"Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi". L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est la seule disposition du bloc de constitutionnalité à mentionner expressément la notion d'ordre public. Mais il mentionne l'ordre public sans le définir. Au reste, le Conseil constitutionnel, pourtant conscient de son rôle central dans tous les domaines du droit, ne l'a jamais défini.
L'homme de la rue peut à juste titre voir dans l'ordre public une notion teintée d'autoritarisme : assurer l'ordre, telle est la mission de l'Etat policier, de l'Etat-gendarme. Et qu'est-ce que l'ordre public sinon la paix civile ou encore, comme en droit administratif, la tranquillité, la sécurité, et la salubrité publique ? A y regarder de plus près, l'ordre public n'est pas une notion négative et autoritaire : il est avant tout le garant des libertés publiques car, comme l'énonce l'article 4 de ladite Déclaration, "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" et la loi, expression de la volonté générale (Jean-Jacques Rousseau), est là pour assurer ce principe. Aussi, l'ordre public est regardé par la jurisprudence du Conseil comme le "bouclier" de certaines des plus fondamentales de nos libertés : "la prévention des atteintes à l'ordre public est nécessaire à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle" (Conférence, Conseil constitutionnel). Certains articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (notamment les articles 8 à 11) participent de cette logique, proclamant des libertés avant de les restreindre par des considérations d'ordre public ayant trait notamment à la sécurité nationale, l'intégrité territoriale ou la sûreté publique.
L'ordre public ne s'arrête pas aux frontières du droit public. Il irrigue tous les pans du droit privé, c'est-à-dire du droit qui régit les rapports entre les particuliers. L'impératif de paix sociale doit en effet pénétrer la sphère du contrat. Aussi, l'article 6 du Code civil pose-t-il dans une formule lapidaire : "on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs". L'ordre public est ici considéré comme le caractère des règles juridiques qui s'imposent pour des raisons de moralité ou de sécurité impératives dans les rapports sociaux. Il apparaît comme un moyen de défense "des institutions essentielles de la société contre les atteintes que pourraient leur porter les initiatives, non contrôlées, des contractants"[1]. En conséquence, les conventions contraires à l'ordre public sont nulles. Par exemple, sont nulles les conventions qui ont pour objet le corps humain en vertu d'un principe d'indisponibilité du corps humain : la vente d'organes, comme les contrats de mère porteuse, sont interdits.
Au cours du XXe siècle, le contenu de l'ordre public s'est étendu à la sphère économique. S'il continue à veiller à la défense des piliers de la société que sont l'Etat, la famille et l'individu, il est venu irriguer et orienter les différents pans de la vie économique. Cette mutation résulte de la "croyance que l'Etat peut orienter la vie contractuelle dans une direction favorable à l'utilité sociale et qu'il devait intervenir dans les rapports contractuels mettant aux prises des parties de puissance économique inégale afin de protéger la partie faible"[2]. Sont ainsi apparus un ordre public économique de direction et un ordre public de protection.
L'ordre public économique de direction se réfère à un corpus de règles destinées à orienter la vie contractuelle dans une direction favorable à l'utilité sociale. La part essentielle de l'ordre public de direction revient aujourd'hui au droit de la concurrence avec la prohibition des ententes, des abus de position dominante ou encore des pratiques discriminatoires.
L'ordre public économique de protection se propose quant à lui de rétablir entre le faible (par exemple le salarié, le consommateur ou l'assuré) et le fort (par exemple l'employeur, la grande surface ou l'assureur) un équilibre que ne réalise pas spontanément le jeu contractuel. Cet ordre public se rattache directement à l'émergence d'un Etat-Providence qui se donne pour mission d'assurer plus de justice sociale et qui se distingue donc naturellement de l'Etat-gendarme. Louable dans ses intentions, le développement d'une telle législation ne va pas sans inconvénient : elle participe au mouvement d'inflation normative qui rend le droit de plus en plus inaccessible et conduit bien souvent à une surprotection de la partie faible nuisible à l'efficacité du marché.
L'ordre public social, c'est-à-dire celui qui est à l'œuvre dans les rapports entre employeur et salarié et qui encadre le contrat de travail est avant tout un ordre public de protection : c'est le "minimum social" forgé par les normes étatiques[3]. En droit du travail, la loi apparaît comme un minimum pouvant, dans certains cas, être complété. Et, selon le principe de faveur, pivot essentiel de cet ordre public social, on ne peut déroger à ce minimum social que dans un sens plus favorable aux salariés. Il s'agit donc clairement d'assurer une protection maximale du salarié.
