Danone crée ses parts de marché en Chine
1996
Antoine Riboud, dirigeant historique de Danone, cède la direction de l'entreprise à son fils Franck, qui développe une stratégie plus axée sur l'international.
Après plusieurs acquisitions ou entreprises communes sur les marchés émergents (Asie du Sud-Est, Amérique latine, Europe de l'Est), Danone réalise une opération de très grande envergure. Le groupe annonce la prise de contrôle de Hangzhou Wahaha, entreprise fondée en 1987 et qui détient, entre autres, 25 % du marché chinois des boissons lactées et 30 % du marché de l'eau purifiée embouteillée.
Comme la plupart des implantations occidentales en Chine, cette opération se déroule sous la forme d'une entreprise commune. Le fondateur de Wahaha, Zong Qinghou, en détient 49 % et Danone, en association avec la banque d'affaires asiatique Peregrine, 51 %. Toutefois, Zong Qinghou conserve un rôle clef, puisqu'il est PDG de nouvel ensemble. Par ailleurs, il siège au Parlement de la République populaire de Chine. Son épouse est secrétaire générale du Parti communiste de la Province.
Danone accuse un retard conséquent par rapport à son principal concurrent Nestlé, actif depuis plusieurs années en Chine. Les grands noms de l'industrie agroalimentaire américaine (Coca-Cola, Pepsi…) ont également pris position sur ce marché.
1997
La publication des résultats du groupe met en évidence une nette amélioration des résultats à l'international, grâce notamment à la prise de contrôle de Wahaha. Le chiffre d'affaires en Chine est doublé, à 1,4 milliard de francs (environ 200 millions d'euros).
Les premiers doutes sur la solidité du partenariat avec Wahaha apparaissent. Interlocuteur des pouvoirs publics chinois, Zong Qinghou semble défendre davantage ses intérêts propres que ceux de la société conjointe avec Danone.
1998
Afin de consolider ses positions en Chine, Danone prend le contrôle de Health, leader sur le marché chinois de l'eau minérale en bouteille. A la faveur de la crise asiatique, Danone réalise plusieurs acquisitions dans la région, profitant de la fragilisation boursière des entreprises.
A la fin de l'année, les ventes d'eau en bouteille atteignent 600 millions de litres.
1999
Wahaha lance en Chine une boisson au cola.
L'international tire les résultats du groupe Danone. Son chiffre d'affaires en Chine grimpe de 40 % au premier semestre, grâce en particulier au dynamisme de Wahaha. Danone perd toutefois la main pour la reprise de United Biscuits, grande entreprise chinoise rachetée par l'Américain Nabisco.
Les activités de Danone en Chine croissent de 35 %, à plus de 800 millions d'euros de chiffre d'affaires.
2000
Danone acquiert l'entreprise Robust, commercialisant de l'eau en bouteille et des produits lactés. Le groupe français a choisi la complémentarité géographique, Wahaha étant surtout présent dans les campagnes et Robust dans les villes. Avec cette nouvelle acquisition, Danone dépasse le milliard d'euros de chiffre d'affaires en Chine.
2001
Wahaha et Robust se livrent une concurrence acharnée, alors qu'ils appartiennent au même groupe. Danone décide donc de placer les deux entreprises sous une même direction.
2004
Danone réalise 9 % de son chiffre d'affaires en Chine, soit 1,3 milliard d'euros. Il emploie plus de 22 000 personnes dans le pays. Il est leader sur le marché de l'eau en bouteille, dix fois plus gros que la coentreprise Coca Cola-Nestlé. Danone possède 70 usines de production d'eau embouteillée en Chine.
2006
Danone acquiert 22 % des parts de Hui Yuan, leader sur le marché chinois des jus de fruit, en plein essor.
Les ventes de Wahaha augmentent de 35 %, grâce notamment au lancement d'une boisson à base de lait et de jus de fruit vitaminé, dont 300 millions de bouteilles se sont vendues en 2005 en Chine. Fin 2006, Danone et Wahaha ont créé 39 coentreprises, dont le groupe français détient 51 % des parts.
L'action Danone bat des records à la Bourse de Paris. La Chine est devenue le troisième marché mondial de Danone, avec un chiffre d'affaires de 1,4 milliard d'euros.
En fin d'année, toutefois, Danone découvre que Zong Qinghou a mis sur pied un réseau parallèle de fabrication de produits Wahaha, utilisant les mêmes machines que celles du groupe Danone. Ces produits sont distribués directement sur le marché, concurrençant les activités des entreprises communes Danone Wahaha. Un accord est trouvé entre les deux parties pour que ces activités réintègrent le groupe.
Quand le partenaire devient un adversaire
2007
AvrilDébut avril, le ton monte brusquement entre Zong Qinghou et Danone. L'industriel chinois ne se satisfait plus des termes de l'accord conclu en 1996. Il estime en effet que, alors que Danone peut librement croître sur le marché chinois en rachetant d'autres entreprises, lui-même est tenu à une clause de non-concurrence qui l'empêche de développer ses propres activités. Danone, de son côté, souhaite que conformément aux termes du partenariat, Zong Qinghou réintègre dans le groupe Wahaha les sociétés d'embouteillage d'eau travaillant exclusivement pour les entreprises communes entre les deux partenaires et que soit mis un terme définitif aux activités parallèles concurrençant Wahaha. Mais Zong Qinghou n'a plus du tout l'intention de transiger et dénonce l'accord trouvé à la fin de l'année 1996, pourtant écrit et signé.
