Dans leur dernier ouvrage, Marie-Paule Virard et Patrick Artus s’interrogent sur la politique économique la plus pertinente à mener pour préserver le pouvoir d’achat des Français face à l’accélération de l’inflation.
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Introduction
Dans leur dernier ouvrage, Marie-Paule Virard et Patrick Artus s’interrogent sur la politique économique la plus pertinente à mener pour préserver le pouvoir d’achat des Français face à l’accélération de l’inflation. Dans un contexte de fragilités structurelles persistantes de l’économie française, de crise du système éducatif et de désindustrialisation accélérée que le pays a connu depuis les années 1980, qui maintiennent la croissance potentielle à un niveau faible, la volonté politique devra être sans faille. Car si les salaires en France, contrairement aux États-Unis, ont progressé à peu près au même rythme que la productivité sur le long terme (« il n’y a pas eu en France au cours des vingt dernières années de déformation du partage des revenus au détriment des salariés »), il est urgent pour Marie-Paule Virard et Patrick Artus de bien cibler l’action publique sur l’objectif de réduction des inégalités. Et notamment de bien calibrer la politique du marché du travail, pour aider en particulier les jeunes sans qualification ni emploi, les chômeurs et les séniors.
Selon eux, la politique économique et sociale du prochain quinquennat du Président et de la prochaine Assemblée, devrait viser six objectifs :
- L’augmentation du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes ;
- La réduction des inégalités de patrimoine qui ne cessent d’augmenter en raison de la hausse du prix des actifs (en particulier des actifs immobiliers) ;
- L’investissement dans la transition énergétique ;
- La modernisation et la digitalisation des entreprises ;
- La préservation de la solvabilité de l’État et la soutenabilité de la dette publique (avec la réduction du déficit structurel et une meilleure efficacité de la dépense publique pour ne pas durablement « organiser un transfert de revenu du futur vers le présent ») ;
- L’amélioration de la qualité de l’éducation et des compétences ;
Mais l’enjeu crucial est bien celui de l’école : « cette bataille de l’éducation et des compétences conditionne tout », c’est « une priorité qui nous semble être au cœur de la bataille pour la prospérité économique de notre pays ».
En effet, pour Marie-Paule Virard et Patrick Artus, le redressement éducatif est la mère des batailles car il détermine à la fois la lutte contre les bas salaires et les emplois de qualité médiocre, mais aussi la réindustrialisation, la hausse de la production et des niveaux de vie, ainsi que l’innovation. Mais cet effort éducatif de la nation qu’ils appellent de leurs vœux n’est pas seulement un enjeu économique : il est lié à « la capacité de nos concitoyens à vivre ensemble et à faire vivre le débat démocratique ».
Lire le cours de terminale en spécialité SES sur le thème de l’École :
Substituer la redistribution privée à la redistribution publique
Pour mieux répartir les fruits de la croissance et lutter contre les inégalités, et pour conjurer le sentiment de déclassement et de paupérisation croissante des Français, Marie-Paule Virard et Patrick Artus proposent un changement radical de conception de la redistribution, car « d’une manière générale, le modèle de redistribution qui est le nôtre depuis des décennies touche ses limites compte tenu de l’état des finances publiques ».
Il s’agit de réfléchir aux vertus d’une redistribution ex ante plutôt qu’ex post : pour soulager nos finances publiques exsangues, il faudrait agir par les salaires et les prix afin d’empêcher les inégalités primaires d’apparaître, plutôt que de mobiliser a posteriori la redistribution publique (par les transferts sociaux et la fiscalité déjà à un niveau très élevé en France). Plutôt que d’indemniser ex post, il conviendrait de mobiliser les partenaires sociaux pour ajuster, autant que faire se peut, les salaires à l’inflation.