Toutefois, certains textes sont d'ordre public absolu (ils pourraient alors être rattachés à la catégorie de l'ordre public économique de direction), c'est-à-dire que l'on ne peut y déroger, même dans un sens plus favorable aux salariés. En outre, on a vu apparaître depuis 1982 un ordre public dérogatoire qui vient empiéter sur l'ordre public social protecteur et réduit d'autant le principe de faveur.
Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure la protection des salariés est assurée par l'ordre public social et notamment par le principe de faveur.
Depuis 1973 le principe de faveur, tantôt principe général du droit tantôt principe fondamental en droit du travail, apparaît comme l' "âme du droit du travail"[4] et participe la protection des salariés au nom de l'ordre public social (I). Toutefois,l'autorité de ce principe, traditionnellement remise en cause par un ordre public dit absolu, est aujourd'hui de plus en plus mise à mal par un ordre public dit dérogatoire, d'origine législative, qui consacre une certaine primauté de l'économique sur le social (II).
I) Le principe de faveur, pivot de l'ordre public social
A. La difficile qualification du principe de faveur
Le principe de faveur (principe de faveur) est consacré par l'article L. 132-4 du Code du travail : "la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements"[5].
Ce principe d'application de la disposition la plus favorable est une règle de conflit de normes : la source inférieure (par exemple le contrat de travail) ne doit pas se révéler moins favorable au salarié que la source supérieure (par exemple la convention collective négociée par les partenaires sociaux). Elle peut en revanche être plus favorable. Cette règle de conflit permet de nuancer le "principe de hiérarchie des normes" en vertu duquel la norme inférieure doit respecter la norme supérieure.
Bien qu'assez récent puisqu'il a été évoqué pour la première fois par le Conseil d'Etat dans un avis du 22 mars 1973, le principe de faveur illustre le caractère protecteur du droit du travail. Le Conseil d'Etat précise en effet que "les dispositions législatives ou réglementaires prises dans le domaine du droit du travail présentent un caractère d'ordre public en tant qu'elles garantissent aux travailleurs des avantages minimaux". Il apparaît comme un principe consubstantiel de cette branche du droit, voire comme son "âme".
Au-delà des dispositions du Code du travail, le principe de faveur a été consacré par les trois juridictions suprêmes de la République : le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Seulement, sa qualification juridique retenue diffère selon ces institutions :
- Le Conseil constitutionnel, par plusieurs décisions, considère que le principe selon lequel la convention collective de travail "peut mentionner des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements en vigueur" doit être rangé au nombre des principes fondamentaux du droit du travail placés dans le domaine de la loi. Ce principe n'a pas pour autant valeur constitutionnelle : "il ne saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du Préambule de la Constitution de 1946" (voir annexe des termes juridiques) (Décision du 13 janvier 2003, relative à la loi "Fillon II" sur le temps de travail).
- Le Conseil d'Etat est revenu sur le principe de faveur après le rendu de son avis de 1973. Selon lui, c'est un "principe général du droit" (arrêt du 8 juillet 1994 et arrêt du 27 juillet 2001). Par ailleurs, le Conseil d'Etat a expressément lié l'article L. 132-4 du Code du travail au mécanisme de l'ordre public social.
- La Cour de cassation vise quant à elle "le principe fondamental, en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable au salarié qui reçoit application".
Pour une partie de la doctrine (autorité intellectuelle, éminence grise, composée d'universitaires et de professionnels reconnus), la règle de faveur est un principe central en droit du travail français. P-D. Ollier évoquait un "principe fondamental du droit du travail, selon lequel il est toujours possible de déroger à une règle hiérarchiquement supérieure, pourvu que ce soit dans un sens favorable au travailleur"[6]. Pour G. H. Lyon-Caen et M. Keller, le "principe de la lex favoris […] peut être rangé au nombre des principes généraux spécifiques au droit du travail"[7] . Pour A. Chevillard, enfin, "là est le principe général du droit du travail". La règle du plus favorable semble donc, à première vue, être un principe pivot en droit du travail français.
