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L'ouvrage
Sans établir de palmarès hâtif, il est certain que Michelin appartient à cette liste, étroite, des grandes entreprises non seulement connues, mais appréciées des Français. Ce lien particulier tient à l'ancienneté et à la longévité du groupe, dont Pierre-Antoine Donnet retrace les grandes étapes au fil de cet ouvrage. Trois éléments structurent l'histoire de Michelin : l'innovation technologique, dans un univers industriel fortement concurrentiel ; la communication, essentielle pour asseoir la renommée de l'entreprise sans toutefois porter atteinte aux secrets de fabrication ; et enfin le développement international, qui n'allait pas de soi pour une entreprise familiale et attachée aux valeurs sociales de ses fondateurs.
L'innovation est inscrite dans les gènes de Michelin. Lorsque les deux frères André et Edouard reprennent la petite fabrique familiale de caoutchouc en 1889, ils ne tardent pas à comprendre que le pneumatique est promis à un grand avenir, dans un siècle nouveau qui sera marqué par l'essor des transports. Leur première innovation concerne le vélo, avec l'invention d'un pneu démontable, beaucoup plus pratique que les pneus Dunlop, qui nécessitent plusieurs heures de réparation en cas de crevaison. Puis ils se tournent vers l'automobile, avec un premier pneu sorti d'usine en 1895. L'aviation n'échappe pas à la vigilance des deux frères, qui développent également des pneumatiques pour ce tout nouveau mode de transport. Ils travaillent constamment au perfectionnement de leurs technologies. Dès 1905, le pneu pour automobiles est amélioré grâce à une nappe croisée de coton et de caoutchouc, recouverte de cuir et munie de rivets d'acier. L'entre-deux-guerres sera marquée par des innovations majeures, qui augmentent sensiblement la durée de vie du pneu, le confort de l'utilisateur et l'adhérence à la route. L'esprit des deux fondateurs de l'entreprise marquera leurs successeurs. En 1949 est commercialisé le pneu « X », appelé également pneu radial, qui conférera à Michelin une avance technologique durant une bonne dizaine d'années. Cette technologie permet au pneu de résister à l'échauffement, problème majeur des produits alors sur le marché. Peu de temps avant, Michelin avait également réussi le pari de faire rouler trains et métros sur pneumatiques, s'ouvrant ainsi la voie vers un marché considérable. Les innovations sur les vélos, voitures et avions ont été, dès le début, favorisées par l'engagement de Michelin dans les courses sportives. En équipant des véhicules appelés à rouler dans des conditions extrêmes, l'entreprise se donnait ainsi la possibilité de tester la résistance de ses produits et d'élaborer des pneumatiques toujours plus performants. Voulue par André Michelin dès la fin du 19ème siècle, cette participation aux courses sportives fut un temps mise en sommeil, avant de reprendre dans les années 60. Elle ne s'est définitivement arrêtée que très récemment, suite à une décision des autorités sportives d'équiper toutes les voitures de course avec les mêmes produits, par appel d'offres.
Dès le démarrage de l'entreprise, l'engagement dans les courses automobiles présente un intérêt non seulement en termes de technologie, mais aussi de communication. C'est André Michelin qui, dès le début de l'aventure, prend les rênes des relations extérieures de l'entreprise, alors que son frère Edouard se concentre sur l'organisation de l'usine et de la production. André, donc, fait partie de ces pionniers qui imaginèrent le sponsoring des courses, d'abord cyclistes puis automobiles. Dans la droite ligne de cette démarche de communication, il crée les guides Michelin, qui se donnent pour mission d'accompagner le voyageur moderne en lui indiquant tout ce dont il peut avoir besoin, depuis la localisation des bureaux de poste et des stations-service jusqu'à la qualité des hôtels et restaurants, ce dernier aspect ayant fait la gloire des guides Michelin, qui se sont vendus à plusieurs centaines de millions d'exemplaires dans le monde et existent désormais pour les principales destinations touristiques ou d'affaires. L'innovation a d'ailleurs concerné aussi cette activité, puisque, dans le prolongement de l'édition de guides et de cartes routières, Michelin s'est lancé dans les cartes sur Internet, avec le site Viamichelin.com. Mais plus encore que les guides, l'emblème du savoir-faire de Michelin en matière de communication est sans conteste le Bibendum. Dessiné par l'artiste O'Galop, il apparaît pour une première campagne en 1898. Le succès est immédiat. Rapidement, il devient la mascotte de l'entreprise. Dans le monde entier, il est immédiatement associé à la marque Michelin. Son profil et ses attitudes évoluent, mais il demeure, plus de cent ans après, l'une des créations publicitaires les plus connues et les plus anciennes. Les salariés de Michelin sont d'ailleurs fréquemment surnommés les « Bibs », en référence au Bidendum. Toutefois, si la communication s'est toujours concentrée sur la marque et les produits, elle n'a jamais porté sur l'intérieur de l'entreprise. Depuis le départ, Michelin évolue dans un univers fortement concurrentiel, où le processus de fabrication est jalousement gardé. L'entreprise ne s'est dotée que très récemment d'un service de presse professionnalisé, cette mission étant jusqu'alors assurée par les cadres dirigeants de l'entreprise. Cette spécificité explique les ratés de 1999, lorsque Edouard Michelin, fils de François, annonça tout à la fois des bénéfices records et un plan social massif. Toutefois, une part de secret entoure toujours la direction de l'entreprise, qui du fait de sa structure familiale est moins tenue que d'autres aux exigences contemporaines de transparence.
