Dissertation

Facile

Sujet : La variété des engagements politiques est-elle la seule explication à la différenciation des répertoires contemporains de l’action collective ?

 

Document 1

A travers cette interrogation, il s’agit de contribuer à une question centrale des sciences sociales et de la science politique en particulier : l’obéissance à une institution « librement choisie ». (…) On peut s’interroger sur les propriétés sociales, formes de socialisation ou encore trajectoires biographiques qui disposent – ou non – les individus à se conformer aux attentes des institutions partisanes. Les recherches sur les militants écologistes français ont par exemple montré combien les adhérents des Verts étaient enclins à la critique, voire à l’indiscipline vis-à-vis de leur parti en raison de leurs socialisations et trajectoires antérieures. De même, les travaux sur le PCF suggèrent-ils fréquemment que la culture ouvrière a favorisé l’acceptation de la discipline partisane du Parti.

Plusieurs contributions étayent cette hypothèse. Dans son étude sur les militants des organisations d’Alleanza Nazionale en Italie, Stéphanie Déchézelles (…) souligne que la « discipline partisane interne semble correspondre à de larges égards à l’éducation et aux règles connexes auxquelles les jeunes ont été exposés dans les phases et instances de la socialisation primaire : respect des aînés, sanctions en cas de manquements aux règles de la communauté des semblables, stricte présentation de soi ». (…)

Plus largement, on peut considérer que ce qui a prédisposé à l’adhésion favorise ensuite la discipline, si bien que le respect des prescriptions partisanes peut être vécu moins comme une contrainte que comme le corollaire de l’engagement.

Source : Amin Allal, Nicolas Bué, « Les partis se tiennent par leurs noyaux durs ? Jalons pour une analyse du lien partisan » in Indisciplines partisanes. Comment les partis politiques tiennent leurs militants (A. Allal, N. Bué dir., Septentrion Presses universitaires, 2016, pp. 13,30-31)

 

Document 2

Les jeunes des quartiers « qui ne se mobilisent jamais », des personnalités « qu’on n’avait jamais vues avant », des « gilets jaunes » « qui n’imaginaient pas avoir des points communs avec cette lutte », des lycéens militants du climat « qui veulent que le monde change », des Blancs plus aisés aussi « qui commencent à comprendre qu’ils ont leur part dans ce combat ». Ils étaient tous là, le mardi 2 juin, devant le tribunal judiciaire de Paris, pour faire entendre leur voix et leur colère face aux violences policières, à l’appel du comité La Vérité pour Adama, ce jeune homme de 24 ans mort sur le sol de la caserne de Persan (Val-d’Oise) en juillet 2016, après une interpellation musclée par les gendarmes. 20 000, selon la Préfecture de police, au moins 60 000, selon les organisateurs.

Sa sœur, Assa Traoré, ne s’y attendait pas. Ni les militants aguerris qui l’entourent.« Cette mobilisation marque une rupture générationnelle, analyse Almamy Kanouté, du comité Adama. Ils sont jeunes, voire très jeunes. » Personne n’avait vu venir l’ampleur de la mobilisation, qui s’est poursuivie ce week-end dans plusieurs villes de France. Un peu plus de 23000 personnes au total se sont rassemblées à Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux.

Source : Abel Mestre et Louise Couvelaire, Comment le comité Adama a réussi une mobilisation surprise contre les violences policières, Le Monde, 8 juin 2020

 

Document 3

La consommation engagée possède une histoire assez ancienne, qui trouve ses racines dans le développement des sociétés de consommateurs dès la fin du XVIIIe siècle. Les mobilisations de consommateurs ont toujours été un moyen de contestation politique, qu’il s’agisse d’élargir les droits des citoyens ou de remettre en cause les fonctionnements du marché.

