait un plan d'aide de 160 à 190 milliards d'euros pour soutenir le secteur financier en difficulté en Europe de l'Est. Plusieurs PECO ont rejeté cette proposition, notamment la République tchèque qui s'oppose fermement à la mise en œuvre de tout plan spécial pour la région, étant donné la diversité des conjonctures économiques selon les Etats.
D'autres pays ont appelé le FMI au secours :
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la Lettonie : en décembre 2008, renflouement de 7,5 milliards d'euros effectué par le FMI. En échange, elle doit suivre un plan exigeant de restriction des dépenses sociales, d'ajustement des importations (- 38 % en volume en 2008-2009) ;
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l'Ukraine : pour faire face au chaos économique et politique, elle a bénéficié d'un premier plan d'aide du FMI de 4,5 milliards de dollars ; un deuxième plan de 1,9 milliards de dollars est prévu ;
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le FMI a accordé un plan d'aide à la Roumanie en mars 2009 et à la Pologne en mai 2009 ;
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la Biélorussie et la Géorgie (renflouée en 2008 après la guerre russo-géorgienne), et la Serbie ont conclu un plan de sauvetage avec le FMI, et la Serbie est sur le point d'y parvenir.
Les économies de la zone les plus en danger bénéficient d'une aide de 24,5 milliards d'euros accordée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque mondiale. Ce plan prévoit notamment de soutenir certaines petites et moyennes entreprises de la région.
Enfin, la BERD, la BEI et la Banque mondiale cherchent à éviter un mouvement de défiance généralisée des déposants et des investisseurs, qui provoquerait un credit crunch aux conséquences désastreuses: aussi les opérations de refinancement des banques en difficulté concernent-elles entre autres, certains établissements d'Europe de l'ouest très présents dans les PECO, comme les banques autrichiennes, dont le stock de prêts accordés dans la région s'élève à environ 201 milliards d'euros 5 .
Les politiques économiques:
Soutenir la monnaie
En contexte de crise, les économies à régime de change flexible (Pologne, République tchèque, Roumanie) subiraient un coup de frein moins marqué que les pays à régime de change fixe (Bulgarie et pays baltes). Les pays à régime de change flexible bénéficieront plus longtemps d'une politique monétaire autonome. Cela leur permet, d'une part, de laisser s'apprécier leur monnaie pour contribuer au rattrapage du niveau réel des prix, et, d'autre part, d'augmenter leur taux d'intérêt pour contenir l'inflation, si nécessaire.
Cette théorie est-elle vérifiée aujourd'hui 6 ?
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Pays à change fixe ou ancré à l'euro : depuis 2004, les pays baltes font partie du mécanisme de change européen (dans l'optique de rejoindre à terme la zone euro). Le régime monétaire de la Roumanie est quant à lui le Currency board, dans lequel l'émission de monnaie par la banque centrale est gagée intégralement sur les réserves de change: le taux de change reste fixe.
Aussi ces pays ne peuvent-ils dévaluer pour retrouver la compétitivité perdue. Pour lutter contre leur déficit courant, ils sont donc obligés de mener une politique d'austérité (coupe sévère dans les importations). -
Pays à change flexible, dont la monnaie est en flottement par rapport à l'euro : République tchèque, Pologne, Hongrie, Roumanie, qui ont donc une politique monétaire autonome. Théoriquement, ces pays devraient tirer parti d'une dépréciation de leur monnaie pour favoriser leur compétitivité prix et leurs exportations. Couplée à une baisse des taux d'intérêt, cela permettrait de relancer l'économie. Néanmoins, en pratique, une chute du taux de change entraînerait la faillite des entreprises et des ménages qui, les années passées, ont contracté des prêts importants en devises étrangères, principalement en euros ; c'est surtout le cas de la Hongrie.
Certains Etats d'Europe Centrale sont pressés d'adopter l'euro, qui protège de la fluctuation des changes et de la spéculation. Par exemple, si la Lettonie avait adopté l'euro, sa plus grande banque, PAREX, n'aurait sans doute pas fait faillite, car elle aurait pu se refinancer directement en euros auprès de la BCE (rôle de prêteur en dernier ressort).
La politique budgétaire
Il y a globalement peu de marges de manœuvre en matière de dépenses publiques et de politique fiscale. Dans l'espoir de rejoindre l'euro (dont l'une des conditions est de réduire le déficit budgétaire sous la barre des 3 % du PIB), les pays d'Europe de l'Est ont mis en place des plans drastiques d'assainissement budgétaire avant la crise : ainsi, la Lettonie court le risque d'une spirale récessive, les baisses de dépenses publiques affaiblissant l'économie, contribuant ainsi au déficit budgétaire.
La politique structurelle
Selon l'OCDE, les réformes structurelles peuvent faciliter l'effort d'ajustement : cela permettrait d'accroître la résistance à de nouveaux chocs négatifs et de desserrer la contrainte budgétaire.
Lexique
Besoin de financement de la nation : la somme des soldes du compte des transactions courantes et des opérations de capital peut faire apparaître un solde positif ou négatif. Lorsque ce solde est négatif, on parle de besoin de financement de la nation par rapport au reste du monde: les agents résidents doivent recourir à l'épargne des agents non-résidents pour financer des investissements, pour emprunter.
Notes
1. "The Whiff of Contagion", The Economist , traduit par François Boisivon, pour Problèmes économiques , 15 avril 2009, n°2969, p. 17.
2. Marion Cochard, "PECO : en ordre dispersé", Revue de l'OFCE , n°107.
3. Jacques Adda, "Europe de l'Est : le salut par l'euro?", Alternatives économiques , juin 2009, n°281, p. 66-67
4. La rédaction de Problèmes économiques , 15 avril 2009, n°2969, p. 18.
5. Ibid.
6. CEPII, L'économie mondiale 2009 , coll. "Repères", La Découverte, 2008, p. 29.