Outre l'innovation et la communication, l'ascension spectaculaire de Michelin s'est assise sur la mondialisation de ses marchés. Dès le début du 20ème siècle, Michelin s'est implanté au Royaume-Uni et en Italie. L'entreprise ouvrit même un premier établissement aux Etats-Unis, qui fut toutefois emporté par la crise de 1929. C'est surtout dans les années 60 que François Michelin, petit-fils d'Edouard, accentua la marche de l'entreprise vers l'international. Depuis son implantation réussie en Asie, dans les années 90, Michelin est présent sur les cinq continents. Cette expansion planétaire a permis à la petite fabrique clermontoise de devenir numéro 1 mondial, place qu'elle a aujourd'hui cédée au groupe Bridgestone. Acquisitions et créations de succursales ont en tout cas hissé Michelin parmi les géants planétaires. Tout le pari des dirigeants successifs de Michelin a été de ne pas diluer l'identité, la culture de l'entreprise au fil de l'internationalisation.
Car l'entreprise Michelin est marquée par trois caractéristiques essentielles, d'ordre géographique, familial et social. Enracinée à Clermont-Ferrand, Michelin partage désormais plus de cent ans d'histoire avec la capitale auvergnate. Pierre-Antoine Donnet souligne l'ampleur des liens qui unissent l'entreprise à la ville. Michelin est désormais l'une des seules entreprises du CAC 40 à ne pas avoir son siège social en Ile-de-France, et ne semble pas sur le point de revenir sur cette particularité. Dès le départ, nous l'avons vu, Michelin est aussi une histoire de famille. Elle l'est restée. On ne saurait évaluer la part du capital social de l'entreprise que détiennent les descendants d'André et d'Edouard Michelin (entre 500 et 600 personnes, selon l'auteur), mais, malgré la cotation de l'entreprise en Bourse, le pouvoir est toujours entre les mains de la famille. Une singularité qui résulte de la forme sociale retenue par les deux frères fondateurs : la société en commandite par actions (SCA). Dans ce type de société (l'autre exemple en France étant Lagardère) coexistent deux catégories d'actionnaires : les commandités n'ont qu'un pouvoir limité, tandis que les commanditaires disposent d'une grande marge de manœuvre, mais sont responsables des dettes de l'entreprise sur leurs biens propres. Cette forme sociale a donc permis à Michelin de trouver sur les marchés financiers les liquidités nécessaires à sa croissance, tout en conservant la très forte dimension familiale de l'entreprise. Michelin, c'est enfin une histoire sociale haute en couleur. Associations sportives, écoles (abandonnées dans les années 60 sur pression du gouvernement), logements… : les prestations offertes aux salariés dépassent largement les obligations de l'employeur. Paternalistes et sociaux, les dirigeants successifs de Michelin se sont toujours montrés soucieux des conditions matérielles d'existence de leurs ouvriers. Une prévenance dans laquelle certains, parmi les plus critiques, voient aussi un moyen de contrôle du patron sur la destinée de ses salariés.