Aujourd’hui, la consommation engagée recouvre une réalité très hétérogène. Il existe plusieurs façons d’en rendre compte. Il est possible par exemple de mettre en avant les causes, comme la défense de l’environnement ou de la justice sociale, qui ont, plus que d’autres, donné lieu à des actions pour mobiliser les consommateurs. Une autre manière consiste à s’intéresser aux tactiques militantes ; on peut alors identifier un vaste répertoire de la consommation engagée. Derrière les mobilisations qui semblent cibler individuellement les consommateurs, comme les appels au boycott, l’usage de labels ou la diffusion de guides d’achat, se trouvent des ressorts classiques de la mobilisation collective : il s’agit notamment de convaincre les consommateurs de s’engager par leurs achats. Analyser la consommation engagée nécessite avant tout d’interroger la capacité des organisations militantes à transformer la consommation en espace d’engagement politique. Ce peut être alors de fournir aux individus des capacités réflexives, en les informant sur les enjeux collectifs et en les aidant à revenir sur leurs propres pratiques, en les engageant à renoncer à la consommation de masse, à moins gaspiller ou à s’opposer à la manipulation publicitaire par exemple.

Source : Sophie Dubuisson-Quellier, La consommation engagée, Presses de Sciences Po, 2018

 

Document 4 

 

Voir la correction

Sujet : La variété des engagements politiques est-elle la seule explication à la différenciation des répertoires contemporains de l’action collective ?

 

L’Engagement politique dans les démocraties contemporaines correspond à l’exercice d’une citoyenneté active et réfléchie comportant des coûts, et qui articule une dimension individuelle et une dimension collective, quelques soient les formes variées par lesquelles il se manifeste. Ainsi, le comportement électoral, qui traduit de façon régulière – au-delà de l’opinion – des attitudes politiques (désintérêt, valeurs conservatrices ou progressistes…) résulte du processus de socialisation politique, largement structuré par le milieu familial. Il peut être observé par le socio-politiste de deux manières : soit comme un acte individuel dont on va présumer un certain degré de rationalité, soit comme un acte collectif exprimant des appartenances sociales, qui peuvent être multiples. Il en va de même pour la consommation engagée (doc.3): des comportements individuels comme participer au boycott d’un produit, privilégier l’achat de ceux qui bénéficient d’un label, lire attentivement les guides comparatifs dans des revues de protection des consommateurs, peuvent être conjugués avec la participation à des mobilisations collectives plus spécifiquement politiques, qui requiert un usage public des arguments, comme renoncer à la consommation de masse ou s’opposer à la manipulation publicitaire.

Dès lors, le constat est aisément fait d’une très grande variété des engagements politiques, dont le socio-politiste peut rendre compte en utilisant des critères comme le degré de respect de l’acteur à l’égard du système politique, les formes d’activité (vote, militantisme, consommation engagée) ou les types d’agents médiateurs (partis politiques, groupes d’intérêt, mouvements sociaux).

Cependant, si chacun de ces engagements variés a sa propre logique, la différenciation des répertoires contemporains de l’action collective s’explique surtout par les transformations d’un répertoire national contemporain de l’action politique et par les facteurs de différenciation propre à chaque situation concrète comme l’objectif visé, les moyens et le mode de gouvernance mis en œuvre ainsi que les stratégies organisationnelles et idéologiques construites.

 

I. Le constat de la variété des engagements politiques

L’analyse de cette variété peut être conduite selon trois critères : les modes de participation, les formes d’engagement et les types d’acteurs de la vie politique.

 

A) Les modes de participation à la vie démocratique

La participation politique est selon le politiste Philippe Braud « l’ensemble des activités, individuelles ou collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le fonctionnement du système politique ». Dans le contexte des démocraties contemporaines, elle renvoie à l’exercice d’une citoyenneté active et réfléchie, dont la pratique effective reste minoritaire, compte tenu du coût lié à la mobilisation (temps, accès à l’information), mais historiquement en augmentation dans ses formes collectives depuis la crise des subprimes (printemps 2007). Elle peut prendre deux formes, dont les frontières sont poreuses du fait des variations dans le temps des interactions entre normes juridiques et normes sociales : ainsi, la participation non-conventionnelle qui renvoie aux formes de participation protestataire se situant soit à la limite soit en rupture de la légalité et qui remettent en cause la légitimité du système politique, peut à un moment donné sous l’effet d’une légitimation dans l’opinion publique, de l’ouverture d’un gouvernement ou du retournement de certains acteurs (ex. des policiers américains qui mettent genou à terre)  glisser dans le cadre d’une participation politique conventionnelle compte tenu d’une modification de la perception de ce qui fait la légitimité du système politique.

