L'ouvrage
Dans cet essai consacré au marché du travail, Bruno Coquet s’attaque aux limites du modèle français qui « incline à administrer l’économie plutôt qu’à encadrer son évolution ». Il dresse un constat sévère de notre politique de l’emploi, particulièrement instable, et où les dispositifs de politique publique s’empilent sans que l’on puisse réellement discerner de cohérence globale : dans ces conditions, les résultats engrangés s’avèrent particulièrement médiocres, avec à la clé la persistance d’un chômage de masse et une croissance « molle ». Les dispositifs de la politique de l’emploi actuels fabriquent de nouvelles inégalités, sans que les moyens engagés ne puissent véritablement améliorer le bien-être des Français. Les objectifs à atteindre sont connus : incitation à l’activité, hausse des taux d’emploi, baisse du coût du travail, salaires attractifs, redressement des comptes de la protection sociale. Pour les atteindre, Bruno Coquet écarte l’hypothèse d’un « ouragan libéral » qui ferait table rase de cet « agglomérat soviétique », mais il plaide pour une feuille de route appuyée sur trois principes : la désescalade, l’équité, et la clarté. La désescalade pour réduire le stock de dispositifs existants (en « déplaçant les bonnes clés de voûte »), l’équité au nom du droit commun et la justice sociale (et fiscale), et enfin la clarté pour donner des signaux simples et clairs aux acteurs économiques. Selon l’auteur, « le monde est le même pour tous », et la France ne peut se retrancher derrière l’excuse commode des « contraintes » de la mondialisation et du changement technologique, ou rejeter la faute sur l’Union européenne et le cadre institutionnel de la zone euro. Les performances particulièrement mauvaises de la France en matière d’emploi sont avant tout endogènes, de notre responsabilité. La grande majorité des économistes et des institutions internationales font le même constat sur l’impasse de notre modèle social : le coût du travail est trop élevé (notamment au voisinage du SMIC), les institutions du marché du travail sont rigides et inefficaces (code du travail, assurance chômage, formation professionnelle) et n’incitent pas à l’emploi, les individus les plus fragiles sont marginalisés sur un marché du travail segmenté, la protection sociale trop généreuse réduit l’incitation à l’emploi, la formation des actifs est inefficace et inadaptée. La piste est bien balisée pour mener les réformes, et les solutions sont connues, mais les résistances sociales restent fortes : le tout dans un cadre extrêmement coûteux pour les finances publiques, soit la bagatelle de 10% du PIB ! Face à ce manque criant de résultats, les décideurs publics réagissent en créant de nouveaux dispositifs…puis leur échec justifie une nouvelle couche de réglementations portées par les administrations compétentes : une véritable addiction bureaucratique selon l’auteur dont il est urgent de sortir. « A l’avenir une chose est sûre on ne peut pas faire plus de lois, il faudra en faire de meilleures. On ne peut pas dépenser plus d’argent, il faudra en dépenser moins et mieux. Il faudra même trouver les moyens de faire tout cela à la fois ».
Les chantiers de la réforme
Bruno Coquet défend l’idée que la réforme du marché du travail, indispensable, est souvent pensée exclusivement pour le secteur privé, alors qu’il faut y inclure le secteur public également (privé et public doivent être traités sur un pied d’égalité). Vu la taille du secteur public en France, largement supérieure à celle de nombreux pays de l’OCDE, il n’est pas raisonnable d’envisager une politique de l’emploi sans l’englober, alors qu’il présente les mêmes caractéristiques que le secteur de l’emploi marchand : rigidité (complexité des réglementations) et segmentation (précarité des statuts, et bas salaires pour beaucoup). Ne réformer que le marché du travail du secteur privé n’aboutirait qu’à aggraver la segmentation de l’emploi en France, et l’asymétrie entre le secteur public et le secteur privé. Dès lors, pour des raisons d’efficacité autant que d’équité, l’auteur insiste sur la nécessité de réformer également la fonction publique, minée par de profondes inégalités de statuts et des inefficiences qui génèrent des coûts importants pour la collectivité. Son statut pourrait converger selon lui vers celui du secteur privé, avec, pourquoi pas, le maintien de protections et conventions collectives, mais avec à la clé la formation d’un marché unique du travail et un droit du travail égalitaire.