En définitive, le principe de faveur serait un principe général du droit sans valeur constitutionnelle : le Professeur René Chapus avait donc raison en défendant l'existence d'une telle catégorie[8].
B. La mise en œuvre et l'autorité traditionnelle du principe de faveur
En premier lieu, si le principe de faveur est bien le pivot de l'ordre public social, il ne présente un intérêt que dans la mesure où il est mis en œuvre. Comment est-il mis en œuvre ?
Les partenaires sociaux (voir annexe des termes juridiques), par le biais de la négociation collective, peuvent donner tout son sens à ce principe de protection du salarié en concluant des conventions collectives plus favorables.
Leur existence est reconnue par le 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion des entreprises".
Dans sa décision du 25 juillet 1989 (DC 89-257) le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de cet alinéa confèrent aux organisations syndicales une vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs. Le principe du droit des partenaires sociaux à la négociation collective a donc une valeur constitutionnelle.
En conséquence, le législateur peut confier aux partenaires sociaux (employeurs et salariés ou organisations représentatives), lors d'une négociation collective, le soin de fixer les mesures d'application des principes fondamentaux du droit du travail qu'il détermine. Ce faisant, le législateur fait échec à la compétence réglementaire qui découle de l'article 37 de la Constitution (art. 37) Dans ce cadre, la convention collective n'est plus seulement un accord mais aussi un acte d'application de la loi.
Le Conseil constitutionnel a réaffirmé ce principe dans deux décisions du 6 novembre 1996 (DC 96-383) et du 13 janvier 2000 (DC 99-423).
Au demeurant, la liberté contractuelle des partenaires sociaux semble constitutionnellement protégée alors même que la liberté contractuelle (voir annexe des termes juridiques) n'a aucune valeur constitutionnelle (décision du 3 août 1994). En effet, le Conseil constitutionnel a décidé que le législateur ne peut porter à l'autonomie des conventions des atteintes telles qu'elles contreviendraient à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en vertu duquel "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" (décision du 10 juin 1998) De même, à propos de la loi Aubry II du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail, le Conseil a censuré la loi en ce qu'elle portait atteinte à des conventions collectives conclues antérieurement par des partenaires sociaux (décision du 13 janvier 2000 précitée).
En second lieu, une fois le principe de faveur mis en œuvre par les partenaires sociaux, quelle est son autorité ?
Pour le juge constitutionnel, le principe de faveur n'a pas de valeur constitutionnelle. Le législateur peut donc l'écarter.
Pour le juge administratif, ce principe s'impose au pouvoir réglementaire (pouvoir d'édicter des règlements conféré notamment au Président de la République et au Premier ministre). En particulier, ce pouvoir ne peut pas autoriser des accords collectifs à comporter des stipulations moins favorables aux travailleurs que les dispositions réglementaires (sauf si le pouvoir réglementaire a reçu une autorisation explicite de la loi pour le permettre).
Enfin, pour le juge judiciaire, ce principe est un principe fondamental en droit du travail (au sens où l'article 34 de la Constitution pose que "la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail"). Il s'impose donc aux partenaires sociaux mais il peut être écarté par la loi. La Chambre sociale de la Cour de cassation estime que la clause d'un contrat de travail moins favorable que la convention collective est nulle (Soc, 30 mars 1995[9]).
Au total, le principe de faveur est "un de ces principes généraux du droit qui occupent dans la hiérarchie une place intermédiaire entre la loi et le règlement dans la mesure où la première est la seule compétente pour y porter atteinte tandis que le second doit les respecter"[10] .
Enfin, quel est son champ d'application ?
Illustration de l'impératif de protection du salarié propre au droit du travail, le principe de faveur ne relève pas d'un ordre public absolu qui s'impose automatiquement. Le principe de faveur n'est pas absolu. Il ne s'applique qu'en cas de conflit de normes pour assurer la protection du salarié. Il ne s'applique pas au-delà des conflits de norme et n'est pas un principe d'interprétation ou d'élaboration des normes en droit du travail (une norme moins favorable peut en effet être élaborée mais le salarié pourra bénéficier d'une autre norme plus favorable).