Mais Marie-Paule Virard et Patrick Artus mettent en garde contre les effets délétères d’une politique incontrôlée de hausse générale des salaires, pour au moins trois raisons :
- Comme nous l’avons vu, il n’y a pas eu de déformation du partage des revenus au détriment des salaires en France sur le long terme ;
- La hausse des salaires, si elle n’est pas maîtrisée, pourrait bien réamorcer une spirale inflationniste (la boucle prix-salaires) encore plus préoccupante ;
- La hausse des salaires pourrait comprimer les marges des entreprises et obérer leurs capacités financières pour réaliser les énormes investissements nécessaires (dans le digital, la transition énergétique, etc.) ;
Lire le cours de CPGE sur les acteurs et les grandes fonctions de l’économie :
Néanmoins c’est sur les bas salaires que l’effort doit porter en priorité : a fortiori dans les services où les pénuries de main-d’œuvre et les difficultés de recrutement deviennent très problématiques, en raison aussi de la faiblesse des rémunérations (personnel de santé, aides à domicile, hôtellerie-restauration, distribution, construction, transports…) Une hausse des salaires dans ces secteurs ne poserait d’ailleurs guère de problème, puisqu’ils ne sont pas directement exposés à la concurrence internationale, et elle n’affecterait pas la compétitivité-coût des industries manufacturières. La méthode passerait par des accords de branche, et l’objectif devrait viser une hausse significative des bas salaires pour créer un choc de pouvoir d’achat. Mais si cette hausse des salaires est répercutée sur le prix de certains biens et services, il faudra bien que les consommateurs qui disposent d’un pouvoir d’achat acceptent de payer (un peu) plus cher. Ainsi, la solidarité privée (une taxe inflationniste en quelque sorte) viendrait se substituer à la solidarité publique (les transferts sociaux). En quelque sorte, « le consommateur prendrait le relais du contribuable » et cette taxation des entreprises et des consommateurs permettrait de financer une revalorisation urgente des bas salaires pour corriger les inégalités les plus criantes. La contrepartie de cette solidarité privée serait une diminution du fardeau fiscal pour les ménages et les entreprises.
Bienvenue dans l’économie de spéculation
Dans d’autres ouvrages, Marie-Paule Virard et Patrick Artus ont montré les effets favorables des politiques monétaires expansionnistes sur l’emploi et la croissance à court terme, mais ils ont pointé également leurs effets délétères. Si la relance monétaire permet aux États d’augmenter leurs dépenses publiques, en particulier tournées vers des investissements publics qui soutiennent la productivité, le taux d’emploi, donc au total la croissance potentielle, elle peut aussi générer une aggravation des inégalités de patrimoine. La raison en est que ces stratégies des banques centrales, avec la hausse énorme de l’offre de monnaie qui en a résulté, ont alimenté une très forte hausse du prix des actifs, en particulier des prix de l’immobilier, avec à la clé une difficulté plus grande pour les jeunes générations pour accéder au logement. Marie-Paule Virard et Patrick Artus plaident ainsi dans cet ouvrage pour une politique ambitieuse de construction de nouveaux logements, grâce notamment à des incitations fiscales.
Mais surtout, « la pérennisation des politiques monétaires expansionnistes nous a fait entrer dans une économie de spéculation ». Sur de nombreuses classes d’actifs, la spéculation bat son plein : actions, matières premières, immobiliers, cryptomonnaies…Une partie importante de l’épargne est drainée pour acheter des actifs spéculatifs, au détriment de l’accumulation du capital productif et du redressement de la productivité et de la croissance potentielle. Ce phénomène s’accompagne également d’une instabilité financière qui peut avoir des effets très nocifs sur l’activité économique. Le niveaux zéro des taux d’intérêt désavantage les placements peu risqués (livrets d’épargne) des classes moyennes et populaires, et donne une prime aux placements plus spéculatifs et sophistiqués des catégories favorisées.