Par ailleurs, les citoyens peuvent chercher à influencer le fonctionnement du système politique (articulations entre régime politique, système de partis, mode de scrutin, culture politique) en participant de trois manières à la vie démocratique. Dans sa dimension de démocratie représentative d’abord, le vote du citoyen correspond à une adhésion à un système politique et remplit des fonctions sociales explicites (exprimer des préférences, choisir des représentants) et plus implicites (appartenance à un groupe, partage de valeurs collectives). Mais entre deux élections nationales, les dimensions participative (contribuer à un budget municipal, voter lors d’une primaire dans un parti politique ou une alliance) et délibérative (donner son avis sur le tracé d’une autoroute, dialoguer lors du Grand débat national organisé en France entre le 15 janvier et le 15 mars 2919 sur quatre thèmes : transition écologique, la fiscalité, la citoyenneté, l’organisation de l’État) permettent au citoyen d’exprimer ses préférences, notamment lorsque le mode de scrutin est majoritaire.

B) Les formes d’engagement politique

A côté du vote ou de l’abstention, le citoyen peut d’abord s’engager dans le militantisme partisan, syndical ou associatif. Dans un parti politique, les militants peuvent tracter, coller des affiches, être candidats à une élection.  Les travaux du politiste Nicolas Bué (doc.1) ont montré que la « discipline partisane» (la régulation interne qui à la fois permet la compétition politique, requiert certaines attitudes des adhérents, anticipe des comportements déviants par des statuts) a été contrainte d’évoluer de trois manières. D’une part, la baisse considérable du nombre d’adhérents favorise l’apparition de « partis de plateforme » comme LREM ou LFI en France. D’autre part, la souveraineté des orientations partisanes est revendiquée par l’usage de procédures de démocratie délibérative (vote de motions, primaires) ou participative (not. en Amérique latine) et par l’appropriation de mouvements protestataires (partis de gauche au Mexique ; LFI et le NPA à l’égard des aspirations du mouvement des Gilets Jaunes).

Dans un syndicat, ils peuvent manifester ou organiser une grève. Sur fond de désyndicalisation depuis les années 1980 (Taux de syndicalisation de 10,8% en France en 2020, contre 64,9% en Suède, 34,4% en Italie, 23,4% au Royaume-Uni, 16,5% en Allemagne), l’influence des syndicats dans le système politique français diminue (taux de confiance= 27%), et la configuration syndicale française est orientée vers un syndicalisme de revendications et d’opposition contrastant le syndicalisme allemand ou scandinave (consensuel et coopératif).

Le contexte historique et politique joue enfin un rôle important dans la politisation de certaines associations. Ainsi, les travaux du sociologue Olivier Fillieule consacrés aux carrières militantes dans les associations de lutte contre le Sida dans les années 1980-1990, ont montré que ce processus s’est traduit par une transformation des identités des militants appréhendées par les enquêtes sociologiques à travers la variabilité des motifs (l’interprétation subjective des changements vécus). Dans une période où l’image des associations était fortement liée à l’homosexualité, l’engagement contre le Sida « était redevable de stratégies d’affirmation (et donc de transformations) identitaires visant à la fois l’acceptation de sa propre homosexualité et sa visibilisation dans le monde social » (Les associations de lutte contre le Sida, rapport MIRE, nov. 2000). Plus récemment, le Comité Vérité pour Adama (doc.2) luttant contre les violences policières introduit à la fois une rupture générationnelle et une nouvelle stratégie de « convergence des luttes ».