Un lien vers l’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg consacré à l’emploi :
L’autre chantier titanesque est celui de la réduction du coût du travail : puisque la baisse du SMIC est considérée comme inacceptable, la France a fait le choix d’une politique de l’emploi centrée sur la réduction des cotisations sociales et du coin socio-fiscal (la différence entre le coût du travail et le salaire net), afin d’alléger le coût du travail non qualifié. Cette stratégie contribue certes à sauver et créer des emplois, mais à un coût unitaire brut particulièrement élevé pour les finances publiques : de l’ordre de 20 000 à 60 000 euros par emploi créé ou sauvegardé. Pour Bruno Coquet, l’ampleur prise par cette politique, la multiplication des dispositifs et des canaux par lesquels elle agit, obscurcissent deux incitations fondamentales dans une économie de marché : le prix du travail et le prix de la protection sociale. En effet, le soutien aux emplois à bas salaires justifie des transferts sociaux pour compenser la faiblesse des ressources : dès lors, le salaire, une variable clé dans une économie de marché, voit son rôle amoindri, à la fois pour l’employeur (le travail devient un facteur de production bradé) et pour le salarié (qui ne peut espérer vivre dignement de son labeur sans un complément de revenu tiré de la protection sociale). En amoindrissant le rôle du salaire et son sens profond, on dévalorise donc le travail en tant que valeur. L’auteur propose de restaurer la vérité des prix : pour mieux contrôler le coût de la protection sociale et donc le coût du travail, il est indispensable selon lui de clarifier le coût de la protection sociale en responsabilisant les assurés, et il propose en particulier à ce titre la suppression des cotisations à la charge de l’employeur (à salaire net constant) pour clarifier le fonctionnement de notre système social. Le financement de la protection sociale apparaîtrait alors pour ce qu’il devrait être : une cotisation prélevée sur le revenu disponible, plutôt qu’une taxe sur le travail.
Repenser le modèle français
Bruno Coquet vilipende le modèle français qui fait le choix de combiner un salaire minimum élevé et une protection sociale coûteuse financée par une taxation assise sur le travail. En matière de protection sociale, pour discipliner les coûts, il plaide pour davantage de contribution des assurés sociaux et d’individualisation de certains risques sociaux (« c’est la protection sociale qui est coûteuse, pas le travail »).
Bruno Coquet s’attaque aussi aux emplois subventionnés dont on ne peut pas vivre : il souligne qu’« aucune économie, marchande ou administrée, ne peut durablement prospérer ni survivre si l’activité et l’emploi n’y sont pas les options les plus attractives. Cette nécessité économique est aussi sociale, car un modèle qui ne fait pas sens pour chaque individu ne peut pas souder la société ». Puisque la valeur travail est le fondement de la justice sociale, il faut dès lors tout mettre en œuvre pour que le travail paie, et assurer le plein emploi car le chômage est l’ennemi mortel de la cohésion de la société. Or une dynamique bureaucratique mortifère s’est créée au fil du temps : on taxe le travail pour financer la protection sociale, et on exonère de charges sociales ensuite pour réduire… le coût du travail (« quand une politique puise sa raison d’être dans la défaillance d’une autre politique, c’est que quelque chose doit vraiment changer »). Quand il y a dans un pays près de deux millions de travailleurs pauvres, c’est que le salaire ne permet pas de vivre dignement : une tel modèle économique qui frappe autant de personnes n’est pas viable à long terme. L’Etat tente bien de compenser ces très bas salaires par des politiques de redistribution complexes (comme la prime d’activité), mais c’est bien un dysfonctionnement global de notre système économique et de notre stratégie pour l’emploi qui est en cause : une économie administrée à grande échelle qui ne permet plus de colmater les brèches (aides aux employeurs, aides aux salariés, aides aux ménages, impôts en tout genre). Bruno Coquet préconise de « remettre l’économie sur ses pieds » : influer sur la distribution de la richesse produite (plus que sur le redistribution ex post ; garantir un paiement du travail à sa valeur pour offrir un niveau de vie décent aux salariés ; opérer une simplification des interventions avec des incitations claires ; une mise en cohérence de la production de richesses, de la politique de redistribution et du financement de la protection sociale afin de réduire les coûts de notre système social qui aggrave l’endettement public au détriment des générations futures.
