Introduction
L’idée d’un revenu universel, ou revenu de base, qui réapparaît récemment dans la campagne de la primaire de la gauche pour l’élection présidentielle, et tout particulièrement dans les propos du candidat Benoît Hamon, est une idée ancienne, qui au passage est également portée par des hommes politiques de droite, comme le député Les Républicains Frédéric Lefebvre, qui défend une « allocation de 800 à 1000 euros ». Ce revenu présente deux caractéristiques importantes. D’une part, c’est un revenu versé inconditionnellement : il sort de la logique des minimas sociaux puisqu’il s’agit d’un « socle » qui serait garanti à toute personne, quel que soit son niveau de revenu. D’autre part, c’est un revenu universel et individuel : il bénéficie à chaque individu, indépendamment de sa situation familiale, et au moins en principe, est identique pour chacun. Ce revenu de base, qui apparaît dans l’histoire au moment de la Renaissance, obéit d’abord avant tout à une certaine conception de la justice sociale.
Si l’idée de revenu universel resurgit aujourd’hui, c’est essentiellement pour deux raisons. La première raison est l’inefficacité relative du système de protection sociale. La France, par le biais de l’impôt et des cotisations sociales, consacre actuellement plus de 690 milliards d’euros (soit un tiers du PIB) à la protection sociale. Et pourtant cela n’empêche pas la persistance d’un taux de pauvreté relativement élevé. La deuxième raison est que les contours de l’emploi, du chômage et de l’inactivité, continuent de changer. Le chômage persiste à un niveau élevé sous l’effet de la substitution de la machine au travailleur pour les tâches, de plus en plus nombreuses, pour lesquelles l’avantage comparatif de l’homme sur le robot disparaît. D’autre part, le salariat, bien qu’en restant toujours le mode prépondérant de la relation de travail, subit les effets de l’externalisation, qui prend la forme contemporaine de l’ « uberisation ».
De nombreuses initiatives de revenu de base existent en Europe et dans le monde. En France, le sujet est installé dans le débat public, opposant nettement ceux qui pensent que l’objectif du revenu universel est de rationaliser les systèmes d’aide sociale en se substituant à l’ensemble des prestations existantes, et ceux qui voient l’allocation universelle comme un outil donnant aux individus les moyens de se prendre en charge dans la dignité, sans pour autant remettre en cause les prestations sociales en vigueur.
Que l’on adhère à l’une ou l’autre formule du revenu de base, il n’en demeure pas moins que l’ambition universaliste de celui-ci fait qu’il présente un coût élevé, ce qui nécessite de réfléchir de manière approfondie aux sources de financement.
I- Une idée ancienne
A- Brève histoire de la lutte contre la pauvreté
L’idée d’une allocation versée aux plus pauvres par la puissance publique, et donc d’une assistance qui ne relève plus seulement de la charité privée, apparaît avec l’humanisme de la Renaissance. On situe généralement les origines du concept d’allocation universelle dans l’œuvre de Thomas More, L’Utopie, publiée en 1516. Dans le cadre idéal décrit par More, chacun est assuré des moyens de sa subsistance sans dépendre du travail. Cette réflexion sera prolongée par un contemporain de More, Juan Luis Vives, dont la pensée a guidé la première loi sur les pauvres promulguée en Angleterre en 1601, qui conférait aux paroisses anglaises l’obligation d’assurer la prise en charge des indigents, en contrepartie d’une obligation de travail. Un peu plus tard, à la fin du XVIIIème siècle, dans un contexte de forte croissance démographique et de mauvaises récoltes, est conçu toujours en Angleterre le système de Speenhamland (du nom d’une localité du Berkshire). Ce système réforme la Poor Law de 1601 en prévoyant le versement aux indigents d’une allocation dont le montant est déterminé en fonction de la composition du foyer et indexé sur le prix du pain. Speenhamland a suscité dès l’époque des critiques nombreuses qui s’appliquent encore de nos jours à l’idée de revenu universel. On lui reprochait notamment d’inciter à l’oisiveté, de freiner l’industrialisation, et aussi de contenir la hausse des salaires. Ces critiques ont conduit à la réforme du système d’assurance publique anglais en 1834 (New Poor Law), réforme qui conditionnait la prise en charge des indigents à leur internement dans des maisons du travail (Workhouses).