C) Les types d’acteurs de la vie politique

On peut classiquement distinguer trois types d’acteurs : les partis politiques, les groupes d’intérêt et les mouvements sociaux. D’une part les partis politiques visent l’accès au pouvoir et son exercice alors que les groupes d’intérêt exercent une pression sur les autorités pour faire reconnaître des revendications soit professionnelles (ex. les notaires, les médecins) soit liées à des causes; dans le second cas les bénéfices tirés de l’action peuvent être réalisés au profit d’entrepreneurs de défense d’intérêt (droits de l’homme), de groupes d’intérêt publics (protection de la nature) ou de groupes de plaidoyer (défense de la cause animale). Mais d’autre part selon le sociopolitiste Michel Offerlé, une polarisation de la recherche en sciences sociales sur les « nouveaux mouvements sociaux » aurait eu pour effet de les constituer en objets sociaux labellisés comme étant légitimes, dévalorisant de ce fait et donc sous-estimant la réalité d’autres groupes d’intérêt moins emblématiques de la modernité. Une coupure artificielle serait alors inférée entre d’un côté la « vraie société civile » identifiable à travers un ensemble de caractéristiques (protestation, non-institutionnalisation, refus des bureaucraties, adaptation aux médias numériques, revendications identitaires post-matérialistes) que l’on retrouve dans Osez le féminisme, Act-up, les Indignés, les Femen ou la Manif pour tous, et par ailleurs des lobbies mûs par des appétits matérialistes comme les syndicats de salariés ou de médecin, le patronat, qui pourtant ont leur part dans l’action collective contemporaine. D’où une triple critique adressée par le socio-politiste à ces typologies classiques : la distinction entre parti politique et groupe d’intérêt n’est pas étanche (les partis s’appuient sur des réseaux incluant des groupes d’intérêt) ;  la distinction entre État et société civile organisée n’est pas nette (l’État est le produit du travail de multiples acteurs) ; la distinction entre intérêt « intéressé » et cause « désintéressée » n’est pas évidente (une cause peut être socialement reconnue ou pas selon le contexte, ou peut se routiniser et être perçue comme un intérêt dans telle ou telle conjoncture).

Cette grande variété observée dans les engagements politiques n’explique qu’en partie les différences, notamment d’efficacité, entre les répertoires contemporains d’action politiques.

 

II. L’Évolution des cadres nationaux du répertoire contemporain de l’action politique

Appréhendons donc le concept de répertoire d’actions collectives, son processus de politisation, sa configuration et ses avatars contemporains.

 

A) Du répertoire d’actions collectives au répertoire d’actions politiques

Les travaux en sociohistoire du politique de Charles Tilly ont montré que la participation politique des individus était – dans une société donnée pour une période donnée – délimitée à l’intérieur d’un cadre d’actions collectives possibles, alors même que l’action collective s’est progressivement politisée au cours de l’histoire. Pour ce dernier, « toute population a un répertoire limité d’actions collectives c’est-à-dire des moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés (…) ces différents moyens d’action composant un répertoire » (« La France conteste- de 1600 à nos jours », Fayard, 1986). Selon Ch. Tilly, le répertoire national d’action collective de la France depuis les années 1850 serait « national autonome » (les enjeux sociaux sont pensés à l’échelon national et les doléances adressées aux autorités étatiques plutôt qu’à des notables locaux) ; progressivement depuis les années 1980, le répertoire national caractéristique des sociétés capitalistes démocratiques serait devenu transnational et solidariste, les enjeux liés à la globalisation économique, l’accroissement des inégalités et la dégradation de l’environnement suscitant la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs, selon une voie conventionnelle (cadre légal) ou non-conventionnelle (mise en question de la légitimité du système politique).

B) Les caractéristiques du répertoire contemporain « transnational-solidariste »

Un répertoire « transnational solidariste » constitue depuis les années 1980 le cadre de mobilisations de populations indignées autour de causes comme l’altermondialisme, l’écologie politique, la lutte contre les inégalités et les injustices sociales, et organisées au-delà des frontières nationales.

Cinq traits supplémentaires corrélés caractérisent ce répertoire depuis les années 2000:

- la mobilisation d’outils numériques

- la prégnance d’une grille d’analyse (fondée notamment sur le concept d’intersectionnalité)

- le déploiement de stratégies organisationnelles construites en collectifs

- la possibilité de divergences ou de convergences entre orientations idéologiques

- une diversification des modalités d’intervention

C) Les transformations récentes du répertoire contemporain : la connectivité numérique des acteurs

Cette nouvelle caractéristique touche tous les acteurs de la vie politique. Les affordances (possibilités d’action) propres aux technologies numériques et les régulations spécifiques opérées par les grandes plateformes logicielles offrent aux activistes le pouvoir d’incarner leur propre média, de mener des campagnes publicitaires, de contourner la censure et de coordonner facilement leurs actions.