II) La multiplication des atteintes au principe de faveur : d'un ordre public social de protection à un ordre public social de direction
A. L'ordre public absolu limite l'application du principe de faveur
Le principe de faveur a toujours connu des exceptions. La plus caractéristique de ces exceptions est celle constituée par les règles d'ordre public absolu, c'est-à-dire absolument intangibles : des partenaires sociaux peuvent négocier sur tout sauf sur les matières relevant de l'ordre public absolu L'article L. 132-4 ne précise-t-il pas que les conventions et accords collectifs plus favorables ne "peuvent déroger aux dispositions d'ordre public" ? Une loi peut donc interdire une mesure de faveur sous couvert de la mise en œuvre d'un principe d'ordre public. Les clauses plus favorables ne doivent donc pas s'opposer à des règles fondamentales. Pour le Conseil d'Etat, il y a "des avantages ou garanties échappant, par leur nature, aux rapports contractuels" (CE, avis du 22 mars 1973[11])
Parmi ces règles, on peut citer l'impossibilité de modifier la compétence du Conseil des prud'hommes ou de porter atteinte au droit de grève. Une convention collective ne peut donc pas avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l'exercice du droit de grève. Autre limite : le salarié ne peut bénéficier d'un cumul d'avantages, les avantages résultant de la convention ou de l'accord collectifs ne pouvant se cumuler avec ceux provenant de la loi, sauf dispositions contraires. De même, sont illicites les clauses supprimant l'indemnité de préavis, les clauses supprimant le temps de repos obligatoire ou encore les clauses contournant la prohibition de l'indexation automatique des salaires sur le SMIC.
Ainsi, les partenaires sociaux doivent respecter le domaine de la loi :
D'une part, ils ne peuvent réglementer l'exécution d'une liberté constitutionnellement protégée. La Chambre sociale de la Cour de cassation a par exemple décidé qu'une convention collective ne peut pas avoir pour effet de limiter ou réglementer l'exercice du droit de grève qui est constitutionnellement protégé (Soc, 16 juin 1995).
D'autre part, les partenaires sociaux ne peuvent conclure des conventions collectives qui ont un effet rétroactif (Soc, 23 novembre 1999).
Enfin, faute d'autorisation législative, les partenaires sociaux ne peuvent conclure des conventions de branche (voir annexe des termes juridiques) qui autorisent que des accords collectifs comportent des dispositions moins favorables que celles des conventions collectives. En effet, en application du principe de faveur, l'accord d'entreprise ne peut contenir des dispositions moins favorables au salarié que la convention de branche (TGI Paris, 14 mai 2002).
B. L'ordre public dérogatoire : la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure des conventions moins favorables
Le principe de faveur n'ayant pas de valeur constitutionnelle, le législateur peut édicter des normes qui dérogent à ce principe. C'est pourquoi, à côté de l'ordre public absolu, atteinte traditionnelle au principe de faveur, il s'est développé depuis 1982 un ordre public dérogatoire qui menace de plus en plus l'impératif de protection des salariés.
Depuis l'ordonnance Auroux du 16 janvier 1982 relative à la durée du travail et aux congés payés, la loi autorise les partenaires sociaux à conclure des conventions réduisant le droit des salariés. L'ordonnance a en effet fixé un plafond de 130 heures de travail supplémentaire au-dessous duquel il n'est pas obligatoire de demander une autorisation de l'inspecteur du travail. Mais, l'ordonnance précise que les partenaires sociaux peuvent négocier un contingent d'heures inférieur à ce plafond (ce qui est une application du principe de faveur et de l'ordre public social) mais aussi supérieur à ce plafond (ce qui revient à consacrer un principe de défaveur). Les partenaires sociaux peuvent donc négocier un contingent d'heures supplémentaires annuelles supérieur au maximum légal, ce qui représente une véritable "révolution normative"[12]. Le quotidien L'Humanité évoque même l'érosion du principe de faveur.
Plus récemment, la loi dite Fillon I du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciement économique[13] renvoie aux partenaires sociaux la possibilité de conclure des accords sur le déroulement de la procédure de licenciement. Ceux-ci pourraient être moins favorables aux salariés que la loi.
Enfin, le projet de loi Fillon, déposé le 19 novembre 2003 et adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 6 janvier 2004, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, obère de façon importante le principe de faveur. Le deuxième volet de ce projet de loi a pour objectif de renforcer l'autonomie des niveaux de négociation. Pour ce, le gouvernement prévoit de favoriser le développement du droit conventionnel en permettant aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche dans un sens comme dans l'autre, bouleversant ainsi la hiérarchie des normes en droit du travail.