Écouter le décryptage du sujet ESCP-SKEMA de 2021 « Un monde sans inflation » par Patrick Artus :
L’éducation : la clé de voûte
Marie-Paule Virard et Patrick Artus placent dans cet ouvrage la question de l’éducation au cœur de leurs préoccupations, car « quelle que soit la population testée, toutes les enquêtes internationales traduisent la poursuite de la dégradation du système éducatif ». De nombreuses études disponibles montrent en effet que le niveau de connaissances des jeunes français(e)s se dégrade depuis plus de vingt ans, particulièrement en mathématiques. La France se « distingue » aussi par un niveau élevé de NEET (neither in education nor in employment of training), soit plus de 16% d’une génération dans notre pays selon les chiffres 2020 de l’OCDE, contre 9,5% pour les jeunes Allemands… L’effort d’éducation et en matière de compétences, est indispensable à la modernisation de l’appareil productif et à la réindustrialisation de nos territoires, et c’est un levier pour améliorer la qualité de l’emploi et lutter contre la bipolarisation du marché du travail. Face à des concurrents qui sont pour l’essentiel des pays à coûts salariaux, compétences et niveaux de gamme élevés, « la politique économique la plus efficace pour la France doit s’organiser autour de la créativité, de l’innovation, de la robotisation donc des compétences (…) toutes évolutions indispensables à l’amélioration de la croissance potentielle ».
Marie-Paule Virard et Patrick Artus proposent ainsi dans cet ouvrage plusieurs pistes :
- Produire un effort conséquent sur la formation des jeunes sans emploi ni en formation ni en études (NEET), notamment par un rapprochement plus grand entre le lycée et l’entreprise ;
- Augmenter massivement le nombre de jeunes en apprentissage (il est de 1,4 million en Allemagne contre 675 000 en France) ;
- Faire de la formation des chômeurs une priorité : l’accompagnement des chômeurs est en effet un facteur décisif de retour à l’emploi et de baisse du chômage ;
- Accélérer sur la formation professionnalisante dans les TPE/PME, aujourd’hui toujours plutôt orientée en France vers les grandes entreprises ;
- Promouvoir les études en mathématiques et en sciences ;
- Organiser efficacement la reconversion des salariés dont les emplois sont menacés par la modification de la structure des emplois ;
Marie-Paule Virard et Patrick Artus appellent aussi de leurs vœu une transition énergétique qui s’accompagne d’une réelle redistribution vers les plus fragiles : le coût de l’inaction en matière climatique va devenir prohibitif, et il est fondamental « de passer d’une économie fondée sur la création de richesses (le PIB) à une économie orientée davantage sur la quête du bien-être en internalisant les externalités négatives associées à la production ». Mais face à l’urgence écologique, il faudra veiller à compenser pour les plus bas revenus la hausse des prix de l’énergie, qui s’annonce massive (en aidant prioritairement ceux qui sont forcés d’utiliser leur voiture notamment).
Face à l’urgence écologique, Marie-Paule Virard et Patrick Artus considèrent qu’il faudra également renoncer à la baisse de la taxation du revenu du capital mise en place au cours des dernières années, relocaliser la production des équipements nécessaires, et renforcer le marché européen du carbone (Emissions Trading System, ETS) pour faire remonter le prix de la tonne de CO2 et inciter les industriels à faire leur transition.
Enfin, Marie-Paule Virard et Patrick Artus militent pour une ambitieuse transformation du modèle de capitalisme actuel, afin de favoriser le développement des actionnaires dont les exigences de rentabilité sont plus mesurées, pour que l’allocation de l’épargne soit davantage orientée vers l’investissement productif et la satisfaction des besoins énormes dans les domaines de la transition écologique et de la digitalisation, plutôt que vers le rachat d’actions et les placements spéculatifs.
Écouter Patrick Artus sur la transition écologique et le climat :
Quatrième de couverture
Quelles politiques économiques et sociales faut-il mener dans les années qui viennent pour retrouver confiance et foi en l’avenir ?
Patrick Artus et Marie-Paule Virard nous proposent dans ce livre six grandes priorités, du pouvoir d’achat des plus modestes à la modernisation de notre appareil industriel en passant par la transition énergétique.
Le fil rouge de ce livre est l’éducation et la formation pour ceux qui en ont le plus besoin : les jeunes, les chômeurs, les seniors.
Car la bataille de l’éducation et des compétences conditionne tout le reste.
C’est elle qui permettra à la France de redevenir une nation forte et entreprenante.
Les auteurs
Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et conseiller économique de Natixis.
Marie-Paule Virard est journaliste économique.