Classer les pays
Selon le classement de la division statistique de l'ONU, le Brésil, l'Inde et la Chine sont des "pays en développement" alors que la Fédération de Russie est une "économie en transition". Face à la multiplication des classements et des appellations, l'acronyme "BRIC", qui se prononce "brique", offre un nouveau cadre conceptuel pour comprendre la mondialisation au XXIe siècle.
L'expression apparaît pour la première fois dans les "Global Economics Papers" du département de recherche de Goldman Sachs avec l'article "Building Better Global Economic BRICs", publié le 30 novembre 2001. Il s'agit pour la banque d'affaires américaine d'identifier avec ces quatre pays (le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine) des zones rentables d'investissement pour les multinationales et des places financières à forte valorisation pour les placements des gestionnaires d'épargne. Ces pays forment donc un potentiel de croissance.
En octobre 2003, l'article "Dreaming with BRICs: The Path to 2050" (Global Economics Paper No. 99) défend l'hypothèse que le Produit Intérieur Brut, en dollars, des BRIC dépassera celui du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) en 2050. Les prévisions de l'équipe de Goldman Sachs, sous la direction de Jim O'Neill, soulignent que, seuls les Etats-Unis et le Japon seront encore présents parmi les six principales économies mondiales. Avant 2050, la Chine deviendra alors la première puissance économique mondiale suivie par les Etats-Unis, l'Inde sera en troisième position devant le Japon.
En novembre 2007, le livre Les BRIC et au-delà (BRICs and Beyond) compile les différentes recherches sur le sujet pour offrir une vision nouvelle de la dynamique de l'économie mondiale en rupture avec un monde dominé par l'Occident.
Un nouvel ordre économique mondial ?
Le succès de l'expression doit d'abord aux performances macroéconomiques de ces "géants économiques de demain". Tout d'abord, les taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) ont été plus importants que prévu. Ensuite, la croissance du PIB s'est accompagnée de transformations structurelles. Premièrement, ces quatre pays ont intégré les mécanismes de marché dans de nombreux secteurs d'activités, notamment lors de la modernisation de leurs systèmes bancaires et, plus largement, dans les modes de financement de l'investissement. Deuxièmement, ils se sont spécialisés dans des productions de biens ou de services destinés à l'exportation, ce qui a favorisé la croissance, l'emploi et l'accumulation de réserves de change. Troisièmement, ces pays se sont aussi illustrés par une maîtrise de leurs déficits publics et l'adoption de régimes de change plus flexibles. Enfin, les marchés financiers des BRIC sont devenus plus attractifs pour l'épargne des pays développés, soit parce que les taux de rentabilité sur les marchés d'actions étaient élevés, soit parce que les marchés obligataires étaient devenus moins risqués par rapport aux décennies précédentes.
Bref, les BRIC sont, chacun à leur manière, les bons élèves de la mondialisation du début du XXIe siècle, comme le furent les "Quatre Dragons" (les deux cités Etats de Hongkong et Singapour, la Corée du Sud et l'île de Taiwan) dans les années soixante-dix et les "Tigres asiatiques" (Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande) et les "Nouveaux Pays Exportateurs" des années quatre-vingt. De surcroît, l'acronyme permet d'identifier les futurs rivaux des puissances qui forment la Triade (cf. Kenichi Ohmae). Face aux trois pôles de domination commerciale, mais aussi politique, autour des Etats-Unis, de l'Union européenne et du Japon, le terme de BRIC permet d'imaginer un nouvel ordre économique mondial.
Pourquoi ces pays ?
Le B de BRIC est le plus inattendu. Néanmoins, la présence du Brésil permet de souligner le parcours d'une ancienne dictature d'Amérique latine devenue un géant agricole bien inséré dans l'économie mondiale, comme l'illustre son activisme politique au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce. De plus, le potentiel brésilien repose aussi sur sa croissance démographique, son marché en expansion, sa réserve d'espace et son savoir-faire agricole et industriel.
Le R de BRIC est paradoxal. La Fédération de Russie est, depuis le Sommet de Birmingham tenu en 1998, un membre du Groupe des Huit (G8) qui regroupe les principaux pays industrialisés. Ainsi la Russie est à la fois une puissance économique et militaire, un pays émergent et un pays en transition ! L'insertion de la Russie dans l'économie mondiale s'opère surtout par l'exportation de matières premières non agricoles (énergie comme le pétrole et le gaz, les métaux, le bois, etc.) qui génèrent près d'un tiers de son PIB et plus de 70 % de la capitalisation boursière.
Le I de BRIC n'est pas surprenant. L'Inde permet de souligner que la mondialisation concerne aussi les services. Toutefois, le "bureau du monde" dispose aussi d'un savoir-faire agricole ("révolution verte") et industriel (sidérurgie, chimie, pharmacie).
Le C de BRIC est le moins contestable. La Chine est devenue la puissance commerciale du XXIe siècle reconnue par son adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce le 11 décembre 2001. En janvier 2009, la révision du produit intérieur brut par le Bureau National des Statistiques chinois classe la Chine comme la troisième économie mondiale. La Chine n'est plus seulement "l'atelier du monde" fabriquant, grâce à une main-d'œuvre à bas prix, l'essentiel des biens d'équipement de la planète, elle est aussi une puissance spatiale, un pays accueillant de puissantes universités et de nombreux centres de recherche et développement. Enfin, grâce à ses réserves de devises, la Chine est un acteur central dans le financement des déficits budgétaires des pays développés.
Un regroupement contestable
Les premières critiques portent d'abord sur les absents ! Quid de l'Afrique du Sud, la plus importante économie de l'Afrique, voire du Nigeria ou de l'Egypte ? Pourquoi retenir le Brésil et non le Mexique intégré dans la mondialisation via l'ALENA ? En quoi est-ce pertinent d'occulter l'économie de la Corée du Sud ou de l'Indonésie en Asie ? D'où l'apparition de sigles tels que BRICS (BRIC + Afrique du Sud), de BRICM (BRIC + Mexique) ou de BRICK (BRIC + Corée Sud). Certaines critiques pointent les dynamiques sociales et démographiques différentes au sein des BRIC. D'autres enfin mettent en exergue les divergences politiques, notamment frontalières, entre la Russie, la Chine et l'Inde.
Une nouvelle réalité géopolitique
Dans la crise économique qui affecte les économies mondiales, les BRIC ne font pas exception : leurs perspectives de croissance pour l'année 2009 sont revues à la baisse. Néanmoins, les taux de croissance du PIB seront supérieurs à ceux des pays développés. Les estimations oscillent entre plus de 3 % pour le Brésil et moins de 10 % pour la Chine. Cette singularité économique doit être complétée par une nouveauté politique. Tout d'abord, des offensives diplomatiques, notamment russes, tentent de faire émerger un "triangle" entre Moscou, New Delhi et Pékin. De plus, en novembre 2008, à Sao Paulo, les chefs d'Etat des BRIC ont adopté pour la première fois une position commune, en défendant une réforme des institutions internationales, notamment du Fonds Monétaire International. Enfin, ils ont également insisté sur leur présence dans le Forum de stabilité financière qui élaborera des propositions pour sortir de la crise.
Bref, à l'origine une construction destinée aux clients des banques d'affaires afin d'identifier les grandes puissances commerciales de demain, le terme de BRIC rend désormais compte d'une réalité géopolitique en gestation.
Les BRIC en chiffres
(données de l'année 2007)
nd : non défini
Source : Banque mondiale