Franck Riboud menace Zong Qinghou d'une procédure judiciaire si celui-ci ne respecte pas les termes du partenariat. Mais Zong Qinghou ne se bat pas sur le terrain juridique. Il s'efforce de donner un tour politique à son différend avec Danone, en invoquant la souveraineté chinoise et le patriotisme économique. Il compare l'attitude de Danone à l'invasion de son pays par les huit alliances étrangères, faisant référence à une intervention militaire occidentale en Chine en 1900.
Dans une interview aux Echos, fin avril, Franck Riboud estime que le différend sera réglé au mois de juillet. Interrogé sur l'impact de cette affaire sur le développement du groupe à l'international, il affirme que « les risques inhérents aux pays émergents sont une réalité. La meilleure solution consiste à répartir les risques entre plusieurs pays. Aujourd'hui, c'est la Chine qui pose problème. Il y a cinq ans, c'était l'Argentine, où nous réalisons depuis deux ans des résultats extraordinaires ».
Danone engage une action en justice en Chine contre Zong Qinghou. Celui-ci mène dans son pays une intense campagne de communication, rencontrant un certain écho auprès de la population.
Les autorités chinoises s'étaient jusqu'ici tenues en retrait du litige entre les deux partenaires, souhaitant officiellement qu'un accord soit trouvé et réaffirmant la suprématie du droit. Toutefois, le 30 mai, les autorités sanitaires annoncent qu'un taux anormalement élevé de bactéries a été décelé dans un lot de bouteilles d'Evian (marque du groupe Danone) importées. Ces informations avaient été diffusées les jours d'avant dans la presse locale, alimentant la rumeur et contribuant à dégrader l'image de la marque auprès des consommateurs. Une campagne similaire avait été menée quelques mois plus tôt contre un grand fabricant de produits de beauté, accusé de mettre en péril la santé des clientes. Accusations sans fondements, mais qui avaient conduit l'industriel à quitter le pays.
Danone dépose une autre plainte, aux Etats-Unis, contre des sociétés américaines mais domiciliées aux Iles Vierges, ayant coopéré avec Zong Qinghou pour mettre au point son réseau parallèle à Wahaha. L'homme d'affaires déclare que Danone doit quitter la Chine. Zong Qinghou est remplacé par Emmanuel Faber à la tête de la structure chinoise de Danone. Emmanuel Faber était jusqu'alors directeur Asie-Pacifique de Danone et vice-président de Wahaha. Mais les partenaires chinois refusent cette nomination, que Danone retire finalement plutôt que de risquer un nouveau conflit.
De plus, la législation chinoise complique la donne pour le groupe français, qui ne peut exercer ses pouvoirs de direction sur Wahaha sans l'accord de l'actionnaire minoritaire local. Celui-ci accentue sa pression sur Danone, organisant des manifestations de salariés en sa faveur.
Wahaha annonce le lancement d'une boisson à base de thé sans la participation de Danone. Une décision qui revient à mettre en concurrence directe le groupe Danone et l'une de ses filiales !
Fin juin, rien n'est tranché. Plusieurs procédures judiciaires et d'arbitrage sont en cours. La rupture est consommée entre les deux partenaires. Zong Qinghou annonce qu'il lance une procédure judiciaire contre Danone, lui réclamant entre 2 et 5 milliards d'euros au titre d'activités illégales. Plusieurs directeurs d'usines chinoises du groupe font part de leur solidarité avec Zong Qinghou et menacent les cadres européens, dont certains se déplacent désormais avec des gardes du corps.
Lors d'une rencontre avec des dirigeants chinois, le commissaire européen en charge du Commerce extérieur Peter Mandelson menace la Chine de représailles commerciales en cas de tentations protectionnistes trop marquées.
L'ambassadeur de France en Chine intervient dans le dossier, rendant publics les contacts répétés qu'il entretient avec les autorités chinoises sur ce dossier. Danone, de son côté, entame une procédure judiciaire plus ambitieuse, estimant le manque à gagner à 25 millions d'euros. Le chiffre d'affaires de Wahaha, qui connaissait jusqu'à présent une croissance à deux chiffres, n'est plus en hausse que de 8 % au premier semestre. Ce litige est d'autant plus stratégique que Franck Riboud annonce un « nouveau Danone », abandonnant l'activité biscuits et se recentrant sur les produits laitiers et l'eau.
Conclusion
Le différend entre Danone et Zong Qinghou est loin d'être résolu. L'aboutissement des actions judiciaires engagées par les deux parties dépendra largement du bon vouloir des autorités chinoises, dont le comportement sera très observé dans les prochaines semaines, tant les déboires de Danone en Chine ont marqué les esprits occidentaux.
Donneront-elles tort à Danone ? Cette option porterait la marque d'un patriotisme économique des plus virulents. Elle enverrait à l'ensemble des investisseurs occidentaux un message clair : le gouvernement chinois privilégiera toujours ses entreprises sur les groupes étrangers. A l'inverse, si elles soutenaient Danone dans cette affaire, elles seraient perçues positivement par les milieux d'affaires internationaux mais se heurteraient à l'incompréhension de la population, de plus en plus exigeante en matière de patriotisme économique et de défense des intérêts chinois.
Quelle que soit l'issue de ce litige, il illustre également les aléas de la mondialisation. A l'heure où la Chine apparaît comme l'eldorado pour de nombreuses entreprises occidentales à la recherche d'un second souffle, l'affaire Wahaha illustre les risques inhérents aux pays en développement. La force du lien contractuel dépend largement de la volonté des autorités nationales de le faire appliquer. Et il n'est pas rare que les partenaires locaux utilisent à leur profit le savoir-faire apporté par les investisseurs occidentaux, contre l'esprit des clauses de partenariat.
Synthèse réalisée à partir des archives des Echos et du Monde.