Après une longue parenthèse, l’idée d’un revenu universel pour lutter contre la pauvreté a resurgi au milieu du XXème siècle. Aux Etats-Unis, le pasteur Martin Luther King s’est fait le défenseur d’un outil qui aurait selon lui pour finalité de résorber la pauvreté tout en évitant la fracture sociale entre les contribuables et les assistés (Where do we go from here : Chaos or Community ?, 1967). En France, un peu plus tard, l’ouvrage de Lionel Stoléru (Vaincre la pauvreté dans les pays riches, 1974) popularise l’idée d’un impôt négatif (voir plus bas). Il inspire notamment la création du Revenu minimum d’insertion (RMI) en 1988, puis du Revenu de solidarité active (RSA) en 2008, qui remplacera le RMI en raison des limites de ce premier dispositif, que l’on peut résumer par l’existence de trappes à inactivité (voir définition plus bas). Pour Stoléru, RMI et RSA débouchent logiquement sur la création d’un véritable revenu universel.
B- Justifications philosophiques du revenu universel
Déjà au XVIIème siècle, le philosophe empiriste anglais John Locke, tout en justifiant le mouvement des enclosures qui transformait une agriculture traditionnelle, reposant sur la coopération et la communauté d’administration des terres, en un système de propriété privée, indiquait que la justice devait indemniser ceux qui étaient victimes de la perte de leur droit à se livrer à des activités telles que la pêche, la cueillette, ou encore l’extraction des ressources naturelles minérales sur les terres communes. C’est ce que l’on appelle la « clause lockéenne ». Selon cette clause, si quelqu’un s’approprie un objet, il doit en rester « suffisamment et en qualité aussi bonne en commun pour les autres ». Bien plus tard, dans Anarchie, Etat et Utopie (1974), Robert Nozick prolongera cette discussion en affirmant que l’appropriation d’un bien commun ne peut se faire qu’à condition de compenser les autres utilisateurs de telle sorte que « leur situation ne se détériore pas par elle-même ».
A la suite de Locke, dans La justice agraire (1797), Thomas Paine défend la thèse selon laquelle la terre appartient en collectivité à tous les hommes, et que pour compenser l’injustice que représente la propriété privée, un fonds alimenté par les propriétaires terriens doit permettre de verser une dotation à chaque individu atteignant la majorité. Les idées de Paine inspireront le mouvement des « socialistes utopiques ». Dans son ouvrage Solution au problème social (1848), Joseph Charlier, juriste belge proche de Charles Fourier, formulera la première proposition élaborée d’allocation universelle. Il s’agit d’un « dividende territorial », qui de la même manière que la dotation imaginée par Paine, constitue une contrepartie à l’injustice que représente la propriété privée de la terre.
Au XXème siècle, le concept d’un revenu de base comme instrument de justice sociale sera repris par Bertrand Russel dans Roads of Freedom (1918), et surtout par John Rawls qui, dans sa Théorie de la justice (1971), confère au gouvernement le rôle de garantir un minimum social de nature à permettre une réelle égalité des chances. C’est dans cet esprit que Philippe Van Parijs (Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Le Seuil, 1991) défend l’idée d’une liberté réelle maximale pour tous, en accord avec le principe rawlsien de différence (principe selon lequel n’est acceptable l’inégalité que dans la mesure où elle bénéficie aux plus défavorisés), qui vise à accorder une liberté réelle maximale pour les plus faibles. Selon Van Parijs, l’allocation universelle entraîne une évolution de la relation contractuelle entre le salarié et l’employeur, en permettant à chacun de se vendre sur le marché du travail ou d’agir autrement s’il le préfère. Les salariés pourraient ainsi négocier plus librement leur contrat de travail, ce qui conduirait à la disparition des « mauvais emplois », et des conditions de travail dégradées.
II- Pourquoi un revenu de base aujourd’hui ?
A- Simplifier la lutte contre la pauvreté
En France, les prestations visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion représentent 24 milliards d’euros, et sont complétées par les aides au logement (18 milliards d’euros) et les prestations familiales (54,1 milliards d’euros). Ces dépenses sont loin d’être inutiles, puisque parmi les pays d’Europe, la France obtient des résultats significatifs en matière de lutte contre la pauvreté ( en 2014, avec un taux de pauvreté situé à 60% du revenu médian, la France se situe à 13,3% contre 17,2% dans l’ensemble de l’Union européenne). Toutefois, la persistance d’une situation dans laquelle 8,8 millions de personnes disposent de moins de 1000 euros par mois conduit à s’interroger sur la nécessité d’une réforme des dispositifs de lutte contre la pauvreté.
En effet, le système des minima sociaux est assez lourd, comportant 10 allocations, dont la principale demeure le RSA, versé au 31 décembre 2014 à 1,9 million d’allocataires, pour une dépense de plus de 10 milliards d’euros. Les limites du système des minima sociaux sont bien connues. En premier lieu, leur montant ne permet pas globalement à une personne seule sans autre ressource de sortir de la pauvreté monétaire, dont le seuil s’établissait à 1008 euros en 2014 selon l’INSEE (le RSA, par exemple, est une allocation différentielle complétant les ressources du foyer à concurrence d’un niveau garanti : 524,68 euros pour une personne seule hors forfait logement). Au-delà de cet aspect quantitatif, les limites du système tiennent à sa complexité. Cette complexité fait qu’un nombre important de bénéficiaires potentiels renoncent à leurs droits, ou ne sont pas en mesure de les faire valoir (35% en 2011 d’après le comité d’évaluation du RSA). Ce non-recours s’explique également par l’effet de stigmatisation des allocataires de minima sociaux. Un autre point à considérer est que le pilotage de ces différents minima sociaux est très problématique pour les pouvoirs publics. Par exemple, la décentralisation du RSA vers les départements n’empêche pas que les règles demeurent fixées au niveau national ni que l’Etat continue à participer à son financement, alors que ce sont les CAF (Caisse d’allocations familiales) qui sont chargées de le verser.
En ce qui concerne les prestations familiales, il faut rappeler que la politique familiale n’a pas été conçue comme un instrument de lutte contre la pauvreté, mais comme une politique de redistribution horizontale des célibataires vers les familles avec enfants. Même si aujourd’hui les prestations familiales sont concentrées sur les ménages modestes, et si depuis le 1 juillet 2015, le montant des allocations familiales est modulé en fonction du revenu des parents, il n’en demeure pas moins qu’il serait bon de mieux articuler ces prestations avec l’ensemble des dispositifs de lutte contre la pauvreté.
Quant aux aides au logement, même s’il est vrai qu’elles sont concentrées généralement sur les personnes les plus pauvres, leur efficacité mérite d’être questionnée : elles ont en effet un effet inflationniste sur les loyers, et on observe que de nombreux ménages parmi les plus pauvres ne reçoivent aucune aide au logement (près d’un quart des ménages du premier décile d’allocataires selon la CAF).
Au-delà des limites propres à chacun de ces dispositifs, l’inefficacité d’ensemble du système provient des trappes à inactivité qu’il laisse subsister. On parle de trappe à inactivité pour décrire une situation dans laquelle les gains tirés de la reprise d’une activité rémunérée sont inférieurs à la perte résultant de la fermeture des droits d’allocation. Ce phénomène de trappe à inactivité peut s’expliquer quand on examine l’évolution du taux marginal d’imposition pour une personne seule (rappelons que le taux marginal d’imposition est le taux auquel est taxé tout euro supplémentaire de revenu).
Source : CAF
Alors qu’en toute logique, ce taux marginal devrait être croissant en fonction du salaire, on observe qu’il est de fait assez erratique, ceci s’expliquant par la modulation des aides en fonction du salaire. Au- delà de 0,3 SMIC, les règles de calcul des aides au logement expliquent une grande partie des variations observées. A partir de 1,35 SMIC, la forte pente constatée correspond à la sortie du dispositif de prime d’activité. Au-delà, c’est le barème de l’impôt sur le revenu qui explique les fluctuations du taux marginal d’imposition.
Il existe un certain nombre de propositions pour améliorer la lutte contre la pauvreté. Parmi ces propositions, l’attribution d’un revenu de base semble la plus ambitieuse. Versé à tous et cumulable avec le revenu du travail, ce revenu de base permettrait de lutter de manière efficace contre le phénomène de trappe à inactivité, puisque l’individu qui reprendrait ou accroîtrait son activité professionnelle conserverait l’intégralité du supplément de revenu correspondant. Le revenu de base présente également d’autres bénéfices non négligeables : par son universalité et son inconditionnalité, il réduit les coûts de gestion, permet de couvrir l’ensemble de la population, et de diminuer aussi les effets de stigmatisation des bénéficiaires, en renforçant l’acceptabilité sociale de la redistribution.
B- Accompagner l’évolution du modèle de l’emploi
Si le revenu de base peut se présenter comme un outil de lutte contre la pauvreté, il est aussi une mesure d’accompagnement des mutations de l’économie à l’heure de la robotisation et du numérique.