L'aventure Michelin est donc remarquable à plus d'un titre. L'aspect le plus marquant est sans conteste la préservation d'une identité forte, en dépit d'une internationalisation à marche forcée. A l'abri des offres publiques d'achat (OPA) de par sa structure en SCA, Michelin n'en est pas moins confronté à des défis majeurs pour conserver son rang dans les prochaines années. Pierre-Antoine Donnet souligne le virage pris par la maison Michelin depuis l'accession d'Edouard Michelin, à la fin des années 90, aux commandes de l'entreprise, et plus encore depuis celle de Michel Rollier, successeur du jeune PDG disparu prématurément en 2006. Face à la perte de compétitivité de l'entreprise, les dirigeants sont désormais préoccupés par la réduction des coûts de production. Bénéfice net en repli de 35 % entre 2005 et 2006, part de marché mondial en baisse de 2,5 % sur la même période et chiffre d'affaires par salarié de 122 000 euros contre 183 000 pour Bridgestone : les quelques chiffres cités par Pierre-Antoine Donnet attestent de l'ampleur des efforts qui attendent l'entreprise. Ceux-ci ont déjà commencé, notamment par l'aspect le plus douloureux : plusieurs plans sociaux ont touché les sites Michelin ces dernières années, dont celui de Toul (Meurthe-et-Moselle) en 2008. Les performances du groupe se redressent peu à peu. Michelin s'adapte, avec quelques années de décalage, aux mutations du capitalisme, qui renforce ses exigences financières et accroît la concurrence entre acteurs mondiaux. Dans cette course, une histoire ancienne et une identité forte pourraient devenir des atouts et servir de points de repère aux dirigeants comme aux salariés.
L'auteur
Pierre-Antoine Donnet est journaliste à l'Agence France-Presse. Il est l'auteur de plusieurs essais
Table des matières
Introduction
Première partie : Les débuts d'une épopée extraordinaire
- Deux frères audacieux
- Edouard, un meneur d'hommes, et André, un visionnaire
- Le premier pneu démontable
- Des pneus pour autos, une révolution en marche
- Bibendum, la mascotte
- Des guides et des cartes pour le voyageur moderne
- Michelin se donne des ailes
- La culture du secret
- Michelin, pionnier d'une politique sociale
- Le grand saut dans la mondialisation
- Innover pour rester dans la course
- Michelin invente un nouveau pneu, le « X »
- Du jamais-vu, les trains et les métros sur pneus
Deuxième partie : Michelin, numéro un mondial
- Les « valeurs » de Michelin
- Culture d'entreprise ou paternalisme ?
- Les anciens « Bibs » parlent
- Combattre le mythe
- L'illusion d'un humanisme patronal
- Michelin devant les tribunaux
- Dans l'arène mondiale
- A la conquête de l'Amérique
- Les années fastes
- L'Asie, nouvelle terre de conquêtes
- Le retour à la compétition
Troisième partie : Le clan Michelin et l'avenir de la « maison »
- Michelin et Clermont-Ferrand, une histoire d'amour
- Une famille soudée contre les prédateurs
- François Michelin, le patriarche
- Edouard, le dauphin
- Michel Rollier régent, une affaire de famille
- Bibendum se serre la ceinture
- Les grandes manœuvres, un avenir incertain
Conclusion
Bibliographie
Quatrième de couverture
L'entreprise au « Bibendum » est l'une des plus célèbres de France. Fleuron de l'industrie nationale, elle a traversé le XXème siècle, étendant son influence sur les cinq continents, jusqu'à devenir, au début du XXIème siècle, le premier fabricant mondial de pneumatiques. Mais Michelin, c'est aussi et surtout une histoire d'hommes, et d'abord celle des deux frères fondateurs : Edouard, un « meneur d'hommes » sans pareil, et André, un inventeur fécond doublé d'un génie du marketing en avance sur son temps. Puis il y eut François, petit-fils d'Edouard, capitaine au long cours, qui engagea le développement international de la manufacture ; et Edouard, fils de François, qui était le plus jeune patron du CAC 40 quand il se noya, à quarante-deux ans, au large des côtes bretonnes. Cette tragédie a sans doute marqué à jamais la destinée d'une entreprise qui a connu d'autres coups du sort.
Celle-ci a souvent été pionnière, dans la publicité, la technologie, la gouvernance, les guides touristiques. Ses détracteurs voient en elle une entreprise paternaliste ; les autres, un modèle de culture d'entreprise. Pour ne pas être copié, Michelin, il est vrai, a érigé le secret en dogme.
Ce livre retrace les grandes heures d'une saga extraordinaire et d'une épopée industrielle hors du commun. Pour la première fois, une dizaine de ses cadres dirigeants se dévoilent. Ils parlent de leur expérience, de la vie de l'usine, des succès et des échecs, mais aussi de ce qui attend Michelin. Car, à l'heure de la mondialisation, de nouveaux défis s'annoncent. Il en va de la survie même de l'entreprise.