Un premier type d’affordances correspond à la connectivité. L’utilisation de technologies numériques (téléphones numériques, SMS, diffusion d’informations sur Twitter et Facebook) a permis la mobilisation massive et spontanée de foules protestataires comme le mouvement Occupy Wall street dès le début de la crise des subprimes en 2008 ou comme le Printemps arabe à partir de février 2011. Ces nouvelles capacités d’action collective se sont cependant heurtées à un contrôle de l’usage des réseaux sociaux par les plateformes logicielles (par exemple la levée de l’anonymat par Facebook ou le traçage d’activistes par les autorités politiques dans les régimes autoritaires). L’ensemble de cette configuration définit les possibilités et limites d’un répertoire de l’action politique pour les mouvements sociaux connectés.

Un deuxième type d’affordances correspond à la viralité. La convention créée par Twitter pour désigner un sujet permet de regrouper un nombre infini de liens vers des sous-thèmes et de mobiliser simultanément de façon « virale » un très grand nombre d’internautes autour d’une cause ou d’un mot d’ordre, comme « descendez dans la rue » au Brésil. Ainsi, le répertoire d’action politique associé à ces mouvements sociaux protestataires connectés est caractérisé par la connectivité des individus, la transnationalité d’une cause, l’horizontalité de l’organisation politique (absence de hiérarchie dans des réseaux sans leaders).

D’autres acteurs de la vie politique cherchent à exploiter ces affordances (organisation interne, démocratie délibérative). C’est le cas de partis politiques comme LFI et LREM (partis de plateforme avec une base politique faible) ou encore de  plateformes de propositions de sortie de crise qui suscitent un nouveau type de coalition entre société civile organisée et partis politiques.

 

III. Les critères de différenciation entre les répertoires d’action politiques des acteurs sociaux

Ces critères de différenciation apparaissent dans le document 4. La partie gauche du tableau rend compte de la variété des engagements politiques, illustrée par cinq situations concrètes engageant différents acteurs d’une vie politique nationale, groupes d’intérêt, nouveaux mouvements sociaux ou collectifs inscrits dans une logique conventionnelle ou non-conventionnelle. La partie droite rend compte de la structure des répertoires d’action politiques mobilisés par ces acteurs, en indiquant d’une part l’objectif visé et d’autre part une partie des moyens mobilisés dans chaque situation concrète (il manque ici les modes de gouvernance). Il en résulte une différenciation qui peut s’expliquer de trois manières.

 

A) Des objectifs, moyens et modes de gouvernance différenciés

L’articulation entre objectifs visés et ressources mises en œuvre éclaire cette différenciation :

-  la Convention citoyenne sur le climat met en œuvre un processus institutionnalisant et une  gouvernance mixte (société civile organisée, citoyens, État) qui articule trois logiques (délibérative, participative, représentative) de la démocratie contemporaine. Différents groupements sont intervenus en amont, pendant et en aval du processus. En amont, le collectif « Gilets jaunes » a été force de propositions ; pendant : participations de citoyens représentants la société civile ; en aval, contrôle des citoyens de l’application par le gouvernement des propositions (débats publics ; élections).ici, l’expertise mobilisée est la principale ressource.

- le mouvement Occupy Wall Street (OWS) se limite volontairement à occuper l’espace public sans revendications, avec une gouvernance horizontale et une faible expertise.

- les plateformes numériques de propositions de sortie de crise (CGT, ATTAC, Greenpeace) pratiquent en fait une occupation de « l’espace public » au sens du philosophe Jürgen Habermas, car elles constituent des supports de débats argumentés ouverts, dépassant les limites des organisations politiques et visant à enrichir le débat d’idées qui accompagne une campagne présidentielle.

- les mouvements associés au Printemps arabe revendiquant plus de démocratie et ceux en France, configurés autour du Comité Adama visant à lutter contre les violences policières et les injustices sociales,  occupent  l’espace public avec revendications. Dans le premier cas, les modalités d’intervention combinent les ressources du nombre et de la connectivité ; dans le second, on a une occupation stratégique complexe qui associe nombre + scandalisation + expertise.

- le mouvement hybride Gilets jaunes traduit un engagement à la fois conventionnel (revendications en matières de pouvoir d’achat dans des manifestations autorisées) et non-conventionnel (manifestations non-autorisées) en conjuguant les ressources du nombre et du scandale.

