Une question de survie
Rappelons que le système par répartition repose sur le transfert immédiat des cotisations sociales des actifs actuels vers les pensions des retraités d’aujourd’hui. Cette solidarité collective n’est donc tenable que si le nombre d’actifs est suffisamment important par rapport au nombre d’inactifs. Or, ce rapport est remis en cause par le départ massif à la retraite des baby-boomers (nés après la Seconde Guerre mondiale). En effet, en 2005 ce rapport était de 2,2 actifs pour un inactif de plus de 60 ans, et atteindrait, selon l’Insee, 1,4 en 2050, contre un ratio de 4 en 1960. Face à cette situation intenable à long terme (à peine 2 actifs pour financer une retraite), on comprend pourquoi le gouvernement actuel s’attelle à réformer le système. Il s’agit de trouver des solutions pour le maintenir et éviter une conversion brutale à un système par capitalisation dans lequel chacun épargne individuellement pour sa future retraite. Une option qui s'avèrerait par ailleurs problématique, les actifs en partance d’ici quelques années pour la retraite n’ayant pas suffisamment eu le temps d'épargner et se retrouvant sans ressources suffisantes.
Quelle réforme ?
Les options écartées
Le gouvernement aurait pu décider de diminuer le montant des pensions dans le but de réduire les dépenses. Mais le président de la République s'y était vivement opposé.
Réduire le montant moyen des retraites (environ 1 100 euros en 2007), revenait en effet à baisser le pouvoir d’achat d’une part grandissante de la population. Or le premier contributeur de la croissance en France reste la consommation des ménages. En réduisant le pouvoir d’achat d’une partie importante de ces derniers, il briderait lourdement la croissance, source d’emplois, indispensables pour financer les retraites. Autre effet aggravant : souvent propriétaires de leur logement, la majorité des retraités ont satisfait l’essentiel de leurs besoins en biens industriels. Par conséquent, ils sont plutôt consommateurs de services (santé, loisirs, cultures), peu délocalisables, donc très générateurs d’emplois en France. Ernst Engel le démontrait déjà au XIX e siècle dans son analyse sur la répartition du budget des ménages selon le niveau de revenu.
D’autre part, les personnes âgées restent des électeurs. En prenant du poids numériquement, ils deviennent un électorat incontournable qu’il ne faut pas négliger. Baisser leurs pensions aurait pu s'apparenter à une sorte de suicide politique.
Le gouvernement aurait également pu être tenté par une augmentation des cotisations, tant salariales que patronales, afin d’accroître les recettes. Non retenue, cette solution était en effet discutable. Rappelons qu’en 2007, les cotisations retraites des salariés du privé s’élevaient à 26 % du salaire brut, dont 10,5 points étaient à la charge du salarié et le reste à celle de l’employeur. En augmentant cette base de quelques points, répartis entre l’employé et l’employeur, le gouvernement aurait cherché à capter des recettes supplémentaires à moindres coûts. Mais les inconvénients ne sont pas négligeables. Accroître les cotisations, même de quelques points, peut affecter à la fois la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises en alourdissant encore davantage leurs charges. Or, dans une économie mondialisée telle que la notre, la compétitivité-prix ou hors-prix des entreprises est la clé de leur survie (et par là-même celle des emplois). Elles ont besoin des coûts de production les plus faibles possibles pour réduire leurs prix et d’un minimum de profits pour investir dans la Recherche-Développement afin d’innover. Compte tenu du poids déjà important des charges supportées par les entreprises françaises, il semblait peu judicieux de se retenir cette solution.
Enfin, la mise en place d'un système de bonus-malus incitatifs selon que l’on a cotisé plus ou moins de trimestres que nécessaires aurait pû être envisagée. En effet, en instaurant des taux progressifs élevés (bonus), on encourage les actifs à prolonger leur activité, au-delà de l’âge légal, puisqu’ils touchent plus de 100 % de leur pension. De même, en instaurant des taux dégressifs importants dans le cas où le nombre de trimestres serait insuffisant (malus), on incite les actifs à poursuivre leur activité tant qu’ils n’ont pas atteint le quota légal. Cette mesure a le mérite d’être indolore financièrement pour les agents économiques (vu que l’on ne touche ni aux pensions à taux plein, ni aux taux d’imposition), mais a l’inconvénient d’obliger les actifs, qui ont connu une ou plusieurs périodes de chômage, à poursuivre leur activité, malgré la pénibilité ; repoussant toujours plus loin l’âge auquel ils auront le droit d’obtenir leur retraite à taux plein. séduisante maus compliquée à mettre en place, cette solution a été écartée.
Les options retenues
Ce sont en effet principalement deux autres pistes que la réforme voulue par l'exécutif a privilégié.
