L'étude de cas proposée ici est la synthèse d'une étude réalisée par Véronique Berthout, Responsable de l’animation commerciale et Vanessa Roche, académie de Dijon, et présentée dans le cadre des Entretiens Louis le Grand 2007 consacrés au thème "Le financement de l'entreprise : intermédiaires et marchés financiers". Le texte complet et le PowerPoint associés sont disponibles sur le site de l'Institut de l'entreprise.
Introduction
Le microcrédit trouve son origine ancienne dans les mutuelles de crédit agricole créées en Europe à la fin du XIXe siècle. Le système a été repris, adapté puis développé par le professeur d'économie Muhammad Yunus au cours des 30 dernières années (1983). Il a connu son essor dans les pays en développement où il permet de concrétiser des microprojets favorisant ainsi l'activité et la création de richesse.
L'activité de microcrédit consiste généralement en l'attribution de prêts de faibles montants à des entrepreneurs ou des artisans qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Il s'inscrit dans une sphère plus complète. Le micro-financement comprend d'autres outils financiers tels que la micro-épargne, service de dépôt qui permet à un individu d'engranger de faibles sommes d'argent pour une utilisation future et de faire face à des dépenses imprévues ou planifier de futurs investissements mais aussi, la micro-assurance, système par lequel un individu effectue un paiement pour partager le risque. Cela permet à l'entrepreneur de se concentrer sur la croissance de son entreprise tout en atténuant les risques qui affectent la pauvreté, la santé ou la capacité à travailler.
L'objectif du microcrédit est de promouvoir un secteur financier ouvert qui permet de soutenir la pleine participation des secteurs de la population à faible revenu et favoriser la croissance économique. On peut se poser la question de savoir pourquoi ce type de financement, typique des premières phases de développement économique, trouve encore son utilité dans un pays développé comme la France.
Le mécanisme du microcrédit
Avant d'accorder un financement, les établissements financiers se servent d'un business plan bâti sur des hypothèses. Ils utilisent alors des modèles statistiques basés pour évaluer les risques. En l'absence de données historiques (états financiers, fonctionnement de compte…), le financement de la création se trouve de fait exclu de ce mode d'évaluation. Les établissements financiers sont alors conduits à rechercher un niveau d'apport personnel cohérent par rapport à la demande de prêt et des garanties, notamment sous forme de caution, ce qui suppose que le créateur ait un patrimoine. Si celui-ci se trouve en situation de précarité et qu'il ne dispose pas de patrimoine, l'entrepreneur se voit refuser son financement. C'est pour contourner ces difficultés que le microcrédit est mis en place.
Les institutions prêteuses non financièrement autosuffisantes interviennent pour remédier à cette exclusion et donc aider, par exemple, les chômeurs et allocataires du RMI n'ayant pas accès aux banques et voulant créer une entreprise. Ce sont des associations, telles que l'Agence pour le Droit à l'Initiative Economique (ADIE), qui assurent deux missions. La première est le financement de projets par l'intermédiaire du microcrédit adapté au marché français. Cela passe par un montant du prêt initial plus élevé que dans d'autres pays du sud du fait du contexte économique ou par des conditions particulières. La deuxième mission peut se résumer à l'accompagnement du nouvel entrepreneur en ce qui concerne les formalités, la formation, le marketing…
La difficulté consiste à concilier une approche qui se veut sociale mais dans un contexte de libéralisme économique régulé. En effet, les exclus sont invisibles en tant qu'acteurs économiques potentiels car ils sont jugés sur leur statut s'assisté et en fonction de leurs ressources financières et non plus de leurs compétences et capacités. Le but est de faire renaître chez l'exclu ses valeurs personnelles et son droit à l'initiative économique. C'est pourquoi, il vaut mieux ne pas distribuer des subventions mais accorder des prêts dont le remboursement est destiné à dégager des bénéfices. Les objectifs du prêteur comme de l'emprunteur sont alignés dans le sens de la rentabilité et de la pérennité de l'entreprise créée.
Concrètement, l'ADIE accorde des prêts de 5500 euros maximum pour une durée de 2 ans à un taux d'intérêt de 7,02 %. Sur cette base, des prêts complémentaires peuvent être accordés : prêts d'honneur sans intérêt (maximum 5000 €), avances remboursables EDEN sans intérêt (maximum 6098 €), primes régionales ou départementales (maximum 6098 $) et prêts à la création d'entreprise (de 2000 à 7000 sur 5 ans).
Parallèlement, l'ADIE a décidé de créer un pôle « accompagnement » à côté du pôle « crédit ». Cet accompagnement passe peut prendre 5 formes complémentaires :
1. Un accompagnement individuel et collectif pendant la durée de remboursement du prêt : démarches administratives, gestion, aide commerciale, marketing et insertion bancaire
2. Des formations collectives et des ateliers d'échange entre les jeunes créateurs
3. Des expertises spécifiques avec des permanences spécialisées animées par des consultants experts
4. Un travail sur la pérennité de l'entreprise complété par la mise en place d'un service pour "rebondir après une cessation d'activité"
5. Des prêts de matériel (véhicule, ordinateur, etc.)
Ce suivi suppose une présence locale : l'ADIE, c'est 22 délégations régionales, 110 antennes, 380 permanences. Cette politique de proximité permet de trouver une permanence à moins de 50 km de son domicile !
Visant l'insertion économique, l'ADIE espère que les financements qu'elle fournit permettront à l'emprunteur de dégager de la rentabilité. L'association doit contrôler les risques du crédit : ainsi, un contentieux est ouvert après trois incidents de paiement.
