Jusqu'à la rédaction du Code de commerce, publié en 1807, toute tentative visant à distinguer les sociétés de personnes des sociétés de capitaux est vaine. En 1673, par ordonnance, Colbert a créé les sociétés générales qui vont coexister pendant tout le XVIIIe siècle avec les commandites et des sociétés dites « anonymes », mais qui sont en fait une cote mal taillée entre les commandites et les sociétés de capitaux. Ces dernières peuvent être assimilées à bien des égards aux sociétés en participation.
L'article 20 du Code de commerce de 1807 est le premier texte qui institue une pure société de capitaux. « La société par action est anonyme. Elle n'est connue que par une qualification relative à son objet... » Ainsi, la société anonyme (SA) fait-elle son entrée dans le droit positif, assortie d'une prohibition générale. Les juristes de l'Empire, en lui conférant un statut, s'empressent aussitôt de lui interdire de porter le nom de ses principaux associés. Toute dénomination sociale mettant en avant les dirigeants d'une entreprise, avec toute la confiance attachée à leur nom, doit rester l'apanage des sociétés de personnes. Et pour cause : leurs associés répondent sur leurs biens des dettes, du passif, voire de la faillite de leur entreprise. Ceux des sociétés anonymes sont au contraire beaucoup moins exposés puisqu'ils « ne sont tenus que de la perte du montant de leurs actions ».
Nées au tournant des XIVe et XVe siècles dans le sillage commercial des grandes découvertes, bénéficiant dans toute l'Europe de privilèges, les sociétés par actions restent encore peu nombreuses au tournant du XIXe. Si le Code de commerce de 1807 s'y intéresse, c'est parce que quelques-unes d'entre elles ont été au centre de controverses pendant la Première République, certaines ayant été accusées d'avoir fait le jeu du roi. Leur faillite a également éclaboussé des dignitaires. Regnault Saint-Angely, rapporteur de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat saisi du projet de Code de commerce indique de la sorte que « trop souvent des associations mal combinées dans leur origine ou mal gérées ont compromis la fortune de leurs actionnaires et des administrateurs, altéré momentanément le crédit général, mis en péril la tranquillité publique ».
Pendant la phase de consultation sur le projet de loi de 1807, les juristes se focaliseront sur la nécessité de l'autorisation gouvernementale qui constitue un frein au développement de ces « merveilleux instruments du capitalisme moderne », selon la formule du doyen Ripert. Il faudra attendre encore près d'un demi-siècle, pour que ce verrou saute, en 1867, dans la grande loi exclusivement consacrée aux sociétés anonymes. Le contrat de société, la personnalité morale, l'organisation des pouvoirs des organes souverains _ assemblée générale et conseil d'administration _ de la société y seront cette fois largement détaillés. Et le texte régira la matière jusqu'à ce que la loi de 1966 institutionnalise les SA en les faisant naître lors de leur inscription au greffe des tribunaux de commerce, reléguant au second plan « l'affectio societatis », le contrat de société, qui prévalait jusqu'à cette réforme.
Source : Christophe Tricaud, Les Echos, 1999.
Questions
1. En quoi la société de personnes se distingue-t-elle de la société de capitaux ?
2. En quoi les sociétés anonymes ont-t-elles favorisé le développement du capitalisme industriel ?
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1. En quoi la société de personnes se distingue-t-elle de la société de capitaux ?
Les sociétés de personnes désignent les sociétés pour lesquelles le bénéfice est imposé directement entre les mains des associés, proportionnellement aux droits possédés par ces derniers.
Dans une société de capitaux, on parle plutôt de parts sociales (et d’actions). En effet, dans cette catégorie, c’est la participation financière de l’actionnaire qui importe. Il peut d’ailleurs arriver que deux associés d’une même société de capitaux ne se connaissent pas. L’élément décisif est ici l’apport qu’ils font au capital social.
2. En quoi les sociétés anonymes ont-t-elles favorisé le développement du capitalisme industriel ?
La société anonyme a permis des apports financiers importants par des agents à capacité de financement pour les grandes entreprises qui ont eu ensuite la possibilité d’investir et de développer leurs activités en levant des capitaux.