B) l’influence croisée entre répertoires nationaux d’actions politiques

Un bon exemple de ce phénomène est celui de la grille d’analyse qui se veut transversale des sociétés occidentales contemporaines, fondée sur « l’intersectionnalité » (déconstruction de rapports de domination persistants et cumulés) influencée par le mouvement « décolonial » américain associée à la cancel culture, qui est peu à peu partagée de manière hégémonique par de nombreux militants associatifs et membres de collectifs en Europe.

Cependant, il existe des divergences d’interprétation de cette grille d’analyse selon les acteurs politiques. En France par exemple, le comité Adama et le micro-parti Les Indigènes de la République ont en commun une approche décoloniale des problèmes sociétaux; cependant le premier revendique de s’appuyer sur une déconstruction plus rigoureuse et précise des rapports de domination (la mise en évidence d’un « racisme systémique dans la police ») au service d’une stratégie à long terme et se démarque de pratiques qui ont suscité polémiques et divisions comme l’organisation de colloques racialisés (interdits aux Blancs).

C) Des stratégies de coopération et d’alliance inédites

Les affordances liées à la connexion numérique (connectivité, viralité) contribuent à façonner une autre dimension du nouveau répertoire contemporain de l’action politique : elles permettent deux types de convergences entre les acteurs : des convergences organisationnelles et de propositions et des convergences de lutte et idéologiques.

- Les convergences de propositions couplées à une stratégie organisationnelle s’illustrent dans des collectifs de plateformes : syndicats, associations, ONG, partis politiques inaugurent de nouveaux types de coalition entre acteurs de la société civile organisée et partis politiques. C’est le cas de la plateforme de propositions de sortie de crise construite En mai 2020 par la CGT, ATTAC et Greenpeace en débouchant sur quatre objectifs communs d’un plan de sortie de crise : déconfiner sans discriminer, réduire les inégalités face à l’emploi, l’alimentation et le logement, réorienter la politique monétaire au service de besoins sociaux et environnementaux, imposer par la loi la reconversion écologique et sociale des activités.

Le document élaboré par une coalition d’associations et de syndicats orientés à gauche est structuré comme un véritable programme électoral pour faire face à une triple crise économique et sociale, sanitaire et environnementale. Il a été soumis à l’ensemble des partis politiques de gauche et écologistes. De ce fait, cette formation inédite dans la société civile organisée, pousse les partis politiques à produire un effort de recomposition, de dialogue et d’union à gauche, notamment dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.

- Les convergences de luttes (idéologiques). Le Comité Traoré envisage une convergence potentielle des luttes sur une base idéologique et une grille d’analyse des rapports de domination sur le long terme plutôt que la perspective insurrectionnelle regroupant des causes hétéroclites. Il y a de ce fait un usage stratégique de la référence idéologique transversale de l’intersectionnalité mobilisé au cas par cas dans tout le champ des causes possibles du répertoire national, plutôt qu’une « convergence des luttes » (stratégie Nuit Debout, qui peut être considérée comme politiquement peu efficace).

La convergence des luttes est une démarche militante qui tend à faire converger dans un mouvement social commun des luttes différentes. Ainsi en France, le mouvement Nuit debout avait tenté cette stratégie en associant lors de rassemblements urbains nocturnes des citoyens engagés autour de buts différents (intermittents, étudiants, chômeurs, salariés mobilisés contre la loi travail, zadistes…) mais visant à faire émerger dans une logique délibérative spontanée des propositions pour une démocratie plus effective. Nuit debout né le 31 mars 2016 en réaction à la loi El Khomri de transformation du code du travail, sans programme défini, imaginait que de la convergence des luttes naîtrait un changement de société.

Ce processus est cependant complexe. On peut distinguer trois niveaux dans la convergence des luttes : celui des buts visés, celui des modes d’action privilégiés (répertoires propres à chaque organisation et types d’alliances stratégiques entre elles) et celui enfin d’une approche idéologique des enjeux sociétaux du moment.

La configuration des luttes sociales en France depuis le mouvement des Gilets Jaunes et surtout depuis le début de l’année 2020 s’est transformée depuis Nuit debout, et l’approche de la thématique de la convergence des luttes adoptée par le comité Adama, organisation politique au carrefour des différentes luttes, témoigne d’une réflexion plus approfondie, stratégique et distanciée, tout en étant significative de la complexification du répertoire national d’actions politiques.

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements