Les performances françaises à l’exportation : euro trop fort ou insuffisante compétitivité ?
Depuis 2004, le solde de la balance courante française (qui mesure le flux de biens et de services entre la France et le reste du monde) est déficitaire. En 2009, ce déficit s’élevait à 42,1 milliards d’euros selon les chiffres de l’INSEE. Pour expliquer ces résultats décevants, certains ont mis en cause un euro trop fort, qui rendrait « artificiellement » les produits français plus chers sur le marché international, dégradant ainsi leur compétitivité-prix. Cependant, cet argument est vite apparu peu convaincant en raison des excellentes performances de l’Allemagne à l’international – celle-ci affichant, depuis le début de l’année, un excédent extérieur de 156 milliards d’euros.
Afin de trouver une explication plus satisfaisante, certains ont émis l’hypothèse selon laquelle la piètre performance des entreprises françaises à l’international s’expliquerait par un manque de compétitivité de celles-ci, tant en termes de prix qu’en termes de qualité des produits. Ces performances à l’exportation insuffisantes tiendraient d’une part à la trop petite taille des entreprises (qui ferait obstacle à la réalisation d’économies d’échelle suffisantes pour leur permettre de réduire significativement leurs coûts de production et ainsi proposer des prix aussi attractifs que leurs concurrents étrangers) et d’autre part à un manque de coopération entre les entreprises, les universités et les centres de recherches, qui empêcherait l’émergence d’innovations majeures (création d’un nouveau produit) ou incrémentales (amélioration de la qualité d’un produit déjà existant).
La nécessité de créer des « grappes industrielles »
Il existe, du reste, plusieurs analyses dans la littérature économique qui montrent que ces deux facteurs (taille et coopération), en créant des « grappes industrielles », permettent effectivement d’améliorer les performances économiques à l’international, notamment grâce aux externalités positives qu’ils créent. Ces « grappes » permettent ainsi d’accéder plus rapidement et à moindre coût à une plus grande quantité d’informations. En outre, une agglomération géographique d’entreprises issues du même secteur d’activité participe au maintien d’une concurrence parfaite.
En effet, Paul Krugman (prix Nobel d'économie 2008) a mis en évidence les avantages des concentrations industrielles grâce à des rendements d'échelle croissants, des coûts de transport réduits et une demande soutenue. La concentration géographique des entreprises d'un secteur d'activité minimise en effet les coûts de transport, les fournisseurs et les clients étant géographiquement proches les uns des autres. Ce phénomène tend en outre à s’auto-entretenir : les fournisseurs et clients s'établissent dans cette zone car les entreprises du secteur y sont installées en masse. Une grappe industrielle tend donc naturellement à croître. Ces grappes favorisent la compétitivité internationale des entreprises qui les composent en réduisant leurs coûts unitaires de production – cette compétitivité se trouvant encore renforcée par le fait qu'il s'agit d'une forme de spécialisation où le premier qui entre sur le marché dispose d’un avantage considérable, dans la mesure où il est le mieux à même de proposer des tarifs plus attractifs. Néanmoins, pour Krugman, les premières concentrations géographiques, telle la Silicon Valley ou la Manufacuring Belt (c'est-à-dire la concentration industrielle au Nord-Est des États-Unis et à l'Est du Midwest à partir de la seconde moitié du 19ème siècle), sont apparu par hasard. Ce sont des « accidents historiques », que certains États souhaitent reproduire en menant une politique volontariste de subventions.
De même, M. Porter (1990) montre que les entreprises qui se situent à proximité d'autres firmes ayant la même activité ou d'institutions avec lesquelles elles sont en relation sont souvent plus efficaces et plus compétitives grâce aux synergies créées par les réseaux et les relations de concurrence et de coopération. D'après F. Pyke et W. Sengenberger (1991), la proximité géographique des entreprises permet une meilleure diffusion des idées et des innovations, ce qui améliore naturellement leur compétitivité.
La politique française des pôles de compétitivité
À la lumière de ces analyses, la France a décidé de mettre en place une politique de pôles de compétitivité. Cette initiative est prise dès 1998, renouvelée en 2005, et prolongée actuellement jusqu’en 2011. Elle se décompose en 2 étapes :
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une première phase de sélection des zones géographiques destinées à accueillir les « pôles », dont la création est proposée conjointement par des entreprises, des centres de recherches et les pouvoirs publics locaux ;
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une deuxième phase au cours de laquelle les entreprises des zones sélectionnées soumettent leurs candidatures aux « pôles » afin de pouvoir bénéficier des subventions. Pour cela, elles doivent justifier d’un projet innovant commun avec au moins une université ou un centre de recherche de la région.