Mesures phares : le recul à la fois de l’âge légal de départ à la retraite et de celui ouvrant droit au taux plein de 60 à 62 ans ainsi qu'une réaffirmation du principe de l'allongement de la durée de cotisation en fonction de l'espérance de vie qui devrait ainsi passer à à 41,5 en 2020. Le tout s'accompagnant d'un dispositif de prise en compte de l'usure des salariés dont les modalités restent encore seront précisées ultérieurement.
Bien que vivement critiquées actuellement, ces mesures sont pourtant les plus indolores financièrement pour les entreprises et les contribuables. En effet, d’une part, par l’allongement des études, les nouvelles générations partiront plus tard à la retraite – actuellement, l’âge moyen de fin d’études est d’environ 21 ans ; même en restant à 41 ans de cotisations (prévu pour 2012), les nouveaux actifs ne pourront mathématiquement pas partir à la retraite à taux plein avant leurs 62 ans. Le symbole des 60 ans est donc dépassé. D’autre part, en prolongeant la durée de cotisations, on ne touche pas au pouvoir d’achat. On ne modifie ni les pensions, ni le taux de cotisations. Pour l’Etat, c’est en revanche une façon efficace de réduire les dépenses (on retarde le moment de verser les pensions) tout en augmentant les recettes (en percevant des cotisations plus longtemps pour un actif donné [43 ans au lieu de 41 par exemple]).
Sont aussi prévus l'alignement progressif du taux de cotisation du public sur celui du privé et le relèvement progressif de l'âge de départ en retraite dans les régimes spéciaux.
Cependant, d’après les simulations réalisées par le COR, même en combinant une hausse de la durée de cotisations à 43,3 ans, une hausse de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 63 ans et l’âge du taux plein de 65 ans à 68 ans, seuls 50 % des besoins de financement (17 milliards d’euros) seraient assurés en 2030 et 36 % (23 milliards) en 2050. Le gouvernement n'ayant pas souhaité aller aussi loin, on voit mal comme ces mesures pourront à elles seules suffire à rétablir l’équilibre du système.
C’est pourquoi l'exécutif a également fait le choix d'une réforme partielle de la fiscalité. Sont ainsi visés par une nouvelle imposition les hauts revenus ainsi que ceux du capital et des entreprises. Economiquement, cela peut se justifier par la loi psychologique fondamentale de J.M. Keynes : les plus riches ont en la propension à consommer la plus faible et celle à épargner la plus élevée ; inversement pour les plus démunis. Par conséquent, il est possible de prélever une partie de l’épargne des plus riches pour la transférer aux plus pauvres. L’impact global sur la consommation est alors largement positif, car, sans réduire la consommation des plus riches, on augmente celle des plus modestes puisque le supplément de revenu versé à ces derniers sera largement dépensé. Dans la même optique de raisonnement, en prélevant sur les plus hauts revenus et sur les revenus du capital pour financer les retraites, on ne pénalise pas la consommation tout en captant des ressources supplémentaires.
On peut en revanche considérer qu'une telle mesure aura tendance à faire fuir ces hauts revenus vers l’étranger pour bénéficier d’une fiscalité moins dispendieuse ; de sorte que cette mesure « s’auto-annulerait » puisqu’elle n’aurait plus de hauts revenus à taxer. De même, imposer davantage les revenus du capital pourrait dissuader certains particuliers d’investir, puisque les revenus issus de cet investissement seront fortement taxés. Or, ils peuvent être nécessaires. Prenons l’immobilier par exemple. On sait qu’en France, il y a un déficit structurel de logement. Les investissements locatifs sont donc indispensables pour réduire les tensions sur le marché immobilier. Si l’on impose plus fortement les loyers perçus, on risque de décourager ces formes d’investissements, participant ainsi au maintien de prix immobiliers élevés. Déjà, au XVIII e siècle, Adam Smith, dans La richesse des Nations (1776), démontrait qu’une population riche était indispensable à la croissance d’un pays car, grâce à leurs dépenses en « travail improductif » (dépenses ostentatoires, entretien des domestiques), elle maintenait une croissance durable en évitant des crises de surproduction.
La réforme des retraites ne sera pas sans conséquences économiques et sociales. Elle sera forcément douloureuse et coûteuse. Pas uniquement financièrement, mais aussi socialement. Elle marque notamment la fin des années fastes où l’on pouvait passer parfois presque plus de temps à la retraite qu’en activité. Les actuelles et les futures générations d’actifs envieront certainement leurs parents et grands-parents – un clivage intergénérationnel n'est pas à exclure. Cette réforme n'en est pas moins indispensable si l'on souhaite éviter de porter à relativement moyen terme le deuil des retraites par répartition.