La collaboration des institutions et des banques : un intérêt convergent
La BNP Paribas est un partenaire historique de l'ADIE. Sa contribution prend quatre formes :
1. La BNP Paribas accorde un soutien financier. Elle le fait en refinancement des encours de crédit portés par l'ADIE (à hauteur de 16 % en 2007) et en accordant des subventions pour contribuer aux frais de fonctionnement de l'association. Enfin, elle intervient contre garanties dans les prêts solidaires : en cas de défaut de paiement, la BNP Paribas prend à sa charge 30 % du risque sur la partie des encours refinancés.
2. La banque peut jouer un rôle de prescripteur : lorsqu'un créateur d'entreprise se présente à ses guichets mais que son profil relève plutôt du microcrédit, le collaborateur de la BNP Paribas le dirige vers l'antenne de l'ADIE la plus proche.
3. La banque peut user de son pouvoir d'influence pour permettre l'évolution du cadre réglementaire. Cela a pris la forme de l'amendement de la loi sur les PME 2005 qui déplafonne les taux d'intérêt aux prêts à la création d'entreprise individuelle.
4. Enfin, la banque peut pratiquer le transfert de compétences : en 2004, CETELEM a signé un partenariat dans ce sens avec l'ADIE. En 2005, Emmanuel de Lutzel a fondé JACADIE (« J'accompagne les créateurs de l'ADIE). Il s'agit d'une association regroupant les salariés de la banque qui acceptent de parrainer un porteur de projet à hauteur de deux heures par semaine.
La banque trouve son intérêt à ce partenariat car le microcrédit est un métier à part entière qui nécessite des moyens humains particuliers, une appréhension spécifique du risque, un temps d'écoute très important, un retour sur investissement de long terme, une image de relation de proximité avec des clients en difficulté. De plus, la taille des prêts est si faible qu'ils sont difficilement rentables du fait des frais de constitution et de suivi de dossier. En conséquence, il vaut mieux qu'elle se cantonne dans son métier en faisant confiance à son partenaire pour le soutenir.
Fonctionnement et impact social du microcrédit
Puisque l'originalité du microcrédit par rapport au crédit classique est d'être orienté vers une cible nouvelle, les pauvres ou les exclus, la logique de sélection doit renoncer à l'approche projet et à sa viabilité pour se porter sur la personne, sa motivation, son sens de la débrouillardise, les réseaux dont il dispose, sa personnalité. Ainsi, Mme H, Rmiste de 55 ans, 4 enfants à charge, ne trouve pas d'emploi salarié en raison de son âge et se trouve en situation d'exclusion bancaire et sociale. Elle a pratiqué la vente de vêtement pendant dix ans de façon informelle dans un quartier populaire de Marseille. Elle porte maintenant un projet de magasin de prêt-à-porter et a besoin de 2000 € pour financer le stock de départ.
Pour savoir s'il est possible de lui prêter, l'ADIE a constitué une Grille d'Analyse et de décision dans laquelle on trouve les critères suivants :
• Stabilité : cette personne habite Marseille depuis 10 ans, elle est mariée depuis 20 ans et vit du RMI depuis 8 ans
• Capacité d'adaptation et de débrouillardise : nombreuses activités informelles comme agent de service ou cuisinière
• Motivation par rapport au projet : connue de la population comorienne…
• Savoir technique et expérience professionnelle : travaille dans le secteur informel depuis 10 ans
• Réseau professionnel et personnel : soutien du conjoint limité, soutenue moralement par ses enfants ; a déjà pris contact avec différents fournisseurs
• Rapport à l'argent : rigueur dans la gestion du budget familial, pas de crédit en cours
A côté de cette évaluation de la confiance que l'on peut accorder à l'emprunteur, l'ADIE procède à une analyse plus classique des besoins et des capacités de remboursement.
On constate ainsi que le microcrédit permet de sortir de l'assistance et, dans ce cas précis, promeut l'émancipation des femmes.
Si l'on passe à un niveau macroéconomique, depuis 1989, l'ADIE a soutenu la création de 37 000 entreprises qui ont généré plus de 44 000 emplois. L'objectif actuel est de soutenir la création de 10 000 entreprises par an. D'une manière générale, le risque a été limité puisque, en 2006, le taux d'impayés n'a représenté que 6,90 % du portefeuille et le taux de perte 2,97%.
En guise de conclusionL'octroi de microcrédit servant à la création d'entreprises permet de réduire le coût social du chômage. Le coût de financement de la création d'une entreprise représente à peine 25 % du coût d'un chômeur, évalué à 20 000 euros par
L'octroi de microcrédit servant à la création d'entreprises permet de réduire le coût social du chômage. Le coût de financement de la création d'une entreprise représente à peine 25 % du coût d'un chômeur, évalué à 20 000 euros par an. Cela permet parfois de réintégrer des activités non déclarées dans l'économie officielle. Parallèlement, la création d'entreprise permet de revitaliser les quartiers sensibles et les zones rurales devenues économiquement désertes grâce au développement de services ou de commerces de proximité. Plus fondamentalement, le microcrédit favorise la prise en charge des citoyens par eux-mêmes, leur ouvre des perspectives et réduit l'inégalité des chances.
Ses limites sont réelles. Il est une contribution utile au développement économique et social mais ne peut être un instrument de lutte contre la grande précarité. Il ne fonctionne que dans un cadre réglementaire favorable. Reste que la réinsertion économique sur un projet personnel est source de confiance retrouvée, ce qui contribue à redonner de la densité au lien social.
[1] Cette étude a été synthétisée par Benek Eraydin