À l’issue de ces sélections, les pouvoirs publics ont pu déterminer trois grandes catégories :
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les pôles « à vocation mondiale » ;
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les pôles « potentiellement à vocation mondiale » ;
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les pôles « à vocation nationale », caractérisés par une plus grande hétérogénéité dans les secteurs d’activités choisis.
Une politique industrielle inefficace ?
Certains mettent en doute la capacité de cette politique publique des « pôles de compétitivité » à améliorer les performances moyennes des entreprises qui les composent. Les reproches majeurs faits à cette politique sont à la fois la faible part des entreprises exportatrices sélectionnées (seules 2 % des entreprises exportatrices en France sont impliquées dans les pôles) et la dispersion des projets adoptés (66 pôles pour 105 projets en 2005, réduit à 71 aujourd’hui). Certains économistes ont même condamné ce type de politique en s’efforçant de démontrer leur inefficacité.
Ainsi, A. Krueger (1990) explique-t-il qu’il existe un « biais identitaire » qui rend inopérant toute intervention des autorités en matière de subventions. Selon lui, on prête ordinairement davantage attention aux personnes que l’on identifie facilement. C’est pourquoi, par exemple, il est plus facile de se sentir proche et d’éprouver de la compassion envers des gens qui ont perdu leur emploi, car ils sont plus visibles, notamment médiatiquement. Il en va de même pour l’État et les entreprises en difficultés. Dès lors, dans le cadre d’une politique de pôles de compétitivité, l’État serait plus enclin à aider les entreprises en difficulté plutôt que de renforcer les capacités d’export d’entreprises déjà performantes.
De même, R. Baldwin et T. Okubo (2006) démontrent qu'une politique industrielle peut se révéler inefficace. Ainsi, par exemple, mener une politique de subventions à destination d’une zone déterminée, quelle que soit l'activité des entreprises, est contre-productif car cette politique encourage l'installation dans la zone subventionnée des entreprises les plus en difficulté, si bien qu'en définitive l'efficacité moyenne des entreprises se détériore au lieu de s'améliorer.
Des résultats plutôt encourageants
Le CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) a donc réalisé une étude statistique afin de mesurer le degré d'efficacité de la politique de pôles de compétitivité menée en France. S'il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences des subventions versées, il est déjà possible d'apporter certaines conclusions concernant les sélections des zones géographiques et des entreprises. Et, sous ce rapport, les résultats du CEPII sont plutôt encourageants.
En effet, tout d'abord, les analyses statistiques prouvent qu'en 2004, les entreprises sélectionnées par la politique industrielle de pôles de compétitivité sont en moyenne plus exportatrices que celles qui appartiennent aux régions exclues du dispositif. Ce résultat est particulièrement significatif pour la première catégorie des pôles – les pôles « à vocation mondiale ». Cette meilleure performance exportatrice s'explique, entre autres, par une meilleure productivité moyenne de ces entreprises.
Toutefois, le CEPII nuance quelque peu ces résultats en montrant que, d'une part, les performances des entreprises sélectionnées sont antérieures à la mise en œuvre de la politique des pôles de compétitivité et que, d'autre part, les entreprises appartenant au pôle « national » semblent dans l'incapacité d'atteindre une dimension internationale. Toutefois, ces dernières sont les seules dont le supplément de performance ne s'explique pas entièrement par leurs caractéristiques individuelles.
En définitive, au vu de ces résultats, le CEPII conclut que cette politique industrielle a le mérite d'avoir permis aux autorités publiques, à travers les deux étapes de sélection, d’identifier les entreprises qui sont, en moyenne, plus efficaces. Or, le but de la politique menée était précisément de subventionner des entreprises déjà performantes pour renforcer encore leur efficacité. Il s'agit d'une véritable politique nationale, et non simplement régionale comme le craignait le CEPII. En ce sens, l'objectif est atteint.
Bibliographie :
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R. Baldwin et T. Okubo, 2006, « Heteregeneous Firms, Agglomeration and Economic Geography », journal of Economic Geography, 6, 323-346.
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A. Krueger, 1990, « Asymmetries in policy between exportable and import competing goods », in The political Economy of international Trade, ed by R. JONES and A.KRUEGER, Basi BLACKWELL.
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P. Krugman, 1991, « Geography and Trade », Gaston Eyskens Lecture Series, Leuven University Press, Leuve et MIT Press.
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M. E. Porter, 1990, « The competitive Advanatge of Nations », Havard Business Review, 68, n°2.
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F. Pyke et W. Sengenberger, 1991, « Small firm industrial districts and local economic regenertion: research and policy issues », Labour and Society 16.