Un lien vers une VIDEO : trois questions à André Zylberberg
Des dossiers en lien avec l’emploi : logement, assurance chômage, formation
Comme le rappelle Bruno Coquet, le travail doit permettre de couvrir les besoins essentiels de la population : se nourrir, se vêtir et se loger. Le logement est ainsi une lourde charge pour le budget des ménages français, et parfois travailler ne garantit même plus de pouvoir y accéder. Or la segmentation du marché du travail correspond très exactement à la segmentation du marché du logement : le chômage et la précarité de l’emploi, concentrés sur certaines catégories sociales (les jeunes notamment), freinent l’accès à la location et à la propriété. En retour, la précarité du logement peut compromettre l’insertion sur le marché du travail. Dans un contexte de pénurie immobilière, les politiques du logement ne parviennent pas à limiter les effets délétères des dysfonctionnements du marché du travail, qui ne crée pas assez d’emplois et de pouvoir d’achat pour s’acquitter des coûts du logement. A long terme, l’auteur note qu’il n’y a pas d’autres issues que l’augmentation du parc immobilier, qu’il faut stimuler par une hausse du pouvoir d’achat, une hausse des rendements locatifs, un accès facilité au crédit, et la volonté d’étendre l’accès à la propriété. A court terme, on peut imaginer également de mettre en place une assurance des loyers impayés, et de réformer la taxation des biens immobiliers.
En ce qui concerne l’assurance chômage, Bruno Coquet fait un constat sévère : il s’agit d’une institution en faillite. Son coût est beaucoup trop élevé car elle prélève plus de taxes qu’elle ne distribue de prestations d’assurance aux chômeurs. Elle est d’autant plus « généreuse » qu’elle est la plus chère du monde. En effet, le niveau des prestations versées est dans la moyenne de l’OCDE, alors que notre assurance chômage est environ deux fois plus chère qu’ailleurs. Mal gérée, elle n’est pas suffisamment réactive : elle doit être refondée totalement sur des bases saines (rendue obligatoire et universelle) selon l’auteur : sa réforme pourrait faire baisser le coût du travail de trois points ! Comme pistes de réformes, il propose : un taux de remplacement unique basé sur le salaire net ; une taxation des employeurs en fonction du coût de leurs comportements (en abaissant la taxe de droits communs sur les contrats longs et en la relevant sur les contrats courts) ; une durée potentielle des droits adaptée à la durée du chômage ; des comptes individuels obligatoires pour les chômeurs.
Un lien vers un ouvrage sur l’assurance chômage :
Un redoutable chantier qu’évoque enfin Bruno Coquet est celui de la formation professionnelle : là aussi les coûts sont élevés pour les finances publiques, les besoins sont mal identifiés (ceux qui en ont le plus besoin n’en bénéficient pas vraiment), et il faut réorienter notre stratégie vers les chômeurs et l’apprentissage selon lui. La priorité devrait aller vers la qualité des formations et un ciblage là où les pénuries de qualifications sont immédiates, avérées et durables. Il propose même d’envisager un moratoire sur les dépenses de formation (hors apprentissage, alternance et formation des chômeurs) pour évaluer les économies budgétaires que l’on pourrait réaliser.
In fine, Bruno Coquet milite donc dans cet ouvrage pour une ambitieuse (et urgente) refonte de notre politique de l’emploi qui doit devenir une véritable politique économique de mobilisation du facteur travail et de développement du capital humain.
Quatrième de couverture
Contre le chômage, on a tout essayé ? Non, répond Bruno Coquet, car si on a multiplié les dispositifs coûteux, notamment pour alléger les cotisations sociales, l’emploi reste en quête d’une vraie stratégie, lisible et efficace. Ce livre bat en brèche le consensus qui règne sur le sujet. À force de se focaliser sur les rigidités du marché du travail et sur son coût, on oublie de poser des questions simples : pourquoi les tentatives de réforme ne concernent-elles jamais le secteur public ? Est-ce le travail qui est trop cher ou la protection sociale ? Pourquoi subventionner des emplois qui ne permettent même pas d’en vivre ? Bruno Coquet ne se contente pas de dénoncer quarante ans d’échecs en matière d’emploi. Il montre que des solutions sont possibles si l’on veut bien faire prévaloir les principes d’équité et de clarté, qui seuls permettront d’élargir le soutien dont la réforme a tant besoin. Bruno Coquet est docteur en économie, reconnu comme l’un des meilleurs experts français des politiques du marché du travail et de l’assurance-chômage. Intervenant auprès de l’Institut de l’entreprise et de l’OFCE, il a été président du comité de l’emploi (EMCO) du Conseil de l’Union européenne.
L’auteur
Bruno Coquet est docteur en économie, reconnu comme l’un des meilleurs experts français des politiques du marché du travail et de l’assurance-chômage. Intervenant auprès de l’Institut de l’entreprise et de l’OFCE, il a été président du comité de l’emploi (EMCO) du Conseil de l’Union européenne.