Le premier point à considérer est que, selon l’économiste Daniel Cohen, à la différence des technologies antérieures qui en augmentant la productivité du travail, permettaient d’alimenter le mécanisme du « déversement », le numérique remplace le travail humain, mais sans pour autant avoir un impact positif sur le rendement. Le processus de destruction créatrice décrit par Schumpeter existe bien, mais la destruction semble l’emporter actuellement sur la création. Par ailleurs, même si on relativise la grande peur de la substitution de l’homme par la machine qui réapparaît de manière récurrente dans l’histoire (voir sur le sujet le livre d’Alfred Sauvy, La machine et le chômage), il n’en reste pas moins que la révolution numérique présente des effets différents de ceux des révolutions industrielles précédentes sur la nature des emplois. Dans la phase actuelle, les emplois se concentrent sur les tâches dans lesquelles les travailleurs bénéficient d’un avantage comparatif par rapport à la machine, permettant d’assurer la complémentarité de l’homme et du robot dans le processus de création de richesse. Cela a pour conséquence la disparition de certains métiers présentant un caractère routinier peu qualifié sans qu’émergent dans la même proportion des métiers nouveaux liés au numérique. Pour résumer, on assiste à une polarisation des emplois, avec des créations assez fortes dans les métiers qualifiés, alors que les métiers pas ou peu qualifiés sont menacés. C’est le cas dans l’industrie puisque pour le cas français l’emploi salarié y est passé de 4,1 millions à 3,1 millions de 2001 à 2016. Mais c’est aussi le cas des services puisque de nombreux métiers comme les caissières, les services à la personne,…, sont également menacés. Dans ces conditions, le revenu de base permet de couvrir les individus que le progrès technique contemporain rend « inutiles ».
Le deuxième point à considérer est la remise en cause du salariat. Même si cette remise en cause n’est que partielle puisque le salariat demeure prépondérant dans l’ensemble des formes d’emploi (l’emploi non salarié ne représente que 11,5% des emplois en France), il n’en reste pas moins que l’on assiste à une fragmentation de l’activité salariale, avec une propension à alterner emploi salarié et période sans emploi au cours d’une carrière, mais aussi une propension à alterner emploi salarié et emploi non salarié du fait de la démarche d’externalisation des activités par les entreprises, que l’on qualifie parfois d’ «uberisation ». Tout cela a pour conséquence que l’emploi à vie ne sera plus la seule caractéristique des sociétés post-industrielles, et que dans ces conditions l’attribution d’un revenu de base représente un « filet de sécurité » permettant de mieux gérer les aléas de carrière.
Ajoutons enfin que le revenu de base est aussi un moyen de rétribuer des créations de richesse qui se développent hors de l’emploi. Dans le capitalisme moderne, qualifié par certains de « capitalisme cognitif », la création de valeur se fait parfois dans des activités contributives nouvelles qui émergent dans le cadre d’une production « peer to peer », production qui pour l’instant n’est pas solvabilisée. Le revenu de base permettrait de rémunérer des acteurs sociaux dont la création de richesse n’est pas pour l’instant solvable. On peut illustrer cela par l’entreprise Google, dont le modèle économique repose sur une création de valeur qui résulte du seul comportement des usagers d’internet. Ce modèle prend aujourd’hui une certaine ampleur puisqu’il concerne les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui captent les créations collaboratives des acteurs sociaux.
III- L’état du débat public en France
A- L’approche « libérale »
Dans cette approche, le revenu de base a pour finalité de libérer l’individu de la tutelle de l’Etat. Il est vu comme un instrument favorisant la liberté individuelle, chacun bénéficiant d’un revenu lui permettant de subvenir à ses besoins familiaux.
Cette vision a été d’abord proposée par Milton Friedman (Capitalisme et liberté, 1962) avec l’idée d’un impôt sur le revenu négatif dont le principe est assez simple : le revenu d’un foyer étant imposable à partir d’un certain seuil, Friedman propose un « crédit d’impôt » sur la différence entre le revenu effectivement gagné par le foyer et le seuil qui se trouve au-dessus. Par exemple, si le revenu à partir duquel le foyer est imposable est de 20000 euros et que le foyer gagne 15000 euros, le ménage en question recevra un impôt négatif auquel on applique un certain taux. Si le taux est de 50%, dans cet exemple, l’impôt négatif sera de 2500 euros (50% de 5000 euros). L’impôt négatif est nommé de la sorte car c’est une sorte de miroir de l’impôt « positif ». La mesure proposée par Friedman est cependant assez éloignée du revenu universel à proprement parler : elle poursuit avant tout plusieurs objectifs qui sont d’aider les pauvres à sortir de la pauvreté en préservant leur dignité (en évitant les nombreuses démarches et justifications nécessaires pour obtenir de l’aide), à mettre fin aux trappes à pauvreté qui sont créées par la multiplicité des aides et prestations diverses, et aussi à limiter l’expansion de la bureaucratie de la redistribution.