Toutefois, l' "ordre public dérogatoire" est circonscrit :
· Les partenaires sociaux ne peuvent en principe déroger aux normes légales que dans les domaines et dans les limites fixées par la loi (le pouvoir réglementaire ne peut autoriser de telles dérogations).
· Dans la loi Aubry II (19 janvier 2000), seule la durée et l'aménagement du temps de travail est concernée.
· En ce qui concerne le projet de loi Fillon relatif au dialogue social : premièrement, l'accord de branche sera toujours impératif dans trois domaines, à savoir en matière de minima de salaires, de classifications et de dispositifs de mutualisation comme la prévoyance collective (dans ces domaines, on ne pourra donc pas avoir d'accord d'entreprise moins favorable). Deuxièmement, si l'accord de branche ne précise rien, on considèrera qu'il est supplétif dans les seuls cas explicitement prévus par la loi, comme par exemple la durée et l'organisation du travail ou la gestion des restructurations (la règle de faveur n'a ici plus aucune valeur). Troisièmement, dans tous les autres domaines et sauf disposition exprès contraire prévue par un accord de branche, les accords de branche sont impératifs (la règle de faveur n'est sauvegardée qu'autant que l'accord de branche ne prévoit pas le contraire).
· Enfin, cet ordre public dérogatoire n'est pas absolu : un syndicat majoritaire dans une entreprise peut s'opposer à l'application d'un accord dérogatoire.
Le principe de faveur français se retrouve dans d'autres pays d'Europe où la négociation collective tient également une place importante[14] (voir annexe sur la négociation collective en Europe). Notre règle de faveur serait comparable au Günstigkeitsp allemand, maintenu par la loi de 1949 sur la convention collective, ou à des règles présentes en droit belge et espagnol notamment. Par exemple, en Espagne, l'article 3.3 du statut des travailleurs de 1980 prévoit que "les conflits entre les préceptes de deux ou plusieurs règles de droit du travail, étatiques ou conventionnelles […], se résoudront par l'application du plus favorable pour le travailleur".
En conclusion, si la limitation croissante de la règle de faveur ne lui fait pas perdre sa qualité de principe, elle en réduit grandement l'autorité. Elle modifie la fonction de la négociation collective. L'Etat-gendarme reprend le dessus sur l'Etat-Providence et se contente de respecter les souhaits des partenaires sociaux. "Le droit du travail, exemple même de l'ordre public de protection, passe ainsi dans l'orbite de l'ordre public économique"[15] .
[1] J. Flour, J-L. Aubert, E. Savaux (2000), Droit Civil, Les Obligations, Paris, A. Colin, p. 197, n° 197.
[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette (1996), Droit Civil, Les obligations, Paris, Dalloz, Précis droit privé, p. 300, n° 357.
[3] Mazeaud, Antoine (2000), Droit du travail, Paris, Domat, Droit privé, p. 33, n° 63.
[4] Chalaron, Yves (1989), "L'application de la disposition la plus favorable", in Les Transformation du droit du travail, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Paris, Dalloz, p. 243.
[5] On le trouve également aux articles L. 132-5, L. 132-13 et L. 132-23 du Code du travail.
[6] P-D. Ollier (1972), Le droit du travail, Paris, A. Collin, Coll. U, p. 46.
[7] Encyclopédie Dalloz, Rép. Trav., V° Travail (Droit du) : sources, n°76.
[8] Chapus, René (1996), Droit administratif général, tome 1, Paris, Montchrestien, Domat droit public, p.88 et s. n°140 2°.
[9] Bull.civ.V., n°117.
[10] Jeammaud, Antoine (1999), "Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente », Droit social, n° 2, février, p. 123, n° 17.
[11] Droit Social, 1973, p. 514.
[12] Ray, Jean-Emmanulel (2003-2004), Droit du travail, droit vivant, Paris, Ed. Liaisons, p. 33.
[13] Cette loi vient réformer la loi de "modernisation sociale" du 17 janvier 2002.
[14] Service des affaires européennes du Sénat (23 mars 2001), Rapport sur la négociation collective, p. 5.
[15] J-E. Ray, précité.