La vision de Friedman a été reprise en France par Lionel Stoléru en 1974. Pour celui-ci, alors que le revenu minimum garanti qui complète les revenus jusqu’à un certain seuil n’incite pas à l’activité car, en-dessous de ce seuil, tout gain personnel réduit l’aide, l’impôt négatif garantit que le travail soit plus rémunérateur que l’assistance, puisque l’allocation versée baisserait moins vite que les revenus du travail.
Plus récemment, le think tank Génération libre animé par Marc de Basquiat et Gaspard Koenig propose une formule proche dans son rapport sur l’impôt négatif en 2014. L’idée est de créer un revenu de base appelé Liber assurant l’autonomie de chacun sous la forme d’un crédit d’impôt universel. Ce crédit d’impôt, proche du revenu d’existence, s’accompagnerait de la mise en place d’un impôt proportionnel (flat tax) individualisé et prélevé à la source, remplaçant l’impôt actuel sur le revenu et la Contribution sociale généralisée. Ce Liber aurait pour vocation de se substituer aux minima sociaux et à une partie des prestations familiales.
B- L’approche « social-démocrate »
Les partisans de cette approche voient l’allocation universelle à la fois comme un instrument donnant aux individus les moyens de se prendre en charge, et permettant aussi d’inciter au développement d’activités non-marchandes, associatives, culturelles ou citoyennes. C’est la perspective adoptée par la fondation Jean Jaurès (Groupe de travail « revenu universel de la fondation Jean Jaurès, Le revenu de base, de l’utopie à la réalité, mai 2016) qui propose une vision social-démocrate du revenu universel qui entend « assurer à tous les conditions d’une émancipation et d’une vie digne », se différenciant à la fois de la vision libérale évoquée plus haut qui envisage avant tout le revenu de base comme un transfert de responsabilité de l’Etat vers les individus, et de la vision marxiste qui conçoit le revenu de base comme un instrument de sortie du capitalisme productiviste, voire du salariat. Dans la perspective social-démocrate, le revenu de base est un moyen d’assurer la subsistance de chacun, mais également de renforcer le lien social en repensant la place du travail dans nos sociétés pour encourager l’émergence de nouvelles activités, productives ou non. Cette déconnexion du travail et du revenu devrait permettre en effet de favoriser l’engagement associatif et le bénévolat. C’est aussi la position du philosophe Philippe Van Parijs qui ne borne pas la création du revenu de base à la lutte contre la pauvreté monétaire : pour lui, il s’agit de donner aux individus une liberté réelle de choisir un emploi permettant leur épanouissement. Pour d’autres auteurs, plus proches du marxisme, le revenu de base s’inscrit même dans une perspective de décroissance économique, c’est-à-dire de réduction de l’activité productive et de la consommation, en permettant de mieux partager le travail et de valoriser d’autres formes de participation à la vie sociale.
Conclusion
Le revenu universel, si on cherche à dépasser ses différentes versions qui expriment des clivages idéologiques persistants dans la société française, est une réponse intéressante face à la persistance de la pauvreté et de phénomènes de trappes à inactivité. Néanmoins, l’ambition universaliste qui le caractérise exige que l’on porte un soin attentif à l’examen de son coût et de son financement. En ce qui concerne son coût, si on retient les principales propositions allant de 500 euros à 1000 euros par mois, on estime que l’ introduction d’un revenu de base représente un budget compris entre 300 et 700 milliards par an, coût qui pourrait toutefois être réduit si le revenu de base vient se substituer aux prestations sociales existantes (différents minima sociaux, aides au logement, prestations familiales,…). Au niveau du financement, le Rapport d’information du Sénat sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France (octobre 2016) attire l’attention sur le fait qu’un tel budget nécessite de trouver des sources de financement nouvelles. Si le financement par la création monétaire n’est pas souhaitable, et si le financement par l’endettement n’est pas réaliste, il ne reste plus que le financement par l’impôt, qui n’est pas possible en l’état actuel des choses, et qui impliquerait donc nécessairement une vaste réforme fiscale.